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  • Marie-Anne Lorgé

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Cette année, l’équinoxe d’automne est tombé le 23 septembre. Et donc, voilà, faut s’y faire, c’est l’automne… qui a toutefois des allures de juin – en même temps, déjà la petite laine s’impose.


C’est la période où ma mère couvrait d’un linge la levure afin d’obtenir des gaufres aérées – je léchais la pâte crue sur mes doigts.


Et en ce moment, c’est le théâtre qui régale (les Lëtzebuerger Theaterpräisser viennent ainsi d’être décernés, Marja-Leena Junker auréolée du Nationalen Theaterpräis). Et les expos qui gonflent comme des levures. Tout ça dans un mouchoir de poche chronologique.



Alors, en vrac, il y a Elena, la nouvelle création de Myriam Muller pour le Grand Théâtre – première de la pièce ce 28 septembre, une auscultation implacable des rapports humains, avec Nicole Dogué, encore le 30/09, 20.00h, le dimanche 01/10, 17.00h, ainsi que les 3, 4, 5 et 6/10, 20.00h (visuel ci-dessus © Bohumil Kostohryz).


Et il y a la performance de Tania Soubry au Cercle Cité le 30 septembre: intitulée duerch sënnlech Landschaften, cette performance, «première itération de sa recherche actuelle sur l'écoute profonde et la manière dont nous nous affectons et sommes affectés les uns par les autres, à travers tous les sens», se répètera dans la Grande Salle du Cercle à deux reprises, à 16.00h et à 19.00h – hormis une installation sonore montrée en continu de 15.00 à 21.00h –, c’est entrée gratuite (via la porte principale, Place d’Armes), sans inscription.



Sinon, découvrez Canopée, l’installation d’un monde miniature en papier de Sarah Poulain: Canopée est l’une des pépites à l’affiche du week-end de rentrée des Rotondes (Bonnevoie), dès le 29/09, et c’est une rentrée en pleine ébullition, avec concert, Fashion Swap, spectacle enfants et Super Maart inclus (surfez sur rotondes.lu).


En fait, ce qui relève du marathon, c’est le florilège plastique, qui, à Luxembourg, embarque dans le désordre Arny Schmit (galerie Reuter Bausch), Nora Juhasz (chez Hans Fellner) et Thomas Arnolds (galerie Nosbaum Reding). Même choix cornélien à Dudelange – en même temps, circulez, tout est à voir – entre le finissage de l’expo de Jeff Weber, Image Storage Containers, au Display01 (espace CNA), ce, le 30 septembre – à 11.00h, visite guidée et présentation du livre éponyme publié à l’occasion de l’expo, en présence de l’artiste, entrée gratuite, sans réservation –, et Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn, la première présentation au Luxembourg du projet réalisé par le Kënschtlerkollektiv pour le pavillon du Luxembourg à l’EXPO 2020 DUBAI (visuel ci-dessus © Leif Heidenreich), projet actuellement installé au CNA/Pomhouse, ce bâtiment en briques rouges qui jouxte le château d’eau.


Projet collaboratif mis en œuvre par un collectif transdisciplinaire – 8 artistes au total: Julie Conrad (design), Adolf El Assal (cinéma), Guy Helminger (littérature), Karolina Markiewicz et Pascal Piron (arts visuels), Simone Mousset (danse), Patrick Muller (musique), Renelde Pierlot (théâtre) –, Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn devait bénéficier d’une place de choix dans l’expo centrale de Dubaï 2020 mais a fini par être relégué dans une salle polyvalente, pour une durée raccourcie à dix jours. Et forcément, ça pose question. Que raconte cet art contemporain par lequel Luxembourg s’offrait une visibilité autre que par son business et ses traditions? Le morceau est costaud, je vous le sers chaud dans mon prochain post – en même temps, pas de lait sur le feu, l’expo reste en place jusqu’au 7 janvier.



Par contre, timing oblige, il me faut d’abord faire une escale à Esch-sur-Alzette, à la Kulturfabrik (Kufa), pour la sortie de résidence de Serge Ecker, un Get-Out programmé… ce 28 septembre, à partir de 18.00h (visuel ci-dessus) – à ce stade, on regrette de n’avoir pas le don d’ubiquité. C’est l’occasion de rappeler que ladite résidence fait partie d’un programme appelé «Squatfabrik», dont le principe essentiel est de permettre à l’artiste de prendre du recul, sans obligation de résultat.


Quand j‘y ai croisé Serge, très précisément dans l’espace galerie de cet ancien abattoir devenu Centre culturel, il cherchait à résoudre un problème technique lié à un petit charriot-caméra censé circuler comme un oeil furtif le long des rails qui, au plafond, servaient jadis à acheminer des carcasses de bétail. Dans la salle dévolue à la «recherche à table», en quête d’un langage visuel capturant au mieux l’entre-deux, il avait aligné des photos documentant la ruine, ou plutôt, l’absence. Le moment plutôt que l’espace.


