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  • Marie-Anne Lorgé

Vents porteurs

Ouf, de l’air, du vent, de l’ailleurs…


La pluie attendue n’est pas celle qui fait des claquettes sur le trottoir. C’est celle des étoiles filantes, appelées Perséides, magique événement astronomique qui, malgré une terre qui tourne folle, va traverser le ciel dans la nuit du 12 au 13 août, comme une migration aussi immuable que lumineuse – censée rester visible jusqu’au 24/08.


Spectacle gratuit d’un théâtre de l’émotion. Faut juste lever les yeux (tant pis pour ceux qui ne regardent que leur nombril) et saisir l’instant T pour faire un vœu. Ce qui, cet été, n’est pas un luxe.


Il paraît que les cerfs-volants ont le même pouvoir. Sauf qu’alors, c’est le vent qui porte, l’emporte, c’est le même qui fait naître les vagues. Et donc, nous y voilà, à la mer.


«On allait au bord de la mer (…) Alors on regardait les bateaux/ On suçait des glaces à l'eau (…) Le matin on se réveillait tôt (…) Sur la plage pendant des heures/ On prenait de belles couleurs…» (Michel Jonasz).


Mais le vent porteur, c’est tout autre chose qu’une carte postale. En l’occurrence, ça désigne une nouvelle façon de nous sensibiliser à notre mère terre en reliant, à nos vies quotidiennes, des pistes d’action susceptibles de modifier nos représentations mentales, de réenchanter notre imaginaire.


Et c’est ce vent réenchanteur qui nous donne rendez-vous le long de deux espaces littoraux, sur la Côte belge et sur la Côte basque (en ce dernier cas, en compagnie notamment de Martine Feipel et Jean Bechameil, duo d’artistes Luxembourgeois désormais installé à Bruxelles), là, dans le sable et face à l’écume…



On commence par Anglet. Par la Biennale d’art contemporain baptisée «La Littorale»: douze artistes y investissent les quatre kilomètres de plage s’étirant entre les dernières dunes de la côte atlantique et les premiers contreforts de la chaîne des Pyrénées, pour y célébrer la vie et le mouvement, la poésie et le vivant… éminemment fragile, volatile, ce, jusqu’au 31 octobre.


Et parmi les artistes, il y a donc Martine Feipel & Jean Bechameil, déjà primés en 2018 par le prix COAL Art et Environnement pour leur projet Cité d’Urgences – Apus Apus, sachant que Lauranne Germond, la directrice de l’association COAL, membre du Réseau européen ACT (Art Climate Transition), est précisément la commissaire de «La littorale» 2021, une 8e édition intitulée L’Ecume des vivants. Histoire de nous rappeler «notre condition de vivants parmi le vivant».


Et c’est ainsi que Martine & Jean créent L'immortelle, une plante géante, qui «jaillit du sable pour y déposer son fruit, une cucurbitacée imaginaire». Immaculée et brillante (en aluminium brut), mi-arbre mi-fleur, «elle est à la croisée des espèces et des mondes, à la fois organique et irréelle, voire inquiétante. Elle tire son nom de l’une des plantes endémiques de la falaise d’Anglet: l’immortelle qui aujourd’hui, ironiquement, est quasiment décimée. Cet arbre exotique questionne l’emprise de l’homme sur les cycles naturels, qui a bouleversé à jamais les équilibres végétaux sur tous les continents».

Photo ci-dessus: Esquisse L'immortelle, Martine Feipel & Jean Bechameil - La littorale #8 - 2021 © Feipel & Bechameil (on peut également suivre l'actualité artistique estivale de Martine et Jean dans le parc de sculptures de la Commanderie de Peyrassol à Flassans sur Issole (Var) ainsi qu'à la 2e Biennale internationale Saint-Paul-de-Vence jusqu'au 2 octobre).


«La littorale», c’est un parcours à arpenter librement et gratuitement. Tout comme «Beaufort».


Beaufort, c’est une échelle de mesure de la vitesse moyenne du vent. Qui a la réputation de s’affoler en mer du Nord. Rien d’étonnant donc à ce qu’un jour, en 2003, il souffla/inspira un projet artistique triennal qui, depuis, se répand le long des digues, plages et dunes de la Côte belge.


Cette année, jusqu’au 7 novembre, «Beaufort», qui en est à sa 7e édition, fait dialoguer les œuvres d’art avec l'histoire de la Côte, sauf qu’«il ne s'agit pas de l'histoire faite par les hommes mais de l'histoire des processus naturels qui s'y sont déroulés. Cela va de l'île Testerep, engloutie par les flots, aux épaves de navires qui gisent au fond de la mer».


Entre tangage et roulis, malgré les marées, on croise ainsi le poulpe gigantesque de la Française Laure Prouvost à La Panne, le monumental caméléon-toboggan de l’Anglais Jeremy Deller à Knokke-Heist ou, entre autres, le cairn géant de l’artiste visuelle et cinéaste germano-italienne Rosa Barba.


Le cairn, c’est un empilement de petites pierres servant de repère aux randonneurs égarés; ici, sur un brise-lames d’Ostende, la sculpture de Rosa Barba, imitation de pierre par béton coulé dans du textile, nous parle de Buenos Aires, Bangkok, Rio de Janeiro, Miami, Jakarta e.a, villes chacune représentée par une «pierre» dont la taille correspond au nombre d’habitants. La position de chaque ville dans l’empilement «correspond à l’altitude réelle du lieu et met en évidence son rapport avec le niveau de la mer qui ne cesse d’augmenter».


Le titre de l’œuvre, Pillage of the Sea, renvoie à la poétesse Emily Dickinson, «que la mer a empêchée d’émettre la moindre parole et qui l’a donc littéralement privée de mots».


«La littorale» et «Beaufort», deux irrésistibles destinations de l’art pour tous – ça n’empêche pas le bronzage, pour autant, ça évite de bronzer idiot, si la météo le permet… A défaut, c’est la garantie d’une promenade singulière, singulièrement décoiffante.

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