Avec un drap mis à sécher, là sur un fil où une boule est posée en équilibre, une boule sans patte, qui ne remue pas, sauf sous l’effet du vent, et qui est un oiseau endormi, le cou dans les plumes, donc, avec seul un drap qui sèche, on peut faire vivre dans sa chair l’expérience poétique.
ça vaut également avec le moineau qui, s’ébattant, fait pleurer la branche après la pluie.
Je raffole de ces moments-là, juste une brèche qui fend le temps par la fenêtre, juste un regard qui ne s’explique pas, qui n’explique rien, un peu comme si le ciel dégringolait de son escalier et que dans sa chute il libérait notre corps… qui s’en trouve étonné.
Le linge étendu dans l’herbe, c’est un rituel qui remonte à mon enfance, à la maison qui n‘est pas celle de mes racines mais que j’appelle toutefois «ma terre» et que désormais s’arrachent les fourmis et les taupes, et d’où s’échappent parfois des fleurs, jamais semées, aussi entêtées que des graines de résistance.
J’ai ainsi appris à nommer les fleurs. Et tous les arbres, et tous les silences souterrains.
Et j’ai fabriqué un petit sac en toile de jute, où garder brindilles et feuilles, comme un herbier nomade, avec des pétales cousus dessus et fermé par une épingle à nourrice (aussi appelée, en moins joli, épingle de sûreté).
En tout cas, quand le linge était étendu, ça signifiait le retour d’un mai doux. Avec du vert partout.
Je dévalais le pré comme sur une neige, en glissade. J’ai gardé le goût de la chlorophylle, je mange le paysage.
Il paraît que tous les paysages ont une histoire, et qu’elle est comestible. Moi, je n’arpente pas les chemins buissonniers comme une assiette, c’est le vert qui pâture dans ma tête.
Et le vert, c’est mieux qu’une couleur, ça dit aussi le mouvement. Depuis Aristote, et son apprentissage péripatéticien, on sait l’influence du pied vagabond sur l’esprit. Et sur la santé créative.
Des marcheurs nouveaux sont nés, pour se soustraire au gris du confinement. Et des créateurs aussi, tant il est vrai – ou s’il est vrai – que «marcher, c’est créer». Au demeurant, le propre de la culture, c’est d’être en marche. Et donc, elle n’a jamais été à l’arrêt, la culture. C’est son exploitation qui l’a été, et qui l’est encore peu ou prou, c’est sa monstration publique, pour cause de spectateurs empêchés, pris en otage.
Et la culture, qui n’a jamais cessé de travailler, de faire pousser l’herbe… dans ce monde qui attend de nos désirs qu’ils soient autrement satisfaits qu’en un clic.
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