Serge Ecker, personnage inquiet, façonné par le patrimoine industriel, ses abandons et sa métamorphose, questionneur d’anthropocène, d’éthique environnementale, de virtualisation du travail et du paysage, est un créateur obsédé par «le faire», cela qui signifie «faire exister». Parfait point de départ d’un portrait sensible… que je me promets de tirer incessamment. En attendant, Serge s’apprête donc à quitter sa Squatfabrik et se réjouit de votre visite…


En attendant derechef, une parenthèse encore pour vous signaler que le Casino Luxembourg-Forum d’art contemporain lance un cercle de lecture mensuel, baptisé casinoBookclub, qui explore «les liens entre art, réalité et fiction à travers des livres proposés par des membres de l’équipe du Casino Luxembourg ou des invité·e·s externe», et qui aura chaque fois lieu, une fois par mois donc, au Casino Display, 1 rue de la Loge à Luxembourg. Le premier rendez-vous est fixé au jeudi 12 octobre, à 18.30h, autour d’Annie Ernaux (auteure de Passion simple & Se perdre e.a.) et de Sophie Calle (Douleur exquise e.a.), «deux femmes artistes «scandaleuses» qui défient les conventions sociales». Entrée gratuite, sur réservation (casino-luxembourg.lu).


Mais donc, pour l’heure, ce que je vous propose, c’est une petite immersion picturale en deux temps.



Arrêt à la Reuter Bausch Art Gallery (14 rue Notre-Dame, Luxembourg) qui accueille le solo show d’Arny Schmit avec Beyond the Nature, sa trentaine de nouveaux formats à l’huile sur bois.


Arny, c’est une sorte de lutin qui nous tend de sa forêt des images où percole la fantasy. Plantés dans un bleu gris irréel, soluble dans un temps qui échappe aux mortels, les troncs et branchages s’entremêlent jusqu’à l’inextricable, comme une nature d’avant le déluge, ou comme celle, prophétique, du lendemain de la disparition de l’humain. En tout cas, l’étrange incube, comme dans les contes.


La forêt n’est pas identifiable, pour autant, elle n’est pas complètement imaginaire, mais tirée d’une photographie qui aurait trahi son modèle, qui, une fois convertie en peinture, aurait le magique pouvoir de traduire l’intime langage des arbres, leurs murmures, des histoires qu’Arny habite comme on le dit d’habiter une maison. Des histoires aussi que l’artiste fait parfois entrer dans la maison… comme un papier peint, à l’exemple de l’installation Equilibrium qui raconte l’improbable conciliation entre le naturel et l’artificiel, aussi entre le décor censé imiter la nature et l’œuvre d’art confondue à un manteau de cheminée ou à un carrelage (visuel ci-dessus © Christof Weber).


Beyond Nature décline toute la gamme des formats – certains des plus petits s’éloignent des bois pour capter l’atmosphère du plat pays, les brouillards d’une montagne ou d’une plaine –, souvent bordés d’un liseré noir, aussi indéfini qu’un halo, comme un clin d’œil à l’écran natif du cinéma muet.


Beyond the Nature c’est à la fois un hors temps et un hors-champ, surtout une réflexion sur notre vie sensorielle... afin de (re)connaître notre «maison» et d’empêcher son naufrage. Jusqu’au 21 octobre, www.reuterbausch.lu



Terminus chez Fellner contemporary (au 2a rue Wiltheim, Luxembourg).


Et là, Nora Juhasz, peintre hongroise, est une jolie petite surprise. Dans say that you love me, une série figurative d’huiles à ce point lisses qu’elles ont des allures de sérigraphies, l’artiste décoche un regard ironique sur Instagram, le réseau social de prédilection… des influenceuses, ces nouvelles stars du web foncièrement nombrilistes, gourous féminins de règles à adopter et à suivre en matière notamment de consommation et de mode.


Et donc, dans sa série, Nora épingle certains comportements hiérarchisés d’ici et d’ailleurs, ça va de l’idolâtrie du chat au Japon – où elle a vécu – au prérequis d’une idéale dégustation de fondue au fromage, en l’occurrence en montagne, les cimes enneigées de l’arrière-fond faisant foi, à savoir: porter un chandail blanc imprimé d‘un motif en étoile de neige rouge, se tenir le dos bien droit et le coude en équerre au-dessus au caquelon.


Dans le même esprit, dans un code couleur vert et rouge qui fait écho à Noël, une blonde élégante (fictionnelle ou non), tout sourire, tient entre ses mains un plat où trône une cloche de verre, référence indubitable à la boule à neige où, en guise de flocons, poireaute une dinde rôtie.


Le ton est à l’humour, évite de justesse la caricature, esquisse même un dé de compassion, vérifiable dans les mises en scène alimentaires, à l’exemple de la jeune femme (réelle ou non) qui trompe le stress du diktat bio 0% calorie en avalant en catimini un pot de crème glacée, minée de surcroît par une culpabilité mâtinée de convoitise à en juger par le regard oblique qu’elle jette sur l’étagère garde-manger.


Le format J’en ai besoin cristallise un typique travers de société, entre fièvre acheteuse et consomm’action, on y voit une fashion victim, main sur le front, harassée par son shopping, emplettes au bras, fouler un code-barres comme on traverse un passage pour piétons (visuel ci-dessus).


En clair, c’est par le pinceau, cette petite brosse à poils souples snobée par le mythe du numérique, que Nora Juhasz se paie aimablement la tête des phobies et addictions (au féminin !) précisément générées… par la vanité technologique. Jusqu’au 21 octobre.

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