Octobre est un mois potiron. L’orange percole dans les feuillages et les cucurbitacées s’empilent dans les recettes de potées, aussi dans la panoplie des métamorphoses effrayantes d’Halloween, folklore désormais plus couru que la chaussure devant la cheminée. La peur n’a que faire d’être sage.
Pendant que la nature opère son flamboyant chant du cygne, la nuit grignote le jour, les ombres la lumière. Nous sommes devenus des... phalènes.
Certes, devenir papillon de nuit est une métamorphose plus enviable que celle de Gregor Samsa réveillé un matin transformé en insecte monstrueux, sauf à savoir que dans le récit de Franz Kafka – je vous ai déjà parlé de l’actuelle «kafkaïamania» –, la mutation est une allégorie du rapport à la faute et de la révolte personnelle contre l’aliénation économique, l’Homme de l’Avoir a oublié d’Etre. Tout ça pour vous signaler que Nicolas Mahler, dessinateur, adaptateur littéraire primé à plusieurs reprises et directeur artistique de l’école de poésie de Vienne, présentera Komplett Kafka, la biographie en bande dessinée de cet écrivain majeur du XXe siècle, le mercredi 16 octobre à 19.00h à l'abbaye de Neumünster, ce, à l'invitation de l'Institut Pierre Werner. Infos: www.ipw.lu
Retour au papillon de nuit. Qui, contrairement aux idées reçues, ne vole pas vers la lumière, mais tourne le dos au point lumineux le plus intense. C’est la théorie défendue par Nika Schmitt, artiste luxembourgeoise invitée à créer une installation électromécanico-cinétique dans la CeCiL’s Box, cette vitrine du Cercle Cité côté rue du Curé, ce mini-espace d’exposition, visible 24/7, de jour comme de nuit. Et donc, dans moth, le passant, par son mouvement, piégé par les reflets lumineux, a l’impression… de se brûler les ailes.
De la nuit, et plus précisément, d’une nuit des temps, il en est question dans la nouvelle expo du Casino Luxembourg, avec Black Air qui réactive les expériences visuelles d’Aldo Tambellini, artiste italo-américain né en 1930, décédé à 90 ans en novembre 2020, peintre – travaillant l’esthétique binaire du noir et blanc dans l’abstraction –-, sculpteur, poète et, surtout, afin de rendre sa peinture vivante et instable, pionnier de l'intermédia électronique; artiste en l’occurrence tombé dans l’oubli puis réhabilité récemment, et ce que le «Casino» propose aujourd’hui, c’est une redécouverte de cet adepte de la matière noire intimement liée … à la lumière. Et au son. Redécouverte d’autant plus méritoire qu’il n’existe quasi plus de trace matérielle de l’œuvre, à l’exception de photos.
Donc, à partir de documents d’archives et moyennant du matériel d’époque, dont magnétophone, écrans à cathode et ventilateur, le premier étage du «Casino» est l’écrin nébuleux d’une réactivation-adaptation de vidéos exploratoires de Tambellini – combinant pellicules peintes à la main, flux électrique, système d'aimants, oscilloscope et images réelles distordues – associées à une sculpture-installative d’Otto Piene (1928-2014), constituée d’éléments gonflables tubulaires transparents (visuel ci-dessus, photo ©Andrés Lejona). Entre Tambellini et Piene, cofondateur du groupe ZERO (à Düsseldorf), il y a une histoire de théâtre – le Gate Theatre – et une complicité expérimentale quant aux effets lumino-cinétiques. Mais alors que Tambellini, vrillé à la cosmologie, arpente davantage les ténèbres, Piene aspire à des Chemins vers le paradis: «J’affronte l’obscurité, je l’examine à la lumière, je la rends transparente, je lui ôte ses peurs, j’en fais un volume de force animé par la respiration à l’instar de mon corps».
Bien autre chose qu’une expo – qui a tout même l’heur de rebrousser l’histoire de l’art jusqu’aux origines de l’art vidéo, tout en croisant l’op art et des interrogations toujours renouvelées sur l’origine du monde –, Black Air se vit réellement comme une expérience, biberonnée à l’énergie, totalement plongée dans le noir mais éminemment stroboscopique – Tambellini fait ainsi un large usage du flicker (ou effet de scintillement).
