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Marie-Anne Lorgé

«Un gribouillis dans l’assiette»

«(…) c’est peut-être ça la vie (…) quelques moments de beauté où le temps n’est plus le même», dixit Muriel Barbery, l’auteure de L’élégance du hérisson, roman (de 2006) qui tantôt pique la curiosité tantôt hérisse, tout le portrait du hérisson métaphorique du titre.


En tout cas, le petit mammifère qui, en ce moment, n’en finit pas d’aller et venir du fond de mon jardin jusque dans mon salon est tout en épines véritables: c’est un jeune hérisson, un adorable spécimen, fin museau de musaraigne encadré par deux petits yeux noirs, des têtes d’épingle.

Selon les experts que j’ai consultés, c’est un heureux présage… qui reste sauvage, donc, à ne surtout pas cajoler comme un chaton, à laisser impérativement dans son habitat naturel, un abri de feuilles. Sauf que ce petit animal réputé nocturne, solitaire, difficile à surprendre et qui se déplace très vite (3m/minute, avec accélérations sur 30 à 40 m), déjoue chez moi toutes les théories comportementalistes, puisque profitant d’une porte brièvement entrebâillée, je le retrouve systématiquement planqué derrière le poêle à bois (bien sûr éteint). Retour dehors et poêle rebelote – du coup, je l’ai surnommé «le cow-boy». Le manège dure depuis 3 jours. Emerveillement et perplexité.


Alors, j’en suis là, et de fait, le temps n’est plus le même.


Un papillon passe. Je m’assieds sous le tilleul, squatté par des pigeons, ceux-là qui partagent leur légendaire mauvaise réputation avec les pies qui dévalisent mon cerisier.


Et les pigeons, c’est une histoire curieusement liée à mon souvenir de guinguette du dimanche. Quelques tables et lampions et, du creux de l’après-midi, avec mouches tombées dans la grenadine (ou le Picon-bière), jusqu’ à la fin du jour, un village qui danse.



Or, il se fait que la guinguette, et plus largement «la culture et la mémoire des bals, danses et musiques populaires dans le sud du Luxembourg sidérurgique des années 50-70» (visuel ci-dessus), c’est l’objet du livre (en gestation) intitulé Feieren: Fester, Musek an Danz am Minett, fruit d’une collaboration entre le FerroForum et Laura Steil, chercheuse au C2DH (Université du Luxembourg), toujours en cours de collecte de témoignages et de documents. A qui veut contribuer et en savoir davantage sur le livre, rendez-vous (c’est un rendez-vous irrésistible) sur le site de FerroForum, tiers-lieu culturel, centre du savoir-fer, installé dans l’atelier central de l’ancienne usine sidérurgique d’Arbed-Schifflange.


Quand? Le 1er juillet. FerroForum démarre ainsi l’été avec l’été avec un hommage à la «Grenz», haut lieu de la fête ouvrière pendant les trente glorieuses. On nous y attend dès 16.00h pour échanger de bons souvenirs autour d’un «Kaffi, Kippchen an Kuch». A 17.00h, on se trémousse, on chaloupe, on valse grâce à Luciano Pagliarini et son orchestre. A partir de 20.00h, ça ne se rate pas, une «Notturna ferruginosa» avec des actions de fer et de feu par l’équipe du FerroForum, puis la «Retroplatinodisco» (jusque 23.30h) avec les Loon Djs aux platines. Au menu, des frites et des bières comme à la frontière. «Et si vous voulez vraiment vous faire plaisir, venez endimanchés comme aux bals d’antan!». Infos: www.ferroforum.lu, contact: moien@ferroforum.lu (Misch Feinen, coordinateur: +352.621.417.628, Do Demuth, coordinatrice: +352.621.716 121).


On continue sur la gamme – et tant mieux si, en passant, vous pouvez participer, ci et là, aux feux de la Saint-Jean (avez-vous remarqué que le sablier des heures ralentit, s’inverse déjà?).



Petite parenthèse préalable pour vous rendre attentifs au fait que ce week-end sera culturellement torride – votre choix sera particulièrement dans l’embarras – et qu’aussi, en fin de post, je vais déambuler entre deux expos, Krixxi Kraxxi ou Deep Deep Down – sachant aussi que la Villa Vauban (Musée d’art de la Ville de Luxembourg) nous invite dans la lumière de l’impressionnisme en compagnie de Dominique Lang et de ses contemporains (vernissage ce 30 juin), mais de cela, je vous en causerai un peu plus tard, en tout cas, j’ai été séduite.


