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  • Marie-Anne Lorgé

Plan cult

Dernière mise à jour : 17 déc. 2020

Imaginez «les volets que l’on ferme à l’approche du soir, les cheminées par lesquelles il arrive que s’engouffre un oiseau qui volera, éperdu, les ailes pleines de suie, par toutes les chambres»: ce scénario – fantastique mais pas imaginaire (je l’ai par trois fois vécu) – , c’est l’écrivaine québécoise Dominique Fortier, lauréate du Renaudot essai, alliée du réenchantement, qui le relate dans Villes de papier, en ajoutant: «Plutôt que de tenter de le chasser, on l’adoptera pour apprendre son chant».


Du coup, voici un florilège de partitions, composées par d’inlassables oiseaux siffleurs prêts à être apprivoisés. Ça part de Esch – qui bouillonne en amont de 2022 – et ça atterrit à Luxembourg, au travers (notamment) des espaces désertés que Paul Kirps saisit au Polaroïd dans un paysage urbain baroudeur. On écoute avec les yeux.



D’autant que pour l’artiste audio-visuelle Nika Schmitt (née en 1992 au Luxembourg, vivant à Rotterdam), le son, le bruit, et même «faire du bruit», c’est son affaire. La preuve avec son Radau Radar, une installation sonore qui lui permet «d’étudier comment les installations cinétiques et les stimuli rythmiques affectent l’orientation spatiale et les perceptions temporelles des visiteurs».


Ça se passe à l’Annexe22, à Esch-sur-Alzette. Là, «à l’aide d'une parabole rotative située au centre de la pièce, la fréquence est continuellement réfléchie et réalignée». ( …) «Différentes sortes de microphones enregistrent les conditions acoustiques au fil du temps et transmettent les signaux séparément aux haut-parleurs individuels en temps réel. Cela rend le bruit de retour audible et le public perçoit une sorte de «chuchotement chinois», également connu sous le nom de «courrier silencieux»». A tester dès ce 5 décembre (jusqu’au 9 janvier 2021).


Toujours à Esch, en version capharnaüm aussi spectaculaire que joyeux, il y a Bâtiment 4.


Le Bâtiment IV – ancien bâtiment administratif d’ArcelorMittal, sis au beau milieu du domaine Schlassgoart – sera un des endroits phares d’Esch 2022, capitale européenne de la culture. En attendant, le collectif Cueva, constitué en asbl en 2018, a tablé sur la créativité en roue libre de 108 artistes pour habiter le dédale des très nombreuses salles avec leur univers (en photo, une installation de Théid Johanns) et, au final, métamorphoser le lieu de 3.000 m2 en une stupéfiante expo, baptisée Bâtiment 4 en vertu de son ancrage: un coup de génie dopé par la folie douce, un événement éphémère hors-norme, de qualité variable, accessible à tous. Jusqu’au 6 décembre, c’est dire si le temps presse (tous les jours de 14.00 à 21.00h).


Promis à une reconversion en éco-quartier, le Bâtiment IV est devenu un «tiers-lieu», entendu «comme un lieu de rencontres et d’expérimentations collectives, sans activité étiquetée, dont les espaces sont donc non figés, afin que des usages non-programmés puissent trouver leur place, au fil du temps». A la fin de cette exposition collective, Cueva laissera la place à d’autres associations, artistes, amateurs et habitants de la région…



Par beau temps, et à plus forte raison s’il fait maussade, poussez votre curiosité jusqu’à neimënster (vous savez, l’incontournable abbaye du Grund!). C’est là que l’artiste luxembourgeois Paul Kirps, prompt à jongler avec différents supports et techniques, raconte en images ses pérégrinations à travers New York, Barcelone, Lisbonne, Palma de Majorque, Arlon et Bruxelles, mais des villes purgées de leur légendaire agitation. Ni trafic, ni âme qui vive. Mais des espaces déserts, à peine identifiables – d’ailleurs, peu importe – habités par une sorte d’essence poétique faite d’ombres et de lumières. Par aussi une obsession des formes, restituées avec une précision chirurgicale.


Si la capture de lieux désertés, confinement oblige, a récemment inspiré moult projets, celui de Paul Kirps a germé en amont: «ça faisait longtemps que je pensais visiter des chantiers sans être à chaque fois refoulé par des gardiens, alors, voilà, le résultat est là, qui m’a pris deux ans». Où se sont alors greffés des photographies de Luxembourg-Ville, du Kirchberg, de Merl, Differdange et Esch-sur-Alzette au moment du Lockdown, avec des «paysages» aux allures de mer en hiver. Sinon, quoi de spécial?


