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Transhumance

  • Marie-Anne Lorgé
  • 4 juil.
  • 6 min de lecture

Le solstice a frappé, amputant déjà le jour d’une minute de lumière. Toutefois, pas de quoi gâcher la fête, dont guinguettes au bord de l’eau, barbecues entre amis et festivals – et à ce niveau, la marmite bouillonne, on ne compte plus les scènes musicales plein air, auxquelles s’ajoutent les incontournables, à l’exemple d’Avignon, le plus grand festival d’arts vivants au monde, un chaudron où les cigales suent autant que les mythiques remparts – des productions luxembourgeoises sont de la partie, hormis la décalée mais salutaire version du Misanthrope selon Isabelle Bonillo, du 5 au 26 juillet – et Arles, où les Rencontres photographiques, dès le 7 juillet, et jusqu’au 5 octobre, s’annoncent engagées et indociles – le Luxembourg y souscrit, avec Carine Krecké qui, dans la chapelle de la Charité, expose son abyssale plongée dans le conflit syrien, une enquête numérique inouïe où l’artiste a failli… Perdre le nord.


Sinon quoi? Il a fait chaud. Et c’est encore attendu. Mais encore?



Eh bien, je fais moisson de cartes postales – ces petits rectangles illustrés charriant des souvenirs qui font un bien fou tant à écrire qu’à recevoir – et je cueille des mots qui collent aux semelles de l’été, au besoin du «partir».

Et trois expos semblent y faire écho, du moins par leur titre, à savoir: L’appel du large, Transhumanz et Arkhè. Pour le coup, on pérégrine en 3 sites, et la promenade s’annonce belle… du moulin de Beckerich au Centre d’art contemporain du Luxembourg belge à Montauban-Buzenol (incontournable site de bouture des arts et de la nature), en passant par le Pomhouse de Dudelange, là où Liz Lambert nous immerge dans une pratique ancestrale magnifique, l’estivage, le déplacement saisonnier des moutons (visuel ci-dessus)… bien plus attachant que la migration des caravanes, ces troupeaux métalliques qui ronflent et bouchonnent les autoroutes.


Avant de chausser nos bottes de sept lieues – sachant que mon premier arrêt sera Beckerich, à la Millegalerie, où l’expo des portraits photographiques de Mars Lépine expire déjà le 6 juillet –, juste quelques mots pour saluer deux prix.



Alors, les jeux sont faits, le Prix de la sculpture Schlassgoart 2025 vient d’être décerné à l’unanimité, et sans surprise, au duo d’artistes franco-luxembourgeois Martine Feipel et Jean Bechameil pour une oeuvre qui met en perspective la place de l'homme sur cette planète et la relation qu'il entretient avec la nature. Cette oeuvre envisagée dans un format moyen (85 X 75 X 50 cm) et dans un matériau non encore défini – céramique émaillée ou aluminium – associe (je cite) «des fragments dont l’assemblage condense le message: un pied, signe de la présence de l’homme au monde depuis l’Antiquité; et des algues qui l’entourent et le traversent, suggérant une hybridation harmonieuse dans laquelle l’humain et le végétal sauraient habiter ensemble» (visuel ci-dessus).


Ensuite, notez que le vibraphoniste luxembourgeois Pascal Schumacher et la pianiste germano-grecque Danae Dörken ont été récompensés par l’Opus Klassik 2025  la plus haute distinction dédiée à la musique classique en Allemagne dans la catégorie «Neue Klassik» pour leur album Glass Two – autour de l’univers hypnotique de Philip Glass paru sur le label berlinois Neue Meister. Remise des prix les 11 et 12 octobre à Berlin.



C’est l’heure de répondre à L’appel du large.


Mars Lépine n’est pas devenu marin, il n’a pas pris la mer mais… la clé des champs. Pour autant, son Appel du large est un voyage, un chemin vers soi (visuel ci-dessus). Où, après un besoin de recul, comblé/consolé/apaisé au contact de la nature, est revenu le goût de l’autre. De la rencontre. Et de ce qu’elle raconte par la photographique.


En vrai, le portrait photographique selon Mars Lépine, c’est d’abord une histoire de face-à-face qui s’oublie dans un temps qui prend son temps. Le résultat réussit là où les mots échouent: ce n‘est pas une image mais le transfert vibratoire d’une conversation muette, seuls les yeux parlent, des étincelles plantées dans un visage gravé par les ombres.


«Oublier le pour et le pourquoi/ s’égarer dans les nuances des gris», écrit Mars Lépine, qui s’accroche aux gros plans comme s’ils étaient le lieu idéal de la confidence. Tout contexte est aboli, reste une atmosphère, quelque chose de l’ordre du respect, perméable au grain du papier, proche du graphite.


Du reste, dans la blancheur et la lumière de la petite Millegalerie de Bekerich, les portraiturés – tous des hommes ! – sont aussi noueux que des arbres, comme les électrons solitaires mais résilients d’une forêt humaine qu’un seul regard a suffi à tenir debout.