Mais donc, la gamme, ai-je dit.


Alors, voici Ari Benjamin Meyers, artiste et compositeur américain, invité par le Mudam a créer Forecast (LX23), une nouvelle performance, en l’occurrence immersive, inspirée de l’histoire vraie de David Buckel, un avocat américain qui s’est immolé à New York en 2018 en signe de protestation contre l’industrie des combustibles fossiles, performance programmée dans un lieu inédit, à savoir: l’ancien siège du Parlement européen (1979-1981), qui fait désormais partie du European Convention Center Luxembourg. «En investissant ce bâtiment symbolique conçu comme un espace de débat et de prise de décision, l’œuvre à la fois intime et intense d’Ari Benjamin Meyers explore les codes du pouvoir et du contrôle. Prenant pour point de départ les phénomènes météorologiques, elle s’intéresse à la notion de prévisibilité (ou d’imprévisibilité) et à l’insatiable besoin humain de prédire l’avenir, de croire au progrès et de dominer la planète».


Quand? Les 1 et 2 juillet, à 15.00h. Où? Hémicycle, 1, rue du Fort Thüngen, Luxembourg-Kirchberg. Entrée gratuite. Infos: mudam.com


Et voici la violoniste Catherine Graindorge, aussi altiste, compositrice et comédienne, icône néoclassique belge qui a récemment collaboré avec le mythique Iggy Pop dans The Dictator, un EP 4 titres sorti en septembre 2022, en concert (entrée libre) le dimanche 16 avril (15.00h) à Buzenol-Montauban, sur le site du Centre d’art contemporain du Luxembourg belge, lieu magique que j’arpente régulièrement, et dont l’actuelle et étonnante expo Mimamoru mérite un joyeux détour (dixit mon précédent post). Sinon, Catherine Graindorge est à l’affiche des Garden Delights de neimënster le mercredi 19 juillet, à 21.00h – pour info, les Garden Delights désignent une série de 4 concerts intimistes que le Centre culturel abbaye de Neumünster (Grund) orchestre en juillet dans le cadre bucolique de son Jardin du Cloître.


Au plus près, toujours à neimënster, voici le Big Bang Festival (visuel ci-dessus): c’est le retour, pour une troisième édition, les 1 et 2 juillet, de cet événement conçu par les gugusses de la compagnie Zonzo où la musique est au cœur des spectacles. Ces divertissements tournent partout à travers le monde et reçoivent la reconnaissance du public et des professionnel·les pour leur caractère précurseur et original. Sur tout le site à partir de 11.00h, et pour tout public, à partir de 5 ans.


Parallèlement, ou en prime, pourquoi vous priver d’un crochet par les Rotondes, à Bonnevoie, non seulement pour vous mesurer à la locomotive de bois construite de toutes pièces le long de la «Voie 15», cette installation dévolue aux empreintes et tags de tout quidam passant, mais pour assister à un spectacle haut en couleur(s), la Graffiti Battle, 24 artistes internationaux·ales s’y affrontent le 1er juillet, de 14.00 à 20.30h. Sur le site, tablez également sur un graffiti market avec des œuvres et du merchandising des artistes participant·e·s - projet initié par I Love Graffiti a.s.b.l.


Et si ce samedi 1er juillet votre coupe n’est pas encore pleine, s’il vous en reste sous les semelles, filez à Esch/Alzette, à la Kulturfabrik, pour une ultime immersion dans sa Braderie Urbaine, festive et gratuite. Dans l’éclectique programme, «L’Ar(t)naque», un grand marché de créateur·rices du Luxembourg et alentours, un concert marionnettique étonnant, des ateliers créatifs pour enfants doués ou adultes un peu gauches, un photobooth décalé aux allures de collection de bizarreries en tout genre, des concerts de Reverend Beat-Man et Blind Butcher et bien d’autres surprises!


Enfin, histoire de ralentir le temps, voici un coin lecture. Avec Sangs de Luce van den Bossche, poétesse, femme non-binaire transgenre dont ce recueil de pré-transition a reçu le Prix d’encouragement de la Fondation Servais en 2016. Sangs – un manifeste de la résilience, ou, pour reprendre les termes de l’auteure, «une marée inexorable» – vient de paraître aux éditions de l'Angle Mort: présentation ce vendredi 30 juin, à 19.00h, au Rainbow Center (Luxembourg-Ville), assortie d’une lecture par l’auteure.


