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Ne rien perdre de vue

  • Marie-Anne Lorgé
  • 29 mai
  • 8 min de lecture

Dans ma désormais légendaire tasse de café matinal, de la pluie. Et le merle se tait. Et soudainement, le vert explose.


«Entrez, c’est tout vert!»


Moment bien choisi pour vous parler d’Embellie. Un festival concocté par neimënster qui emprunte son titre au tableau éponyme de Magritte ou, plus simplement, à l’analogie avec l’éclaircie, cette énergie qui survient immanquablement après l’orage.


En même temps, de l’orage et de l’éclaircie, il y en a dans les trois expos de ce jour – à suivre ci-dessous: l’incontournable Moritz Ney, le doublé Eric Schumacher/ Joep Van Lieshout, le choral Reality Check – et la météo n’y change rien.



Alors, à neimënster, que nous promet Embellie? Une invitation à découvrir les artistes qui façonnent l’art de demain. Excusez du peu.


Concrètement, trois jours durant – du 30 mai au 1er juin –, Embellie s’articule en deux temps forts. Avec d’une part, un événement autour d’Anne-Mareike Hess, et d’autre part, une présentation du travail d’artistes accueillis en résidence.


En clair, d’abord, focus sur l’intégrale de la trilogie de la chorégraphe Anne-Mareike Hess, à savoir: Warrior (le 30.05, à 20.00h, en version solo), Dreamer (le 31.05, à 19.00h, une nouvelle version interprétée par la danseuse Adaya Berkovich) et Weaver (le 01.06, à 18.00h, une œuvre pour trois danseuses). Notez que les représentations de Dreamer et de Weaver seront suivies d'un bord de scène animé par la dramaturge Heike Bröckerhoff.


Surtout, les trois personnages de la trilogie nourris par les luttes contre le patriarcat, les normes de genre et la recherche de connexion, fusionnent désormais dans une nouvelle dimension, celle de la bande dessinée, une narration visuelle créée par Luca De Vitis.

Résultat: un livre explorant le corps et l’identité en 56 pages – intitulé pour la cause Warrior, Dreamer, Weaver - Awakening the Body –, publié par utopic productions, disponible sur place (à l’accueil de neimënster), assorti d’une expo pop-up d’extraits à découvrir jusque mi-septembre dans le nouveau foyer de la salle Robert Krieps, et dont le lancement est prévu le 30 mai, dans la foulée de la performance Warrior.  


Parallèlement, notez également la rediffusion du film documentaire Le corps en état d’urgence (31’, français/anglais) réalisé par Marie-Laure Rolland – un dispositif vidéo en libre accès, dans le foyer d'accueil et salle Krieps, permettra de visionner ce court-métrage qui documente le processus de création de Dreamer, solo de danse créé par Anne-Mareike Hess en 2021.


Et puis, enfin, concernant la présentation du travail de résidence d’artistes accueillis à neimënster pour explorer les thématiques de l’identité et de la mémoire collective, rendez-vous le 1er juin, avec Lénaïc Brulé, Jérôme Quiqueret, Clio Van Aerde, Mike Bourscheid, Claire Vivianne Sobottke, Dee Meaden ou encore Medhi Mojahid, Carole Louis, Santiago Moreno et ENGLBRT, ou encore le trio composé de Marc Demuth, Rémy Labbé, Cécilie Strange – avec Jérôme Klein – pour un concert exceptionnel. Infos et programme complet sur www.neimenster.lu 


Et si le corps vous démange…


Sachez que le TROIS C-L/ Maison pour la danse – à la Banannefabrik, 12 rue du Puits, Bonnevoie – organise une soirée spéciale TalentLab le mardi 3 juin, à 19.00h. Au programme: Je danserai seule avec vous de Marie Cambois, un solo performatif conçu et interprété pour être joué n’importe où en toute autonomie, une convocation de moments d’improvisation pure, et Confluences, Reverberations, une création tissée à partir de souvenirs inscrits dans le corps, à travers la rencontre de Wura Moraes avec les archives de son père Mário Calixto (1960-1997) et de son oncle Miltércio Santos (1963-2024), tous deux danseurs, un solo où présences et absences se manifestent entre rêves et désirs projetés, vécus ou interrompus. Infos: www.danse.lu 


En attendant, ce qui est jubilatoire, c’est le monde de Moritz Ney, peintre et sculpteur né (en 1947) à Pétange, qui se livre à Esch-sur-Alzette…



… là, dans l’espace de Go Art (ancienne galerie Schlassgoart, logée dans le pavillon du Centenaire Arcelor/Mittal), en 64 oeuvres de 1999 à 2025, dont l’installation sur un vaste mur d’expressionnistes portraits – en pied ou bustes –, dont des paysages, les prairies du nord luxembourgeois, et des fleurs dans leur vase, dont aussi des métiers ou commerces – arrêts devant un  garage (visuel ci-dessus) ou devant une vitrine… de lingerie – et des scènes autrement divertissantes, de la fête foraine, la «Schueberfouer» et ses carrousels, aux plaisirs de la mer, dont jeux de plage.


