Dans le décor de saison, entre brouillards et ciel du soir mandarine, on retiendra…la purée de pois… traversée par la migration d’hivernage des grues cendrées.
Alors, dans ladite purée, hormis les élections américaines, deux rendez-vous rituels à monter en sauce, celui des Prix littéraires – avec des vainqueurs bénéficiant d’une médiatisation hors norme qui pèsera fortement sur les ventes de fin d’année, à commencer par le Goncourt (attribué, pour rappel, à Kamel Daoud, un écrivain qui a l’habitude de déranger, aussi chroniqueur et journaliste né en 1970 Mostaganem, qui, dans Houris, a fait le choix de la fiction littéraire pour aborder les années de sang, la décennie noire (1991-2002) en Algérie – et celui, nettement moins célèbre mais très prisé par le landerneau luxembourgeois, à savoir: le Salon du CAL (Cercle Artistique de Luxembourg) – accessible au Tramsschapp (49, rue Ermesinde, Luxembourg-Limpertsberg) jusqu’au 17 novembre – et qui a décerné le Prix Pierre Werner à Lara Weiler.
Alors, Lara Weiler, née en 1999, fraîchement diplômée de la Hochschule der Bildenden Künste de Sarrebruck, déjà repérée en 2023 dans la 3e édition de «YLA – Young Luxembourgish Artists », cette vitrine dédiée à de jeunes artistes luxembourgeois curatée par Lou Philipps dans le cadre de Luxembourg Art Week, Lara que l’on retrouve dans «YLA Vol.4» réunissant cette année 21 artistes (ce, jusqu’au 30 novembre, au Pop-up store sis 43 Grand-Rue), Lara, dis-je, propose au CAL Julies Garderobe, une oeuvre (dessinée, peinte/coloriée) d’une force visuelle incontestable, une figuration hyperréaliste tirée au cordeau qui, partant d’un objet usuel, en l’occurrence une chaise faisant office de porte-manteau, embarque la thématique du vêtement et, joyeusement, nous parle ainsi de mode, aussi et/surtout du corps… absent (visuel ci-dessus, photo ©alain-piron).
Un prix en cachant souvent un autre, voici l’Edward Steichen Award. Je vous en touche donc un mot.
Sachant que dans la foulée, je ferai 4 autres crochets. Par la «Capsule» de Nora Wagner. Par l’autoportrait participatif développé en méthode par Cristina Nuñez. Par les Temps parallèles de Lino Galvão au Centre culturel portugais Camões. Et par l’expo Double face qui, dans l’Espace Beau Site, à Arlon, se plie à la contrainte du format carré de 15x15cm, 40 artistes s’y collent.
Allez, c’est parti.
L’Edward Steichen Award, qui célèbre cette année son 20e anniversaire, décerne biannuellement deux prix qui visent à promouvoir des artistes émergents dans le domaine de l’art contemporain en leur offrant la possibilité de s’immerger dans le contexte culturel stimulant de New York. En bref, ça donne ceci.
Il y a l’Edward Steichen Award proprement dit, à caractère résolument européen, qui consiste en une résidence de 6 mois à New York au ISCP (International Studio and Curatorial Program). Et ce prix vient d’être attribué à Marianne Villière, née en 1989 à Nancy, pour sa pratique performative nous invitant à prendre soin des formes de vie dont nous participons, pour ses gestes artistiques, ses compositions éphémères, discrètes, ses interventions apparemment drôles, légères, mais qui tentent de mettre en exergue l’écologie de nos engagements comme de nos ambivalences.
Et il y a l’Edward Steichen Luxembourg Resident in New York, prix créé en 2011 et consistant en une résidence de 4 mois au ISCP, dopée par une bourse mensuelle de 4.000 USD pendant la période de résidence – l’artiste belgo-luxembourgeoise Clio Van Aerde en est la lauréate, on se souvient de sa performance de 2018, une expédition pédestre de 26 jours le long de la frontière luxembourgeoise, la frontière «ce trait invisible à l’oeil nu que l’artiste n’aura pu voir qu’en ligne, d’où on line, le nom de son projet».