L’appel du large, c’est un rendez-vous irrésistible – le site (le moulin) l’est aussi  encore ces 5 et 6 juillet, de 14.00 à 18.00h (aussi ce 4/07 à condition de se dépêcher !).  Infos tél.: 621.25.29.79 ou www.kulturmillen.lu



Autre rendez-vous photo majeur, celui de Liz lambert, photographe autodidacte née au Luxembourg en 1993, lauréate de la Bourse CNA X LUGA 2024, qui, des mois durant, a suivi l’une des dernières bergeries du Luxembourg pratiquant encore la transhumance, cette tradition  inscrite en 2023 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO qui aujourd’hui perdure, s’obstinant à traverser les prairies, mais aussi les villages et, plus étonnant, les paysages urbains, à commencer par le Kirchberg. 


Liz Lambert documente donc le périple des moutons et de leur berger… flanqué du chien, à la fois gardien et compagnon, et le résultat, éminemment sensible, se découvre actuellement au Pomhouse à Dudelange. En clair, l’expo, sobrement intitulée Transhumanz, est sublime, conforme à la démarche: mettre en lumière une pratique que notre société de l’instantané et du profit a peu ou prou refoulée – du reste, qui sait encore qu’elle résiste au Luxembourg? et raconter à quel point elle façonne les relations entre l’animal, l’homme et le territoire.


Ainsi, l’artiste documente mais sa photographie n’est en rien documentaire, c’est un regard poétisant et humanisant qui capture à pas lents, et à coups de cadrages souvent inattendus, toujours bienveillants, en tout cas aussi admiratifs que respectueux, les interactions subtiles entre le troupeau et son environnement humain et agreste.  


C’est une traversée, où Liz se place tantôt à hauteur de brebis – observant de face ou en coin la marée des laines et des museaux, les escapades de quelques rebelles, celles qui s’isolent ou s’aventurent sur les trottoirs et dans les jardins parce que, oui, le pastoralisme franchit champs et forêts jusqu’au Kirchberg (ce qui devrait surprendre moult citadins) , tantôt à côté du berger…


Et le berger, c’est une silhouette en retrait mais attentive, parfois saisie par les mains, celles du soin, de la tonte ou de la coupe des ongles. Le labeur est intense mais paisible, qui se raconte au travers d’une paire de bottes ou de quelques outils et filets (visuel ci-dessus); intense mais calqué sur le rythme de l’animal, des heures et des saisons.


Au milieu, il y a Liz, dont les images créent une communauté bergère par l’intime. Liz et son émotion, à l’affût du détail (notamment échappé d’un rétroviseur) ou submergée par ce qui la dépasse, la divine lumière du soleil couchant quand ce n’est par le mystère de la nuit.


Avec son travail, Liz Lambert interroge la place de la transhumance dans nos sociétés contemporaines, explorant son rôle dans la préservation de la biodiversité et son impact sur les dynamiques entre le rural et l’urbain, surtout Transhumanz célèbre une harmonie: il y a les moutons, il y a le berger, il y a le chien et il y a Liz en communion avec/dans le paysage.


Un essentiel et bouleversant manifeste du vivant, jusqu’au 21 septembre. Infos: www.cna.lu



On transverse la frontière. Jusqu’au verdoyant site de Montauban-Buzenol, écrin du CACLB (Centre d’art contemporain de Luxembourg belge) et d’une expo collective intitulée Arkhè.


Arkhè, terme grec signifiant à la fois commencement et fondement, tisse un dialogue entre matières, formes et temporalités. Avec les artistes Mélanie Berger, Laura Colmenares Guerra, Adrien Degioanni, et le Studio Biskt.


Mélanie Berger expose des dessins à l’aléa de l’huile dans l’Espace René Greisch. Une création délicate qui dépend de la luminosité et de l’humidité. Selon leurs variations, les options changent, et l’huile et les pigments modifient leur mélange. Puis par ajout ou soustraction, par superposition, le travail en cours et en couches apparaît-disparaît, jusqu’à ce qu’advienne alors une vie inédite (visuel ci-dessus). Je vous raconte très vite…


 … tout comme l’histoire du silence qui résonne de bruits inouïs qu’Adrien Degioanni capture au coeur de l’architecture du bureau des forges. Sinon, à l’extérieur, sur l’étang et dans les ruines de la halle à charbon, Charlotte Gigan et Martin Duchêne (alias Studio Biskt) déclinent des éléments aux allures végétales, des bancs et surtout des arches, déjà remarquées dans le parcours des sculptures organisé par Luxembourg Art Week en novembre dernier.


Sur le tout, je reviens tout prochainement. Mais planifiez sans tarder une immersion dans le site de Montauban-Buzenol, parce que c’est tout bonnement magique.

Expo (entrée libre) jusqu’au 24 août, du mardi au dimanche de 14.00 à 18.00h. Infos: www.caclb.be

 
 
 

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