Réponse: le médium. A savoir: le Polaroïd. Un processus instantané – du reste, le Time 0 ou «temps zéro» du titre de l’expo fait précisément référence au film Polaroïd de1980 qui réduit considérablement la durée du développement – qui colle apparemment peu avec la méticuleuse pratique de l’artiste, adepte de processus longs et de la mise en place, à l’aide d’un langage abstrait surtout géométrique, «d’une distance entre la surface des objets et le monde». Sauf que pour instantané que soit le processus, l’oeil n’est en l’occurrence que rarement spontané, ou plutôt, Kirps ayant souvent opéré des repérages préalables, c’est une spontanéité parfaitement contrôlée.


Donc, point d’image sans filet. Ce qui n’empêche pas un rendu visuel réduit à l’essentiel, avec lignes et masses stylisées, un épurement conforme au vocabulaire spécifique de l’artiste, tout de rigueur, tout dévolu à la grille.


Ces images, reproduites (par manipulation digitale) en grand format, montées sur Dibond, sont agencées par quatre en des sortes de monumentaux tableaux, comme des états des lieux d’une objectivité inflexible. Au-delà de l’architecture, ce qui prévaut, ce sont les espaces existant entre les bâtiments ou édifices, avec leurs câblages, leurs échafaudages, leurs clôtures, leurs recoins, toutes ces traces censées raconter que le paysage urbain serait un organisme autonome.


Paul Kirps expose parallèlement des polaroïds originaux, encadrés au format 27 x 19 cm, qui «dégagent une paradoxale et sauvage beauté» (selon Claude Moyen), en tout cas, où le mystère remplace le documentaire, où l’inventaire fait place à l’atmosphère. Selon Kirps, qui «ne prétend pas être photographe», «il ne faudrait jamais utiliser le Polaroïd en hiver», l’image étant alors saturée de bleu. A chacun d’apprécier – jusqu’au 14 février, dans le cloître Lucien Wercollier de neimënster, entrée libre de 10.00 à 18.00h –- , mais pour moi, le bleu dépose un peu de ciel sur notre espace de vie.


Notez que si les expos restent accessibles au public, neimënster adapte sa programmation pour faire face à la situation sanitaire, le mot d’ordre étant d’éviter toute annulation. C’est pourquoi tous les événements de cette fin d’année seront enregistrés et «streamés» sur les principales plateformes vidéo (plateformes annoncées sur les réseaux sociaux et le site web de neimënster).


Ces rendez-vous virtuels, inaugurés le 3 décembre, concernent le concert d’Alexandra Lehmler, saxophoniste allemande, qui, accompagnée sur scène par Frank Tortiller, parvient à associer mélodies lumineuses et poésie (le 06/12, à 11.00h), la performance de Victor Kraus qui s’est entouré de quelques noms connus de la scène musicale luxembourgeoise et d’un DJ pour réorchestrer la pièce Canto Ostinato, une composition du Néerlandais Simeon ten Holt, datant de1976 de style minimaliste, pouvant durer entre 60 minutes et 24 heures (le 11/12, à 20 .00h), suivie, le 13/12, à 11.00h, par le concert de la chanteuse hollandaise Edith van Heuvel et ses envolées jazzy et autres balades douces mâtinées de quelques notes de bossa nova.

Infos tél.: 26.20.52 – 1 ou contact@neimenster.lu



Juste le temps de prendre l’ascenseur, et nous voilà devant la façade du Cercle Cité (Place d’Armes). Lequel Cercle, en l’absence d’exposition au Ratskeller en cette fin d’année, a passé une commande de carte blanche à Monogram, entreprise de design fondée/dirigée par la graphiste Miriam Rosner, qui, sur les vitres de l’espace d’expo rue du Curé, propose Tell Me About (Y)Our Mother depuis ce 4 décembre, et jusqu’au 31 janvier.


Ça parle de quoi? De l’apophénie, cette altération de la perception qui conduit un individu – et chacun en a déjà fait l’expérience – à attribuer un sens à des événements aléatoires.


Et concrètement, ça donne quoi? Des taches d’encre symétriques, des images de «Mère Nature» dont l’assemblage est soigneusement organisé et stratifié à la manière des taches d’encre utilisées pour le test de Rorschach. Partant de là, c’est du jeu des associations personnelles que naissent les mirages ou les épiphanies (infos: www.monogram.lu).

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