Ce qui, par ricochet, me renvoie au projet itinérant de l’artiste pluridisciplinaire luxembourgeoise Nora Wagner, un road movie de 4 mois à travers le Luxembourg et régions limitrophes, qui a eu lieu entre mai et septembre (visuel ci-dessus). Une expédition pédestre, flanquée d’une sorte de triporteur nommé Capsule, un voyage inédit en totale autonomie, une odyssée humaine truffée de rencontres improvisées, ou parfois artistiquement organisées, afin de réaliser, avec la complicité de Kim El Ouardi, un documentaire-fiction low-fi. Et justement, le résultat filmé de cette histoire nomade qui questionne notre présent et son futur, l'environnement et la société, film assorti de dessins, poèmes et textes, est accueilli à Sarrebruck, Stadtgalerie – vernissage ce 8 novembre, à 19.00h.
Mais ce 8 novembre, à Luxembourg, braquez votre curiosité sur All of Me, All of You, qui est l’aboutissement d’un projet majeur baptisé EMoSEE, un projet pilote associant la technique de l’autoportrait mené par l’asbl Art as Experience et l’artiste Cristina Nuñez, initiatrice de The Self-Portrait Experience (SPEX), un outil d’auto-thérapie, un laboratoire visant à stimuler le processus créatif inconscient, à élargir la perception de soi et à engager une réflexion émotionnelle.
Concrètement, ça donne quoi ? Eh bien, 2 expos. A savoir:
Kind of Blue dans le tunnel du Grund: il s’agit d’œuvres autobiographiques de jeunes, en particulier ceux ayant une expérience de la migration – vernissage ce 08/11, à 17.00h (si vous ratez le coche, pas de panique, ça reste en place jusqu’en janvier 2025).
Et All of Me, All of You, dans la chapelle de neimënster (abbaye de Neumünster): une sélection de 18 photographies impliquant la participation de 80 élèves de différents établissement scolaires – vernissage le 08/11 à 18.30h (là aussi, pas de panique, c’est visible jusqu’au 1er décembre).
Mais la grande singularité de EMoSEE, c’est le Cube, un dispositif interactif dans lequel les visiteurs pourront prendre un autoportrait émotionnel, c’est-à-dire travailler sur les perceptions multiples et changeantes de leur visage afin de s’accepter. Le CUBE EMoSEE sera accessible à neimënster ce seul week-end du 8 au 10 novembre – ce vendredi 08/11 de 18.30 à 20.00h, sinon le samedi 9 et le dimanche 10 de 10.00 à 18.00h.
Bon, on file au Centre culturel portugais Camões
Non sans d’abord brièvement mettre un peu de lumière sur Knuet.
Pour le coup, ça se passe aux Rotondes. Ce spectacle installation interactive de la Cie luxembourgeoise Kopla Bunz s’adresse aux tout-petits (de 1 à 3 ans, et même dès 8 mois), accueillis dans un univers de hamacs, berceaux et balançoires, construit à partir d’une multitude de nœuds et de tresses. Et voila l’idée qu’elle est magique, car elle renvoie aux lacets que l’enfant apprend à nouer, déjà au nombril qui rappelle ce qui nous relie, à tous ces liens à tisser qui font grandir.
Knuet (visuel ci-dessus, photo Bohumil Kotohryz), c’est un petit bijou… très prisé, reste la représentation du 09/11 à 11.00h.
A défaut, toujours pour les petits (à partir de 4 ans), et toujours aux Rotondes (réputées expertes en spectacle jeune public), il y a Carnaval de la Cie messine Corps In Situ, une expérience chorégraphique et musicale librement inspirée du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, un voyage festif, poétique et extravagant garanti par un défilé d’animaux et de créatures chimériques. A l’affiche le 9 à 15.00h et 17.00h, aussi le 10 à 11.00h et à 15.00h, ainsi que le 12 à 15.00h.
Cette fois, au Centre Camões, on y est (Place Joseph Thorn). Rendez-vous avec Lino Galvão, sculpteur (luxembourgeois né au Portugal) qui cette fois nous parle par la peinture.
Une œuvre traversée par deux temps – celui d’un âge perdu et celui d’un futur incertain – mais aussi par deux espaces, le réel et l’imaginaire. Une oeuvre en tout cas travaillée comme une fable, sinon une parabole, où les motifs, à commencer par l’oiseau, sont des acteurs symboliques. Et une oeuvre toujours perfusée par cette échappée belle qu’est la lumière. Techniquement, sur du tissu appliqué sur une plaque de métal, l’artiste laisse vagabonder les pigments, pour au final, simuler une sorte d’écriture rupestre, dont la graphie serait la seule luminosité, celle qui a le pouvoir de (re)construire une harmonie.
