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  • Marie-Anne Lorgé

Vestiaires obligatoires

Dernière mise à jour : 7 août 2020

Misch, Serge, Eric, Néckel, où comment quatre garçons aussi créatifs que militants retroussent leurs manches pour métamorphoser un ancien lieu industriel en un espace organique, convivial, incubateur surtout d’expressions ou projets hybrides, impliquant artistes, associations et citoyens. Rencontre dans une caverne d’Ali Baba, le hall Fonducq, à Dudelange.



A l’image des Trois Mousquetaires, qui, comme chacun sait, étaient quatre, Serge, Eric, Néckel et D’Artagnan, alias Misch, battent le fer quand il est chaud. Toujours est-il que ces quatre garçons, grosso modo barbus, font fi de la parité: eh oui, lors de la rencontre, manquait Birgit Thalau, spécialiste en bijoux et fonte, seul électron féminin de cette équipe de choc baptisée DKollektiv, avec un «D» pour Dudelange.


N’en demeure pas moins que DKollektiv, collectif d’artistes né en 2016 dans le contexte de la biennale de la culture industrielle et de l’innovation, a été conjointement fondé par Marlène Kreins, Nora Wagner, Justine Blau et Misch Feinen, alors seul homme à bord. Et donc, aujourd’hui, du groupe initial, seul reste Misch Feinen. Et c’est Eric Marx l’architecte, Nicolas Graf le géographe et Serge Ecker le plasticien rompu au numérique, qui complètent l’actuel quintette, installé dans l’ancien atelier central de l’usine, à savoir le hall Fonducq (ou Fondouq).


Pour rappel, c’est ce bâtiment-là qui a abrité Le Retour de Babel, l’une des expos phares de 2007, Luxembourg et Grande Région étant alors capitale européenne de la culture. Mais le phare est tombé aux oubliettes. Du coup, considérant mon fichu problème de spatialité, je me suis égarée, en rien aidée par les quelques quidams croisés, incapables de me guider. C’est anecdotique mais, l’air de rien, ça révèle en creux l’urgence qu’il y a à concrétiser des initiatives ancrant de façon durable la culture dans le territoire.


Globalement, c’est dire la nécessité de «repenser l’espace urbain en relation avec des activités aussi culturelles que sociétales». Or, voilà qui est clairement l’enjeu de DKollektiv, actuellement engagé dans la gestation d’un tiers-lieu culturel. Quésaco?


Le tiers-lieu culturel qui désigne un espace partagé et suppose une dynamique collective, est cette forme d’écosystème collaboratif aujourd’hui prisé un peu partout en Europe dès lors qu’il s’agit de revitaliser des friches. En l’occurrence, c’est bien de cela dont il est question à Dudelange, avec NeiSchmelz, un nouveau quartier d’unités d’habitation (à charge du Fonds du logement) à bâtir dans l’ancienne zone sidérurgique située derrière le Centre national de l’audiovisuel (CNA) – en vertu de cette proximité géographique, notez qu’il est prévu, tel un lien logique ou logistique, qu’un sentier piéton et cyclable relie le CNA au nouveau quartier.


Sauf que revitaliser ne se limite pas, ne signifie plus réurbaniser. Moins que jamais, d’ailleurs, dans la perspective d’Esch 2022, énième capitale européenne de la culture. C’est pourquoi, pour répondre au besoin d’espaces de création – d’expérimentations artistiques et de co-créations avec les publics –, l’Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte a pris le taureau par les cornes, décidant, en partenariat avec l’asbl Esch2022, d’initier et de soutenir financièrement des lieux hydrides, ces fameux tiers-lieux culturels, au nombre de trois, à savoir: le Bâtiment IV, ancien bâtiment administratif d’ArcelorMittal sis sur la friche d’Esch-Schifflange, puis FerroForum, aussi à Schifflange, avec des activités (historiennes, artistiques, pédagogiques) articulées autour de cette matière emblématique qu’est le fer – on y retrouvera Misch Feinen, on y croisera également la plasticienne Trixi Weis avec sa Kamelleschmelz, une installation illustrant par la production de bonbons les procédés d’une usine sidérurgique (j’y reviendrai dans un tout prochain article) – et enfin, l’espace Vestiaires/ Wagonnage de l’ARBED à Dudelange, dont le réaménagement incombe… à DKollektiv.


Reprenons par le début.


