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Saison rousse

  • Marie-Anne Lorgé
  • 23 oct.
  • 9 min de lecture

Depuis quelques semaines, c’est le grand voyage des oiseaux, avec un pic migratoire normalement observé mi-octobre, du moins pour les pinçons des arbres, les alouettes des champs, les vanneaux huppés – les hirondelles, elles, ont déjà fait leurs valises en août et septembre –, tout est question de météo et de climat mais aussi d’agenda génétique. Toujours est-il que l’apothéose du phénomène, c’est la sonore chorégraphie des grues cendrées, un spectacle partiellement en cours… comme pour nous distraire d’un temps de Toussaint.


Idéal temps toutefois pour s’accorder un bain forêt, ce qui ne dispense pas d’aussi pérégriner dans les affûts… de l’art, ces lieux dits d’exposition qui sont des espaces de métamorphoses… Et mon magicien du jour, c’est David Claerbout, qui interroge en profondeur notre perception du temps, de l’image et de la mémoire à la Konschthal Esch.


Ce qui, quand même, ne m’empêche pas de vous signaler une ultime excursion magnifiée par les tons de saison, celle qui vous conduit au cœur sylvestre de Montauban-Buzenol, site du CACLB (Centre d’art contemporain du Luxembourg belge). Là, très précisément à côté de la vieille halle à charbon, donc en plein air, se dresse une structure en acier, un escalier entièrement engrillagé, de sorte qu’au dernier étage, on se sent piégé comme un hamster dans sa cage, sauf qu’alors… la vue plonge dans le panorama, les bois et les étangs.


Au final, ce nous révèle ce dispositif aussi physique que métaphorique créé par Leander Schönweger, artiste italien (né en 1986) basé à Bruxelles, c’est qu’en s’élevant, on décongestionne du même coup son regard et son esprit. Comme remis à l’état neuf, d’où le titre de l’installation, Etat IX. A tester jusqu’au 31 mars.


Sinon….


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Vidéaste et photographe belge contemporain (né à Courtrai en 1969) salué internationalement pour sa pratique singulière à la frontière de l’expérience visuelle et sensorielle, David Claerbout, biberonné à la phénoménologie et au concept de «différence» et de «répétition» cher à Gilles Deleuze, est donc actuellement accueilli à la Konschthal Esch, et c’est un hôte inouï.


En fait, je dirais que l’œuvre de David Claerbout est une métaphysique de l’art; en tout cas, à la croisée du cinéma expérimental, de l’installation vidéo et de l’animation numérique, ses œuvres en mouvement et images fixes s’ancrent résolument dans le territoire de la poésie et celui de la beauté, mêlées à un travail sur la durée absolument hors du commun. De quelques minutes en boucle se dégage une sensation d’éternité.

Immersion garantie dans un autre espace-temps – cfr le visuel ci-dessus: The Woodcarver and the Forest, une œuvre programmée pour durer plusieurs années; il s’agit d’une installation vidéo performative déguisée en une agréable scène méditative – centrée sur le lent ouvrage d’un sculpteur sur bois, un artisan de cuillères – pour masquer une impitoyable déforestation, les arbres entourant la villa moderniste étant progressivement abattus… pour fabriquer des objets en bois.


Ce qui est clair, c’est que tout ne se regarde pas d’une traite – d’autant que le corpus d’œuvres intitulé Fifty Hours, Fifty Days, Fifty Years occupe tous les étages; il est impératif de prendre son temps, sans quoi vous risquez de louper une expérience unique. D’ailleurs, l’artiste le dit lui-même, son oeuvre est d’abord à vivre… jusqu’au 22 février. J’y reviendrai.


Et parce qu’un bonheur n’arrive jamais seul, notez un autre rendez-vous de David Claerbout, nommé At the window, ce, au château de Gaasbeek (périphérie de Bruxelles), jusqu’au 16 novembre.


