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Marie-Anne Lorgé

Sous le soleil des Médicis

On sort. Au Musée (antidote anti blues et anti viral). Pour s’aérer les yeux (et le reste).


Nous sommes à Florence, ville amoureuse d’art, grandement redevable à la dynastie de banquiers et mécènes que furent les Médicis (Medici en italien) et ce, trois siècles durant (de 1434 à 1743). Et nous sommes au MNHA (musée national d’Histoire et d’Art) qui plonge les cimaises de son 4e étage dans un bain cerise, une couleur qui n’égale toutefois pas le rouge Medici, lequel tirait davantage sur un violet lie de vin. Le décor est à la fois théâtral et élégant, et c’est là que s’expose le style florentin baroque (XVIIe siècle), «moins couru» que l’art de la Renaissance, donc, plutôt méconnu, mais aussi fastueux que particulier, auquel une collection rend toute sa splendeur, celle de la famille Haukhol. Une collection privée, mais unique, et pour la première fois montrée en Europe.


Intitulée Beyond the Medici, l’expo est une histoire de transmission. Tout en étant l’occasion de mettre en lumière (s’il le fallait encore) le rôle prépondérant de la famille des Médicis dans la production artistique italienne, et l’importance de Florence alors aux mains des Médicis, l’expo met aussi le doigt, par sa plongée dans l’Italie de la fin du XVIe siècle, sur ces autres éblouissants foyers du baroque italien que furent Naples et Bologne, grâce en l’occurrence à trois tableaux, notamment de Stanzione et de Giarola, prouvant par l’exemple que les écoles étaient perméables, qu’elles avaient chacune leurs caractéristiques, que les artistes savaient ce qui se passait aussi bien à Rome qu’à Venise, et que tout ce petit monde s’influençait.


Et transmission dis-je, car cet art favorisé par les Médicis, une famille américaine (allemande d’origine, immigrée dans le Midwest) le collectionne depuis six générations. Une famille qui a tiré sa fortune de la mise en bouteille du lait (au milieu du XIXe siècle), famille aujourd’hui incarnée par Sir Mark Fehrs Haukohl, basé à Houston (Texas). Qui, depuis plus de 35 ans, voue aux artistes florentins du XVIIe une véritable passion. De quoi assembler une collection unanimement saluée comme la plus grande du genre hors Italie et hors Etats-Unis, voire au monde, avec des peintures, certes, mais aussi des hauts-reliefs et des dessins. L’expo en épingle les plus belles pièces – une trentaine au total, jointes à 9 œuvres appartenant à la collection du MNHA – réparties en trois salles.


Trois salles dont une entièrement dédiée aux Dandini, à Cesare (1596-1657), à son frère cadet Vincenzo (1609-1675) et à son neveu Pietro (ou Pier, 1646-1712). Et pour cause, c’est une famille (encore une!) qui joue un rôle majeur sur la scène artistique de Florence tout au long de l’ère baroque (de 1620 vers 1750) et surtout, c’est le point de départ de la fièvre collectionneuse du futur Sir Mark, qui, alors jeune homme – il est né à Milwaukee, dans un Wisconsin rompu au blizzard –, s’était rendu chez Sotheby’s, à New York, un jour de janvier balayé par une tempête de neige: dans la salle de vente conséquemment déserte, Sir Mark portant son dévolu sur une toile signée Dandini, avait dès lors raflé la mise pour une bouchée de pain. La légende est née. Elle circule avec la collection.


Beyond the Medici, collection privée dédiée à l’art florentin baroque, collection itinérante, a donc circulé aux Etats-Unis, elle circulera en Europe et le MNHA est la quatrième étape européenne (après un lancement en Allemagne en octobre 2018).

C’est le royaume de la couleur, d’une impressionnante intensité du rouge et du bleu. Défilent des sujets profanes, des scènes de genre, des allégories, des motifs religieux, des portraits traités selon une approche non académique, soit: contact direct des personnages, qui regardent frontalement le spectateur, toujours parés de somptueux velours, le tout rehaussé par des cadres inouïs, souvent démesurés, pesant (jusqu’à 60 kgs) sous la profusion d’ornements: il y a des originaux, des copies aussi, tous «traduisent l’authentique flair du temps», pour le moins rutilant – ce qui n’empêche pas l’expo de s’ouvrir sur des petits formats, des tableaux hexagonaux, imprégnés d’un idéal spécifique: «la poétique de l’émotion», visant «à restituer l’individualité des personnages».


Dans le défilé – à vous donner le tournis –, attardez vous sur les hauts-reliefs en stuc polychrome d’Antonio Montaudi qui portraiture Machiavel, Galilée et le poète philosophe Marsilio Ficino, raccord en cela avec le profond intérêt du baroque florentin pour la science. Pour les lettres aussi. Ainsi que pour le «disegno» (dessin ou étude préliminaire).


Parmi les points d’orgue de l’expo, notez Onorio Marinari: tout un pan de la 3e salle le consacre à la faveur de quatre tableaux, arc-boutés sur des sujets bibliques et mythologiques, dont un raffiné Apollon et sa lyre. Et puis – outre l’Arlequin de Domenico Ferretti, peintre florentin le plus important du XVIIIe siècle, fondu de Commedia dell’Arte, inspiré sans doute par le séjour à Florence du dramaturge vénitien Carlo Goldoni, et la splendide nature morte de Bartolomeo Bimbi, représentant des fruits d’après nature, avec une précision encyclopédique –, notez enfin Le banquet de Cléopâtre et Marc-Antoine: cette vaste toile de Pier Dandini, de cette dynastie de peintres qui s’est fait un nom avec des portraits féminins – on voit une sensuelle Cléopâtre offrir une perle à Marc-Antoine au milieu d’une fresque atmosphérique – est une œuvre de la collection du MNHA qui saisit ainsi l’occasion de l’exposer… pour la première fois. Voilà qui devrait hameçonner notre plaisir.


Vidéo-guidage prévu en ligne riche en commentaires.


Me reste aussi à brièvement signaler que le MNHA présente parallèlement The Museum Project, un projet photographique qui repose sur une donation et dont je vous parlerai prochainement.


Photo:

Giovan Domenico Ferretti (1692-1768), Arlequin et sa compagne, huile sur toile (The Haukhol Family Collection).


Infos:

Musée national d’Histoire et d’Art (MNHA), Marché-aux-Poissons, Luxembourg: Beyond the Medici. L’art florentin baroque – The Haukhol Family Collection, jusqu’au 21 février 2021. Avec programme de visites (débats et thématiques) et d’ateliers pour adultes (avec le dessin figuratif comme point de départ, en compagnie de l’artiste Pit Molling) – www.mnha.lu

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