Un beau matin de juillet, c’est donc dans le hall Fonducq que la rencontre a eu lieu. C’est là, dans ce décor postindustriel, que DKollektiv a établi dès 2017 son atelier (le bien-nommé «Atelier D»): c’est un fascinant capharnaüm, avec stockage d’outils révolus et de matériaux divers (un bazar qui promet de devenir une référence, genre «Bibliothèque de matériel»), avec une roulotte déguisée en cafétéria, avec surtout des traces d’installations performatives éphémères ou d’autres événements (concerts, lectures, conférences, projections de films) accessibles à tous.


Pour l’heure, le tout est ceinturé par un grillage où, pendues, s’alignent des photos témoignant de la dernière et récente excursion de DKollektiv parti à vélo à la recherche de la source de la Diddelénger Baach, ce ruisseau intimement lié à l’histoire de l’usine sidérurgique de Dudelange, implantée au-dessus de son lit, le canalisant, l’occultant jusqu’à l’oubli. Sauf qu’à la faveur du chantier NeiSchmelz, il referait surface…


En attendant, c’est l’«Atelier D» qui va disparaître – tout comme le hall Fonducq, vaste espace occupé pour moitié par la Ville de Dudelange –, sans pour autant mourir… puisque destiné à migrer dans cet autre périmètre historique de la friche dudelangeoise qu’est le bâtiment Vestiaires/ Wagonnage (voir photo): DKollektiv en occupera le premier étage (de façon pérenne), alors que le rez-de-chaussée sera géré par le Centre culturel Opderschmelz, «certaines salles étant réservées pour les réunions d’associations actives à Dudelange ou pour les gens du quartier».


Nous y voilà dans ces Vestiaires, tiers-lieu généreusement subsidié par l’«Oeuvre» – à concurrence de 400.000 euros échelonnés sur trois ans – que DKollektiv surnomme «Schmelzkéis», eu égard à sa forme évoquant une portion de fromage, et grâce auquel il entend devenir «l’initiateur d’une nouvelle identité». Une identité à réinventer mais très inspirée par les préceptes de Bert Theis, artiste luxembourgeois de renommée internationale, qui replaçait son travail «dans l’horizon d’un projet de «démocratie directe»», ses interventions (structures, plates-formes) créant des situations (de détente ou de discussion par exemple) qui «reposent sur l’usage et l’interaction des acteurs auxquels elles sont destinées».


Le ton est donné. DKollektiv échafaude dès à présent douze projets qui, partant de la notion d’espace partagé, tablent tous sur la mixité, des artistes et acteurs locaux (divers et variés) pratiquant une culture de coexistence, de croisement ou de mélange d’intérêts multiples toujours redevables du passé aussi bien que de questions sociétales ou environnementales – prompte à faire vivre autrement le quartier qui les entoure. Ça va du jardin communautaire – déjà préexistant, lancé en 2018 par le CELL, aujourd’hui entretenu à la fois par les locaux, Inter-Actions et la commune mais que le collectif souhaite intégrer dans son programme comme une «force aussi publique que verte» aux workshops et autres initiations ou démonstrations inféodées au travail du fer, de menuiserie, à la photographie, à la sérigraphie, à la 3D, sans bouder le couture – en soulignant au passage que l’experte textile, c’est Caroline Koener, aussi collaboratrice régulière du collectif, qui, partant d’un bleu de travail, confectionne une gamme de masques buccaux…


«Ce sera le poumon socio-culturel de la ville», prophétise DKollektiv. Qui, avant de matérialiser sa philosophie, avant même d’aménager son espace Vestiaires, s’investit actuellement dans sa rénovation. A ce niveau, la démarche, nécessairement participative, se veut soucieuse du patrimoine, un respect qui induit le recyclage, la valorisation d’objets récupérés sur le site. C’est comme ça que j’ai assisté à un joyeux cortège, Misch et Serge transbordant un vieux châssis, alors qu’Eric, le mètre à la main, se désespérait de trouver l’ouverture de fenêtre adéquate. Et des fenêtres, il y en a des dizaines, toutes béantes ou brisées…


Cette rénovation est une oeuvre à elle toute seule, parfaitement évolutive, à l’image du lieu, «entre toujours à finir et jamais terminé, débordant les bords et les limites», accélérateur de synergies, éveilleur d’apprentissages et catalyseur de la «circulation d’idées». Les Vestiaires, lieu «du faire ensemble». Et DKollektiv, le commando du lien et du sens.

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