Je vous apporte une bonne nouvelle. On ne tue pas le temps. Ou alors, comment faire? Avec un dé de curare, une pince-monseigneur, un flingue, un lance-pierre, une arbalète, tu vises et tu tires?
En même temps, poser la question par la plume de Baudelaire, «tuer ce monstre-là, n'est-ce pas l'occupation la plus ordinaire et la plus légitime de chacun?», c’est y répondre: oui, il y a moyen de tuer le temps.
Sauf que ce n’est pas simple, en tout cas pas d’un coup de tapette comme pour une mouche ou une guêpe. Surtout, est-ce conseillé? Parce qu’en vrai, le temps se débrouille tout seul, «il n’a pas besoin de nous pour ça, il meurt à chaque instant» (dixit Michel Deville, réalisateur). Mais, en l’occurrence, est-ce condamnable ? Sinon, serait-ce de la légitime défense? Et puis, une fois le temps tué, qu’adviendrait-il ? – sachant, pour les comptables angoissés, que sans temps, point d’argent!
Le temps, c’est une fichue histoire, qui a accouché de nos horloges – celles-là qui fabriquent des jours égaux (merci Proust) – et d’une quantité colossale d’éminentes pensées sacralisant les physiciens, anthropologues, philosophes et poètes, avec Einstein et Stephen Hawking en tête de peloton.
Toujours est-il que pour mon voisin, comme pour moi, le temps qui passe – c’est son job – avec ses deux boulets tenus en laisse, l’ennui et l’agonie, ça peut vous pousser au meurtre.
Alors disons que le temps qui passe, tu le passes comme tu peux. Simone de Beauvoir dira que «se contenter de» en attendant que le temps nous tue, c’est trop peu. Je dirais qu’il ne manque plus que Brel au tableau, qui trie le temps en deux sortes, «le temps qui attend et le temps qui espère», et là, du coup, parfois, ça se confond.
Bon, il suffit. Je dirais même qu’il «suffit de». Il suffit d’essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple (Prévert). Et pourquoi se plaindre des ombres, puisqu’il suffit de les éclairer – pour autant, par la canicule qui court, l’ombre est plutôt salutaire, prouvant, s’il le fallait, que le temps est aussi relatif que variable!
Le sujet n’en finit pas de diviser. Pour les uns, il s’agit de prendre son temps – à différencier de ceux qui n’ont rien à faire, distincts de ceux qui ne font rien –, pour les autres, il s’agit de ne surtout pas le perdre – à distinguer de ceux qui cherchent à en gagner.
En fait, il en va du temps comme de la mer, c’est elle qui prend l’homme, non pas le contraire. Ce qui n’empêche pas les quidams de s’entasser par milliers sur une plage à marée haute, l’espace ainsi rétréci gênant le temps… à prendre du bon temps.
C’est que cette fichue histoire du temps marche mal sans l’espace.Et finalement, cette histoire ressemble à celle du virus, écrit Thomas Gunzig, qui la compare… à l’art contemporain: «tout le monde a un avis, tous les avis sont contraires et fondamentalement personne n’y comprend rien».
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