Dans la foulée, semaine de la pride luxembourgeoise oblige, notez que le TROIS -CL (Centre de création chorégraphique luxembourgeois) organise une table ronde autour de la notion de «queerness» dans les arts de la scène. En présence de William Cardoso et Edsun. Ce, à la Banannefabrik, rue du Puits, à Bonnevoie, le 3 juillet, à partir de 17.30h. Inscription gratuite par e-mail: contact@danse.lu


Table ronde suivie de la traditionnelle/mensuelle soirée du «3 du TROIS», à partir de 19.00h – trois représentations chorégraphiquesannoncées, dont Baby de William Cardoso. Infos: www.danse.lu


Allez, ça y est, c’est parti pour quelques coups de peinture. Mini slalom entre cimaises.



Premier arrêt. Galerie Nosbaum Reding, dont les deux espaces sont investis par un composite plat pictural estival baptisé Krixxi Kraxxi (visuel ci-dessus) monté en sauce par Christoph Meier, artiste autrichien (né à Vienne en 1980) oscillant entre minimalisme et sculpture, voire goût scénographe, qui convoque, un peu façon Sécession, un groupement d’artistes, tous des potes… viennois.


La sérialité et la répétition font partie intégrante du travail de Meier, qui, toujours, s’adapte au lieu qui l’accueille, il s’approprie l’espace d’exposition – à chaque endroit, l’œuvre change ainsi de lecture – mais l’idée, d’abord, c’est de s’interroger sur la monstration, de subvertir les dispositifs traditionnels de présentation, bref, l’enjeu, c’est la mise en scène de l’art contemporain.


Alors, cette fois, le concept, c’est de revisiter les blancs murs de la galerie en y transposant une architecture emblématique viennoise, à savoir: les arcades – celles du viaduc acheminant l’eau de la montage, celles aussi du majestueux musée de l’Alexanderplatz – et d’y faire se rencontrer des peintures abstraites, lesquelles, selon les mots mâtinés d’ironie de l’artiste-curateur Meier, relèveraient du «no man’s land du gribouillis».


Gribouillis? Nous voilà à la signification du titre de l’expo, Krixxi Kraxxi, une expression culinaire en vogue dans les bistrots viennois – du moins ceux de l’époque du grand-père de Christoph – pour désigner/assimiler sandwichs et œufs russes «à un gribouillis dans l’assiette». Et donc, en vertu d’une surréaliste équivalence picturale, Krixxi Kraxxi serait l’onomatopée privilégiée par le quidam s’exclamant «N’importe qui peut faire ça!» devant trois points rouges sur un fond blanc.


Alors, vu de près, qu’est-ce qui se donne à voir? D’abord des toiles Sans titre du célèbre Heimo Zobernig, un touche-à-tout, un ébranleur formel et théorique, à l’aise en architecture, graphisme et dispositifs scéniques, qui, ici, l’humour en bandoulière, scotche dans les fonds acryliques des sortes de serpentins de couleur, histoire de détourner l’esthétique géométrique.


Aussi, il y a une figure muséale, Maria Lassnig (1919-2014), et sa gestuelle, sa façon, en une ample giclée d’aquarelle (œuvre sur papier de 1961), de déconstruire un dos.


A l‘aquarelle, et huile aussi, mais sur panneau (le plus souvent), il y a les formats (généralement réduits) de Titania Seidl (née en 1988), enregistrés de la vie quotidienne ou collectés dans le flux d’images numériques et qui, rassemblés, ont le poids d’une narration lâche.

A ses côtés, Lukas Thaler, fondateur (avec Titania) de MAUVE, projet curatorial. Lukas et ses petits formats matières, ses reliefs rupestres, ses faux ciments (son vrai sable de marbre), ses ruissellements en trompe-l’œil, où, solubles, surgissent lettres ou aphorismes.


Dans le menu, Melanie Ebenhoch installe des âtres en polystyrène, un décor kitsch où elle insère – comme le feu illusoire dans un foyer artificiel – des images (peintes) puisées dans un répertoire cinématographique plutôt guimauve.


