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Tissures

  • Marie-Anne Lorgé
  • 29 nov.
  • 7 min de lecture

Mes hôtes du jour se prénomment Krystyna, Eric, Roma, Mariette et Maria, à qui d’ailleurs j’emprunte Tissure, un mot ancien qui dit l‘entrecroisement (visuel ci-dessous), ces liens parfois improbables que je tresse par l’écriture…


Aussi il y a Charles, Charles Arendt (1825 -1910), premier architecte de l’Etat luxembourgeois et figure majeure du XIXᵉ siècle. L’expo qui lui est consacrée au LUCA (Luxembourg Center for Architecture,1 rue de la Tour Jacob, Grund) nous mène sur ses traces à travers des œuvres emblématiques, où chaque pierre raconte une histoire et chaque façade reflète l'esprit d'une époque, façonnant le visage du Luxembourg moderne – jusqu’au 31 janvier.  


Sans oublier Lambert. L’écrivain Lambert Schlechter (né en 1941), qui se raconte dans Le voyageur immobile, un magnifique court métrage documentaire réalisé par Serge Wolf, en l’occurrence projeté en présence du poète le jour de son anniversaire, le 4 décembre (à 19.30h), ce, au Théâtre de Mersch.  


Dans la foulée ciné, notez que la 2e édition du Short Film Day a lieu ce dimanche 30 novembre au Ciné Utopia, et que parmi les 15 courts métrages du programme, il y a la projection de Endstatioun, réalisé par François Baldassare et produit par Canopée Produktion (2022), un court de comédie qui a fait le tour de 25 festivals. L’histoire suit Denis, un quadragénaire désœuvré et malchanceux, qui réalise à ses dépens que croire au Père Noël n’est pas un jeu d’enfant. Avec Pitt Simon, Joël Delsaut, Pablo Andres e.a.


Croire au Père Noël?


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Novembre nous a offert un premier assaut hivernal, et partout, des lumières trouent la nuit des villes – j’entends, «c’est bientôt Noël, on prépare», en fait, même en mode kitsch, voilà une tentative de pied de nez au désenchantement du monde.


Ce qui me fait penser à une phrase, Quelque chose d’absent me tourmente. C’est une phrase bouleversante de Camille Claudel, extraite d’une lettre qu’elle adresse à Rodin. Une phrase que l’auteur Laurent Mauvignier kidnappe pour intituler son dernier livre, un rétroviseur sur son parcours, écrit juste après La Maison vide, cette quête familiale intense, truffée de non-dits, qui lui a valu le Goncourt 2025.

C’est à lire sans attendre que le rituel cadeau s’échoue sous le sapin ou… que la neige tombe.


Sinon, le désenchantement du monde, c’est aussi ce qui se trame dans le Livre de l’Intranquillité du poète portugais Fernando Pessoa (né en1888, décédé il y a 90 ans, le 30 novembre 1935), la chronique suprême de la dérision et de la sagesse mais aussi de l’affirmation que la vie n’est rien si l’art ne vient lui donner un sens (dixit François Busnel).

 

Voilà qui me permet de vous signaler un événement, à savoir, le lancement d’une anthologie française de l’œuvre phare de Pessoa – traduite par Sonia da Silva –-, ce, le 9 décembre, à 18.30h, au Centre culturel portugais - Camões (Place Joseph Thorn, à Luxembourg-Merl), et de vous parler… d’art. 


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L’art et la manière de tresser les feuilles de palmier nain de Maria João Gomes, une sculptrice du monde végétal. L’expo intitulée Tissures est précisément accessible au Centre culturel Camões jusqu’au 10 janvier – je vous en cause plus bas – , sachant qu’une oeuvre monumentale de Maria João a aussi été exposée à la 5e Biennale De Mains De Maîtres (qui a fermé ses portes au 19Liberté, le 23 novembre, après avoir drainé une foule incroyable).


Biennale De Mains De Maitres où l’on a également pu croiser la création de Tine Krumhorn, sa façon de parler de solitude et d’absence à travers le paysage, en l’occurrence né du pliage d’un matériau pauvre, le carton, un pliage à tel point vibratoire que, grâce à la lumière filtrée à travers les rainures, surgit l’illusion d’une fine brise (visuel ci-dessus).