Sinon, ci-dessous, je m’attarde sur €AT au Casino Luxembourg, aussi sur Art Walk, le parcours de sculptures (Sculpture Trail) et de Capsules émaillant (depuis le 15 octobre) le programme hors les murs de Luxembourg Art Week dont la 11e édition réunit 77 exposants au Glacis du 21 au 23 novembre – télescopant ainsi, à peu de chose près, De Mains de Maîtres, biennale consacrée à l’excellence des métiers d’art, en l’occurrence arrimés au thème de la Nature singulière, ce, du 19 au 24 novembre, au 19Liberté. 


En vous rappelant qu’en amont, du 12 au 16 novembre, c’est le Luxembourg Design Festival qui débarque…


Et que, déjà, le Salon du CAL s’installe au Tramsschapp (49 rue Ermesinde au Limperstberg) du 1er au 16 novembre – il y sera notamment décerné le Prix Grand-Duc Adolphe. Vernissage le 31/10, dès 18.00h.


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Sinon, que vous dire encore?


Que La Nuit des Idées édition 2025 aborde le thème Pouvoir agir. Au moment où le séparatisme et les replis identitaires fracturent nos sociétés, ladite Nuit qui a lieu ce 23 octobre à neimënster, pose une question lors d’une table ronde multilingue (à 20.20h): face à la montée de l’abstention, quelle forme pourrit pendre le débat public dans nos démocraties? 


Que les six artistes du Sixthfloor – Tom Flick, Nadine Cloos, Katarzyna Kot-Bach, Joachim van der Vlugt, Wouter van der Vlugt et Mars Lépine – nous convient à une expo de fin d’année sous forme de «Week of Art», du 26 octobre au 2 novembre, tljrs entre 14.00 et 18.00h. Vernissage, au 3 Neimillen, à Koerich, le 25/10, à partir de 14.00h.


Qu’à 12 kms de là, à Beckerich, dans la jolie et lumineuse Millegalerie, Hubert Wurth déploie Un langage de formes, un univers de papier, un travail sur le collage et la surface peinte, sur le fragment banal récupéré/recyclé – dont carton – qui, percolant dans la couleur, ouvre à de multiples interprétations/ perceptions… d’un réel qui n’en finit pas de nous échapper. Sans prise de tête. Jusqu’au 26 octobre inclus, de 14.00 à 18.00h – infos: www.kulturmillen.lu, tél.: 621.25.29.79.


Que moyennant une belle diagonale, je vous propose un détour/retour à Esch/Alzette, à la galerie Go Art (anciennement Schlassgoart) où rencontrer les grands formats à l’huile de Bertrand Ney, un créateur pour qui, entre sculpture et peinture, circule la même nécessité.


Voilà donc Bertrand Ney, un sculpteur qui a toujours dessiné et peint, et aujourd’hui, dans le même élan (depuis 2015), un peintre qui continue d’explorer l’espace mais désormais couvé comme un territoire intérieur, habité par des figures et des histoires de métamorphoses en accord avec un vécu recomposé, donc avec le temps. Celui-là qui passe, qui aussi raccommode la mémoire – hantée par des présences –, qui également raconte autrement les contradictions du monde (visuel ci-dessus: L’enlèvement d’Europe, huile sur toile, 2025, 180 x 160 cm).


Dans son univers pictural – un tantinet inclassable –, Bertrand accompagne ce qui advient, soit, il laisse la toile porter ce qui le questionne, ses fragilités et ses ressentis, ses visions voire ses prémonitions, et sans doute… que ça déroute le regardeur.


D’abord, il y a la couleur, celle qui accouche de formes géométriques ou organiques, transformant l’espace de la toile en un paysage surréel, et celle qui, devenue narrative, libère des créatures, des allégories, avec la récurrence d’une sorte d’ogre…  bienveillant, souvent une petite épuisette à la main, comme une tentative aussi absurde que dérisoire de contenir une mer déchaînée.