Il y a des grands formats, où l’abstraction prévaut, et des diptyques, territoire d’une figuration narrative, où l’humour cohabite avec la poésie et, oui, une spiritualité. Ça va de la pause-pipi d’un cycliste roulant dans un sous-bois aussi improbable que radieux au taureau égaré dans un labyrinthe (clin d’oeil au mythe du Minotaure), en passant par la scène d’un chaton jouant à cache-cache dans un jardin. Il y a aussi deux visions associées du feu, celui biblique du buisson ardent et celui, aussi destructeur que purificateur, lié aux incendies ravageant la planète (cfr visuel ci-dessus: Terres brulées).
Dans cette série des diptyques, aussi une composition graphique, raccord avec une structure inattendue, celle d’un lit à baldaquin, qui fait écho à la cage, à l’emprisonnement, mais aussi à cette autre échappée belle qu’est le rêve.
Un lit au demeurant transposé en bronze, en deux sculptures intitulées Reliquaire d’amour, lesquelles permettent résolument d’inscrire Lino Galvão dans l’héritage formel et existentialiste d'Alberto Giacometti.
Temps Parallèles, un antidote à la désespérance, jusqu’au 24 janvier 2025.
Terminus Arlon. Pour Double face.
Et puisqu’on est à Arlon, il me faut préalablement vous signaler une conférence intitulée Etes-vous belge ou luxembourgeois, consacrée à la vie et à l’oeuvre d’Edmond Dune, cette causerie organisée par l’association les amis d’Edmond Dune, a lieu le mercredi 13 novembre, à 18.00h, dans les locaux de l'Académie luxembourgeoise – qui vient de célébrer son 90e anniversaire (je reviendrai sous peu sur cette belle institution) –, sise au Parc des Expositions, dans l’enceinte de la Maison de la culture d’Arlon.
Double face, selon Pierre François, le capitaine du lieu, l'Espace Beau Site, inégalée galerie-mezzanine empruntant son nom au garage qui l’abrite, Double face, c’est d’abord une contrainte de format, un peu plus grand que la carte postale, proposée à 40 artistes de nos régions (dont frontalières) et de Wallonie (voire même jusqu’à Gand), invités à créer non pas des diptyques mais deux œuvres complémentaires, habitées par des correspondances de l’ordre de la technique, ou de la couleur, ou du sujet.
Tel fut le défi lancé, et à juger de la mise en œuvre – parfois ardue pour les adeptes de surfaces copieuses –, il est bellement relevé.
En tout, 80 petites fenêtres sur un monde réel ou fantasmé caracolent ainsi à travers les cimaises. On passe d’une inspiration végétale, parfois paysagère, à l’instantané d’une scène quotidienne, ou au portrait – dont celui de Pierre et de son alter ego commis sur papier calque par Françoise Pierson – ou à l’abstraction, du reste souvent induite par la gravure.
Florilège éminemment éclectique que ce Double face où rencontrer du fusain – cfr la remarquable Trouée de Pascal Jaminet, regretté magicien de la manière noire –, du brou de noix, de la broderie associée au piquetage, de la paraffine, du collage ou autres interventions textiles. La diversité des techniques prévaut, tout comme celle des supports, dont carton, toile, papiers pluriels dans le cas des arts graphiques, ce qui n’empêche pas le travail de la 3e dimension, à l’exemple des personnages peints à l’huile sur plâtre de Myriam Hornard.
Mon coup de cœur? La façon dont Fabien Denoël croque (au crayon et à l’aquarelle) la Place de Liège observée de sa fenêtre, tantôt en vue plongeante – avec ombres projetées des façades –, tantôt de face, comme une vieille amie éclaboussée par le jour (visuel ci-dessus).
En clair, Double face, c’est le pré carré d’une créativité inouïe, où convergent l’émotion, l’inattendu, l’énigme et ses contraires. C’est dire si ça vaut le détour.
Jusqu’au 17 novembre.
Infos: Espace Beau Site, 321 Avenue de Longwy, Arlon, du mardi au vendredi de 10.00 à 12.00h et de 13.30 à 18.00h. Le samedi jusqu’à 17.00h. Et ouverture les dimanches 10 et 17 novembre de 15.00 à 18.00h – www.espacebeausite.be
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