Pour ce geste à haut potentiel sensible, Tine vient de décrocher le «Prix du public de la Ville de Luxembourg», le premier du genre, nouvellement créé par le CAL (Cercle artistique de Luxembourg) dans la foulée de son Salon (qui s’est tenu au Tramsschapp du 1er au 16/11), où 1.300 visiteurs ont eu l’opportunité de voter pour leur artiste préféré(e) parmi les 44 exposants, hissant du coup Tine en tête.


En fait, Tine Krumhorn, on a déjà pu la découvrir, en octobre 2024, dans la Millegalerie, qui tire son nom du site qui l’héberge, le moulin de Beckerich. C’est l’heure d’y faire une nouvelle halte. Pour une noce du… Blanc.


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Le blanc du lieu, celui de la porcelaine et celui du gaufrage. Et, dans la même communion, et le même temps suspendu, et l’inouïe luminosité, une simplicité de la forme et de la ligne.


La ligne selon Mariette Flener, membre d’Empreinte, atelier de gravure Luxembourg, c’est la spirale, symbole du mouvement, de l'énergie, aussi du cycle cosmique, et de la naissance à la mort. Un motif – créé en relief sur le papier par pression, sans ajout d’encre – qui parfois se délite, s’échappe sinueux, comme une sorte de calligraphie, une constellation de signes graphiques raconteurs d’un lien avec le rêve ou la terre – un dé de surréalisme, de subconscient et d’esprit proche du Petit Prince. Gaufrages souvent en petits formats carrés, hormis 3 oeuvres sur papier trempé, épongé, séché/pressé, 3 grandes suspensions d’une tactilité proche de la suédine.


Et la porcelaine, fine, translucide, c’est le territoire de Roma Babuniak – moult fois primée – qui façonne des petites formes aux allures de coquetiers, et sans doute que c’est le cas, donc, de cette forme à l’oeuf il n’y a qu’un pas, vite franchi. L’œuf et sa cosmogonie, ici, sublimé par la délicatesse, la virtuosité de l’ouvragement, rehaussé de minuscules perles (visuel ci-dessus). L’oeuf et sa coquille aussi hirsute qu’un minéral, veinée par d’infimes fragiles strates ou par des sortes de micro bouloches, autant de vers de mer remontés d’une marée imaginaire, et du fond des âges.


Un nuage de blanc, apte à gommer les gris et les suies, ainsi flotte dans l’espace de la Millegalerie jusqu’au 7 décembre, du jeudi au dimanche de 14.00 à 18.00h, et sur rendez-vous tél.: 621.25.29.79, infos: www.kulturmillen.lu


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Et hop, cap au sud, à la rencontre d’une plante endémique de la chaîne montagneuse de l’Algarve (Portugal), le palmier nain, et de celle, Maria João Gomes, qui, en récoltant, séchant et tressant les feuilles dudit palmier, non seulement perpétue un savoir-faire traditionnel – que, du reste, elle renouvelle de singulière façon – mais incarne un mode de décélération: ses Tissures sont un accès à une autre temporalité, une invitation à se recentrer, nous, quidams visiteurs, à l’exemple de l’artiste.


Une artiste (née en 1967) qui a décidé de vivre en quasi recluse dans le sud du Portugal depuis 2010, en tout cas, hors de tout circuit touriste, mais dont les oeuvres – créations contemporaines, parfois abstraites, toujours poétiques, à l’exemple d’une installation évoquant une circulaire barrière de corail (visuel ci-dessus) – sont prisées internationalement. Tout comme les accessoires extravagants qui l’amènent à collaborer avec des créateurs de mode. Une reconnaissance qui s’exporte désormais à travers Palmas Douradas, la marque que Maria João a fondée.


Toujours est-il que là, dans l’espace d’exposition du Centre culturel Camões, au milieu d’objets hâtivement qualifiés de vannerie, l’artiste nous parle avec fierté et respect de son processus de création dont elle maîtrise chaque étape, de la cueillette au tressage, en passant par la fabrication des fines cordes servant à nouer ou à coudre les feuilles blanchies puis tressées, pour au final donner forme à une gamme d’amphores ou de fluides compositions murales, toutes uniques, toutes en partage comme des petites mémoires éveillées.