Dans le vaste fablier de Bertrand Ney, au milieu de petits formats «expressionnistes», 3 huiles de 20 x 24 cm se détachent, discrètes, où, posée sur un banc, une minuscule construction, genre nichoir, attend solitaire face à un paysage qui n’est ni ciel ni mer, ou les deux à la fois: toute une métaphore trompeusement douce d’une humanité suspendue, ou aveugle, aux changements de saisons …


Infos: Bertrand Ney, Les temps habités II, jusqu’au 8 novembre, à la galerie Go Art, pavillon du centenaire/ArcelorMittal, Esch/Alzette, du mardi au dimanche de 14.00 à 18.00h.


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Terminus à Luxembourg. Pour un banquet? Tout du moins strictement visuel, en vertu d’une disposition dans l’espace de deux grandes tables… sans assiettes ni couverts, mais où les mets alignés … sont des œuvres. Eh quoi?


Nous sommes au Casino Luxembourg, qui repense le format «forum» de son rez-de-chaussée, davantage dévolu à une autre monstration, à une réflexion sur la diffusion, la circulation de la création, comme ce fut précédemment le cas avec Tube.Dash.Photo, une expo collective qui explorait la relation entre l’espace d’expo et le livre, l’édition photographique en l’occurrence.


Cette fois, la scénographie renvoie donc au banquet, du moins, elle en est une tentative, disons surtout qu’en disposant les œuvres de façon horizontale (sur deux tables), elle abolit les hiérarchies; en même temps, c’est une façon à la fois de désacraliser l’art, de le descendre de son piédestal, et de suggérer qu’une œuvre peut trouver sa place partout, pas besoin d’une hauteur sous plafond, d’autant que toutes les pièces exposées, oeuvres à la croisée du design et de la culture populaire, gravures, céramiques, dessins inclus, sont des petits formats.


En fait, en s’intitulant €AT, une combinaison du verbe anglais «to eat » (manger) et des deux traits du symbole de l’euro (€), le projet associe une idée de partage (autour d’un dîner métaphorique) et une notion économique de consommation, une dimension liée aux spéculations du marché de l’art.


Mais tout n’est pas dit. €AT est aussi un jeu de mots impliquant un acronyme, à savoir: CAT, qui signifie «Contemporary Artist Things» et qui désigne une plateforme d’art en ligne… créée par Nora Cristea et Vincent Schneider, deux designers et créateurs basés à Berlin. Et donc, CAT, initiative curatoriale ayant l’ambition de soutenir la scène artistique contemporaine émergente, est ainsi/aujourd’hui transposée dans un espace institutionnel, celui du Casino Luxembourg, qui, en l’accueillant, offre une visibilité nouvelle aux travaux d’une cinquantaine d’artistes internationaux.

  

Il faut avouer que ça a un peu le charme (?) d’une brocante (visuel ci-dessus). Où, pêle-mêle, des éditions limitées – brosses à dents de faïence transformées en serpents y comprises – croisent parfois des œuvres inédites, dont une sérigraphie de Vanessa Brown – artiste canadienne installée au Luxembourg – basée sur son travail sur vitrail Rose+Absolute, dont aussi une petite sculpture inspirée d’un ex-voto en argent de Mariechen Danz, dont encore les poupées-belettes de taille réduite d’Angélique Aubrit & Ludovic Beillard – que l’on va retrouver dans Theatre of Cruelty, une expo qui fait dialoguer l’héritage d’Antonin Artaud avec des pratiques contemporaines à partir du 15 novembre. 


Listées avec leurs tarifs (accessibles), les œuvres peuvent être acquises à l’accueil du «Casino», l’intégralité des recettes étant reversée aux artistes et au fonctionnement de la plateforme d’art en ligne.