Dans la galaxie, Amelia LiCavoli, la commissaire de l’expo qui devait initialement investir le «Casino» en 2019, a convoqué 6 artistes, aussi alternatifs que Tambellini et Piene, dont les œuvres partagent le même esprit sans en être une relecture. Alors, zoom sur les reliefs sculpturaux troués de faisceaux de lumières de Semiconductor (Ruth Jarman & Joe Gerhardt), autant de nuits perforées, de cartographies galactiques assorties d’un fond sonore proche d’un grondement anxiogène. Et zoom sur l’installation aux allures de cabinet de curiosités de Max Kuiper, un ensemble de sorte d’alcôves où s’entassent, en pagaille, des objets et matériaux improbables, dont fossiles, feuilles de polyéthylène, bandes magnétiques, filets, bouts de tissu: une accumulation dédiée au clair-obscur, à la frontière du chamanisme ou de la magie noire.
Black Air, c’est une plongée nocturne en paysage atmosphérique – ça déboussole... jusqu’au 5 janvier. Programme cadre (dont performances de la chorégraphe Ayako Kato en décembre). Infos: www.casino-luxembourg.lu
Et sans doute que le moment idéal pour s’immerger dans Black Air, c’est… la Nuit des musées, la 23e édition du genre, spécifique à Luxembourg-Ville, qui a lieu ce samedi 12 octobre, de 17.00 à 01.00h. Infos et programme: nuit-des-musees.lu
Dans votre périple, entre autres pépites, cochez Babel Heureuse? au Lëtzebuerg City Museum, une expo-événement qui, après Marseille et Genève, fait escale à Luxembourg, laboratoire quotidien d’un plurilinguisme vivant, pour explorer la polyglossie en la replaçant dans une perspective historique et philosophique qui dépasse l’espace luxembourgeois. Grâce à une constellation rare de chefs-d’œuvre, d’objets et de documents, exceptionnels ou d’usage quotidien, l’expo fait voyager à travers les représentations de Babel et met en lumière les succès et les impasses de la traduction, de la pierre de Rosette à l’intelligence artificielle. Jusqu'au13 juillet, elle interroge les conditions d’une «Babel heureuse» – expression que l’on doit à Roland Barthes -– dans l’espace et dans le temps, jusqu’à notre aujourd’hui (vernissage ce vendredi 11/10).
Sinon, hormis Songs for Gay Dogs de Cosima von Bonin au Mudam, expo peuplée d’animaux et de personnages de dessins animés, un voyage fantaisiste dans la pratique de l’artiste pendant la dernière décennie (je vous raconte tout prochainement), il y a l’hommage posthume que le Nationalmusée um Fëschmaart (sis Marché-aux-Poissons) rend à un esprit libertaire: l’artiste luxembourgeois Marc-Henri Reckinger, né en 1940, décédé en août 2023, lauréat du Lëtzebuerger Konschtpräis 2024, peintre mais aussi dessinateur d’exception et ça, on le sait trop peu (visuel ci-dessus, photo ©Tom Lucas). Hommage à une œuvre, figurative ou cubiste, farouchement engagée, irriguée par un militantisme de gauche radicale, une lecture marxiste – c’est coloré, très caustique, ce qui n’empêche pas un dé d’humour... amer. Expo accessible jusqu’au 16 mars 2025, catalogue de 120 pages, infos: www.mnaha.lu
Aussi, hommage Reckinger parallèlement concerté par/aux Centres d’art Nei Liicht et Dominique Lang à Dudelange – et là, double vernissage ce 12/10, à 11.30h. Dans le programme-cadre dudelangeois, des visite guidées, un concert de jazz avec Pit Dahm (le 16/03) et une table ronde sur l’art engagé réunissant Berthe Lutgen, Filip Markiewicz, Danielle Igniti et Ada Günther programmée le 27 janvier dans le petit auditoire opderschmelz. Infos: galeries-dudelange.lu
Du reste, n’hésitez pas non plus à prolonger de votre pérégrination jusqu’à la Konschthal Esch (blvrd Prince Henri, Esch-sur-Alzette). Circulez sans modération dans Dis-placed, passionnante et édifiante expo explorant la notion de la perte du «chez soi» au travers des travaux de 14 artistes internationaux, dont Marco A. Castillo, Sebastian Diaz Morales, Marlene Dumas, Candida Höfer, Lisa Kohl, Gregor Schneider et Taysir Batniji, artiste palestinien né en 1966 à Gaza, avec une oeuvre bouleversante – cfr le trousseau de clés en verre, objet définitivement inutile… après bombardement (visuel ci-dessus, photo ©galerie Sfeir-Semier) – et fragile – cfr l’amas de pains de savon, matière précaire vouée à la dissolution, qui dit le manque du strict nécessaire, et sur laquelle l’artiste a gravé en arabe un dicton signifiant «Rien n’est permanent» –, et particulièrement percutante, quand, dans GH0809 #2 (2010), une série de vingt photos de maisons détruites (par Israël), l’artiste parodie les annonces immobilières en affichant sous chaque image un texte détaillant la surface et le nombre de pièces de l’habitation pilonnée sise… dans un «Quartier calme», «lumineux, proche des écoles»: un cynisme perfusé de douleur.