En fait, Maria João ne produit pas, elle écoute la matière, le monde végétal, sa complexité et sa fragilité, et elle en prend soin, par les mains, par un geste qui réactive un patrimoine naturel et culturel, tout en célébrant une terre, un pays, un vécu personnel – son enfance, sa famille – et une foisonnante créativité.


Et puis, avec Tissures, c’est ainsi, aussi, que la nature entre dans la maison…


A voir sans modération jusqu’au 10 janvier, du lundi au vendredi de 9.30 à 13. 00h et de 14.00 à 17.30h.


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Avec Eric Schumacher, la nature rentre aussi dans la maison… A la faveur d’une promenade d‘escargots.


Déjà, lors du parcours «Art Walk» mis sur pied à travers la ville par la LAW (Luxembourg Art Week), vous avez sans doute croisé les monumentaux Monolithes de remerciement – blocs de béton blanc superposés, gravés d’une combinaison typographique partant du mot Thank You – de ce sculpteur-assembleur minimaliste qui utilise l’univers urbain et le langage de la construction pour créer une œuvre ambivalente, où espaces public et privé se télescopent.


C’est encore plus vrai/clair dans son actuelle expo à Dudelange, au Centre d’art Nei Liicht, habité par une série de plaques aux allures de béton – la texture est brutaliste mais, en fait, il s’agit de polystyrène recouvert de couches de résine acrylique et de silicone –, des plaques de tailles et de formes toutes différentes mais toutes sculptées de motifs en losanges – faisant écho aux vitraux, sacrés ou classieux –, autant de reliefs dupliqués à l’identique, et sur lesquels, comme des moules sur leur rocher, s’accrochent des escargots, des petits et des gros (visuel ci-dessus), sauf qu’à y regarder de près, attentivement, il est possible de repérer un spécimen particulier, celui qui tourne sur lui-même.


Et voilà comment un matériau de chantier se déguise, adopte une fonctionnalité autre, celle, esthétique, d’un mobilier privatif, tel un cache-radiateur ou un portique par exemple – ce qui du reste éclaire le titre de l’expo Driveway Gate Inspiration (Inspiration pour portail d’allée) –, en tout cas, de cette permutation ou inversion extérieure-intérieure, et vice versa, ceux qui n’en ont cure, ce sont… les escargots. A méditer jusqu’au 25 janvier.


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A deux pas, au Centre d’art Dominique Lang, la photographe Krystyna Dul propose You & I Are Earth, où elle réunit deux séries d’œuvres dans une réflexion sur le lien – à soi, aux autres, à la terre.


Je vais revenir sur ce travail-récit perfusé par l’identité féminine, le corps, l’intimité, mais m’attarde pour l’instant – via le visuel ci-dessus – sur la série The Burden Im Wearing (Le fardeau que je porte), une exploration du vêtement comme archive sensible (dixit Fanny Weinquin), comme métaphore à la fois du poids de la consommation, des injonctions faites aux femmes d’être dociles sous l’apparat et de tout – odeurs, textures, couleurs – qui fait du vêtement un accélérateur ou transmetteur de souvenirs… qui parfois plongent dans l’enfance.

 

Et donc, The Burden Im Wearing, c’est une série de 17 autoportraits très picturaux, où l’artiste, immobile face à l’objectif, pastiche les poses de madone, reine ou autre grande figure féminine de l’histoire de l’art, ensevelie sous une montagne de manteaux, chemises, châles, tous faisant partie de sa garde-robe personnelle; chaque portrait se concentre sur une catégorie textile, la solennité côtoie la douceur, la lassitude souvent, l’ironie parfois, voire l’absurde – à l’exemple du sac à main dont Krystyna se coiffe, encombrée d’autres sacoches, pochettes et cabas.

 

Sur le fond bleu, le regard est fixe, déterminé, le corps se tait, ce sont les étoffes qui parlent…

 

 On écoute… jusqu’au 25 janvier – du mercredi au dimanche de 15.00 à 19.00h.

 
 
 
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