€AT – au Casino Luxembourg, 41 rue Notre-Dame – secoue le cocotier en questionnant le marché de l’art, la collection et la circulation des œuvres jusqu’au 15 février, tljrs de 11.00 à 19.00h, sauf le mardi. Nocturne le jeudi jusqu’à 21.00h. Infos: www.casino-luxembourg.lu


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On est à Luxembourg, on y reste avec un barnum, soit: LAW (Luxembourg Art Week), qui est une foire d’art… particulière. Qui, pour sa 11e édition, met en lumière le bouillonnement créatif de Montréal.  Certes, on y vend (77 exposants répartis en Main Section et Take Off) mais on y discute aussi – sur l’IA, sur la question générative, les droits d’auteurs, la collectionnite, la curation, l’investissement etc – lors d’«Art Talks» modérés par des experts, et même, on prend une pause dans l’espace sans cimaise du Café, confié cette année au duo d’artistes (mexicains) Céleste, composé de Maria Fernanda Camarena et Gabriel Rosas Aleman qui promettent une expérience sensible et partagée.


De tout ça, on en reparlera en temps voulu… mais bloquez votre agenda du 21 au 23 novembre, avec nocturne le 21/11, de 17.00 à 21.00h, à poursuivre au Casino Luxembourg, de 21.00 à 02.00h, où se trame Athletes of the Heart, une performance qui devient épreuve physique, émotionnelle et sonore.  


Mais ce qui nous occupe dans l’immédiat, c’est Art Walk, qui traduit la volonté de LAW d’amener l’art dans l’espace public et d’impliquer tous les acteurs culturels de la ville. Concrètement, ça donne quoi? Un «Parcours de Sculptures» – selon un itinéraire qui relie le plateau de la gare au boulevard Royal –-, des «Capsules» – expos temporaires dans des vitrines inoccupées, découvertes visibles 24h/24, 7j/7 depuis la rue – et un volet baptisé «Rendez-vous» regroupant 3 projets spéciaux.

Lesdits projets spéciaux sont: Timeless Voices au MALT- Innovative Factory (1 rue de la Tour Jacob) –il s’agit d’une constellation d’œuvres (peintures, photos, sculptures, installations vidéo) qui réaffirme que l’art n’est jamais figé, du 18 au 23/11 –, Marguerite-mémoire d’un nom, empreinte d’un lieu – une œuvre (entre langage brut, langage mathématique et lumière) réalisée par Franck Miltgen à l’occasion du lancement de Maison Marguerite, l’une des résidences emblématiques du projet 1276 Brabant, situé à Merl – et enfin, une expo dédiée au principe de duplication de Bernard Piffaretti, à voir à la BGL BNP Paribas  (au 10A du boulevard Royal) du 10 au 23/11.


Zoom sur le déjà accessible «Parcours de Sculptures». 10 au total. Chacun circule de façon autonome muni du dépliant «Art Walk» disponible partout. On repère entre autres Entangled, le pied végétalisé en alu de Martine Feipel  & Jean Bechameil, le caddy façon maquette Airfix de Serge Ecker, le Loop jaune formé par des éléments tubulaires de chantier de Julien Hübsch, les concrétions de Jean-Pierre Formica, les modules (style poutres) minimalistes de Gary Schlingheider, les monolithes gravés Thank You d’Eric Schumacher. Mais mon coup de coeur, c’est Wink To Go d’Anni Mertens, une sorte de totem en céramique émaillée, une superposition de formes colorées qui évoquent tant le jeu, le design industriel qu’une extension corporelle, un objet ambigu en ce qu’il rend floue la limite entre souplesse et solidité, abstraction et fonctionnalité (visuel ci-dessus).


Pour ce qui est des «Capsules» (il y en a 7), ne ratez ni João Freitas (au 3 rue Louvigny) avec ses lambeaux de papiers, traces de rénovation du local, en suspension comme s’il s’agissait de peaux, ni Val Smets (au 23 Grand-Rue) avec It Happened Tomorrow, une composition d’un bleu d’aquarium, zébrée par une gestuelle où percolent l’intime et l’énergie, où des lichens surréalistes chorégraphient un paysage kaléidoscopique, comme pour signifier la dépendance mutuelle des espèces.


En clair, on découvre la ville par le prisme de l’art contemporain, et l’art donne un regard à la marche (un pied devant l’autre…).

 
 
 

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