Sur Dis-placed, et son programme-cadre, je ne manquerai pas de revenir… jusqu’au 19 janvier 2025. Infos: www.konschthal.lu
Et tant qu’à faire, restez à Esch, direction la Kufa qui, ce samedi 12 octobre, de 16.00 à 22.00h, célèbre ses 40+1 ans à coups de lectures et performances déambulatoires de 9 écrivain·e·s, avec la complicité d’un artiste d’une autre discipline artistique (arts visuels, scénographie, musique, vidéo). A vous de composer votre propre parcours en des lieux connus ou moins connus de la Kulturfabrik, en compagnie par exemple de l’historien Jérôme Quiqueret – aussi présent à la Foire de Francfort du 16 au 20 octobre – qu’escorte une scénographie de Marianne Villière, en compagnie aussi notamment de Nico Helminger, de Florence Sunnen & Charl Vinz, de Tom Nisse & Benoît Martiny, d’Elise Schmit et de Lénaïc Brulé avec une installation vidéo conçue par Alborz Teymoorzadeh, cet artiste iranien actuellement menacé d’expulsion pour motif que… ses créations artistiques n’apportent pas de véritable plus-value en termes d’intérêts économiques pour le Luxembourg !
Retour à Luxembourg-Ville où me reste à vous rendre attentifs à trois autres bons plans.
A la Philharmonie, avec l’installation de quelques grands formats de la forêt amazonienne du célèbre photographe franco-brésilien Sebastião Salgado – Display Amazonia (photo© Sebastien Grebille) visible durant le festival atlântico, jusqu’au 13 octobre.
Dans l’Auditorium Cité (rue Genistre), avec le court-métrage muet There Are People in the Forest (2023) de Szymon Ruczyński qui relate le rapt d’un réfugié dans une ville à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, documentaire précédé de la projection de The Dress (2020) de Tadeusz Łysiak qui a remporté le prix du meilleur court-métrage narratif à Bruxelles en 2022: il s’agit d’une proposition spéciale du 17e festival CinEast sur le thème des «Frontières de l’exclusion», 40’ pour y réfléchir et repenser nos préjugés le 16/10, à 12.30h (entrée libre, sans inscription).
Et puis, en last minute, si vous n’avez pas encore eu l’occasion de passer par la Reuter Bausch Art Gallery (rue Notre-Dame), je vous rappelle que l’artiste luxembourgeoise Chantal Maquet, qui examine les modèles de comportement individuels et collectifs qui façonnent la dynamique sociale, y expose #BFF, où, partant de son appel «Send Your Dog Pic», elle transpose, en des combinaisons inattendues de couleurs aussi puissantes que surréelles, les exactes positions occupées par nos chiens sur les photos envoyées. Une rencontre avec l’artiste est programmée ce 11 octobre, à 16.00h – ça se rate d’autant moins que l’expo expire déjà le 12/10 (vous êtes déjà en route, j’espère !).
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