Finalement, Krixxi Kraxxi c’est crazy, mais c’est aussi comme un lieu d’écriture, riche d’interprétations, de conversations, de navigations imaginaires … On rame jusqu’au 16 septembre - Galerie Nosbaum Reding, rue Wiltheim, Luxembourg, www.nosbaumreding.com



Second arrêt. Le Mudam. Avec Deep Deep Down, un nouveau regard posé sur la collection du musée – grosse d’environ 800 œuvres (voire 1.200 si l’on comptabilise chaque tirage d’une série photographique), sauf qu’en l’occurrence, dans les deux galeries (Est et Ouest) du niveau -1, c’est une sélection d’une centaine de peintures, photos et sculptures qui jouit d’un éclairage particulier.


Certes depuis 2021, pour rendre hommage aux 25 ans de la Collection Mudam, Marie-Noëlle Farcy s’était déjà fendue d’un remarquable travail d'exhumation des réserves, mais, soit, on remet le couvert, endossé cette fois par deux commissaires extérieurs, Shirana Shahbazi et Tirad Zolghadr.

Qui ont tablé non sur des thèmes, pratiques ou géographies mais sur des associations visuelles, un jeu de matières et de formats, et, il faut l’avouer, c’est réussi. Surprenant. A l’exemple, surréaliste, de cette juxtaposition, dès l’entrée dans la galerie Est, d’un petit format nocturne de Trevor Paglen, Constellation in Draco, avec l’étalage de salaisons de l'iconoclaste photographe Martin Parr.

Pour résoudre l’embarras de leurs choix, les commissaires ont définit 4 critères. Ne retenir qu’une seule oeuvre par artiste – celle qui apparaît en premier dans le registre d’inventaire (lequel inventaire tapisse les murs de la galerie Est). Commencer par le plus petit objet, puis décliner par dimensions (dans l’exemple de Trevor Paglen, la déclinaison se termine par le monumental format photographique, Rachel Auburn and Soon, de Wolfgang Tillmans). Et opter pour l’ordre alphabétique dans la galerie Ouest, là où quelques œuvres sculpturales trouvent également leur place – du grand socle blanc de Didier Vermeiren à la petite bonbonne de gaz décorée comme un carrelage de Delft par Wim Delvoye, entre les deux, du feutre saumon, un rocher de Su-Mei Tse et un tapis circulaire de charbon.


En circulant, on repère des Luxembourgeois, Germaine Hoffmann, Filip Markiewicz et son Mao dollar géant, Laurianne Bixhain. Suis tombée en amour pour Cy Tombly. Mais l’exceptionnel moment magique, c’est le portrait d’Edward Steichen par Man Ray, et celui de Franklin D. Roosevelt par Steichen.


Quant aux œuvres audiovisuelles – en débutant par la plus courte –, elles sont diffusées dans l’Auditorium:11 heures de projection en boucle !


Sinon, dans le Foyer, une installation de caisses. Celles de la conservation qui disent tout autant le transport, le voyage idéal de l’art. Donc, ici, au pied de l’escalier, dans le vaste espace séparant/reliant les deux galeries, les caisses qui ont abrité/protégé les oeuvres ayant l’heur d’être exposées, mêlées à celles qui invisibilisent tout ce qui est encore voué à dormir dans les réserves (visuel ci-dessus), mais toutes «coiffées» de petites galettes noires, des coussins, afin de favoriser, en version confortable, des rencontres et discussions, soit: l’art au sommet.


Se fondre dans Deep Deep Down (jusqu’au 18 février 2024) n’empêche pas d’aussi (re)découvrir la formidable expo du rez-de-chaussée, Dancing with my Camera de l’artiste indienne Dayanita Singh qui agence sa portative, voyageuse création photographique en des structures meubles, des malles, des livres-objets. Alors, sachez que, chaque mardi, le Mudam vous invite à endosser le rôle de commissaire d’expo, d’intervenir dans le Suitcase Museum, l’une des œuvres d’art exposées.


Ledit Suitcase Museum est composé de 88 images présentées dans des livres-objets placés sur un mur blanc. 88 images, 44 livres-objets et 44 emplacements sur le mur pour les réarranger. Donnez-leur un nouveau sens selon votre propre vision.


Infos: Mudam, Musée d’art moderne Grand-Duc Jean, 3 Park Dräi Eechelen, Luxembourg Kirchberg, (fermé le mardi), www.mudam.com

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