Moritz Ney, c’est l’art de trousser tout un univers en quelques touches fortes et brèves, surtout en travaillant la fusion du matériau couleur, souvent vif – avec prédominance du rouge et du bleu – et de la ligne, d’où naissent des sortes d’instantanés à la fois naïfs et désuets mais toujours espiègles.


Dans la lignée croisée d’un Cézanne et d’un Matisse, Moritz trouve des sensations arbitraires permettant non pas de représenter mais de signifier le réel. De le traduire en ambiances, souvent dynamiques. Un réel inspiré de promenades, de sons,  d’humains… et de pétales.


Le tout se lit comme un roman ou, plutôt, comme une chronique (d’acrylique ou d’aquarelle) qui embarque l’artiste – et nous à sa suite – dans un hors temps et un faux chaos délicieux où germent poésie et émotion.


Surtout, la marque de fabrique de Moritz Ney, artiste inclassable, c’est le papier kraft, peu coûteux, résistant à la déchirure, flexible, support parfait, grâce à sa texture et son brun naturel, pour des œuvres jouant sur les contrastes.


Et puis, «kraft» signifiant «force» en allemand, pointe alors l’allusion sculpturale. Et pour cause, Moritz est également, voire d’abord, un sculpteur… formé dès 1968 dans l’atelier d’Aurélio Sabbatini à Esch-sur-Alzette, inscrit ensuite à l’Ecole des Beaux-arts de Trèves et à l’Académie des Beaux-arts de Karlsruhe pour, au final, façonner bois brut, plâtre, fer et verre, y associer des objets de récupération aux couleurs vives et ainsi créer une oeuvre insolite à l’esthétique aussi tribale que malicieuse.


Y a pas de mal à se faire du bien… jusqu’au 7 juin (du mardi au samedi de 14.00 à 18.00h).


Moritz Ney est aussi ce personnage extraordinaire chez qui Eric Schumacher a fait un stage, après les arts et métiers. Or, Eric expose actuellement dans l’espace Projects de la galerie Nosbaum Reding. Du coup, on file à Luxembourg.



L’expo en question s’intitule Diamonds Are Forever, une référence à la chanson-titre du James Bond de 1971, interprétée par  Shirley Bassey. A part ça, quoi? Une vague analogie entre les facettes du diamant et les motifs en losanges de ses actuels reliefs sculpturaux, voire une (très) subtile façon de souligner la tension entre permanence et éphémère. Mais encore?


On commence par le début.

    

Artiste plasticien luxembourgeois résidant à Edimbourg, assembleur plutôt que sculpteur, Eric est ancré dans le concret, dans le présent, dans la trivialité de la vie quotidienne, partant de quoi,  à travers son art, il élabore des arrangements composés d’éléments du réel.


Son art? C’est qu’Eric, toujours à observer l’intervention humaine dans l’espace, toujours en train de bricoler, de construire et déconstruire, travaille avec des matières glanées dans la rue, des déchets, des matériaux dédiés à la construction, et c’est de cette collection trouvée qu’est née sa nécessité de créer, en l’occurrence, de transformer quelque chose qui possède une authenticité artistique vers quelque chose de décoratif, voire de commercial. Tout en mettant en exergue une certaine absurdité.


Alors, démonstration avec Diamonds Are Forever, une série de formes géométriques aux allures de cartes à jouer géantes, toutes identiques, en résine acrylique, une texture qui évoque le béton, et ces formes sont autant de reliefs sculpturaux aux motifs de grille diagonale, comme une allusion aux vitraux médiévaux (visuel ci-dessus, photo © Courtesy of the artist), tous fixés à des tubes en acier galvanisé: une composition minimaliste d’une beauté manifeste… qui pourrait faire office de cache-radiateur, sinon de porte-serviettes !


On se laisse surprendre (rue Wiltheim) jusqu’au 14 juin.  



Même adresse. Espace contigu. L’actuel théâtre d’une famille de rongeurs, à savoir: les rats de Joep Van Lieshout.


Sculpteur et designer néerlandais de renommée internationale, fondateur de l’Atelier Van Lieshout, concepteur d’unités habitation mobiles, aussi géniteur de blanches créatures humanoïdes filiformes, Joep Van Lieshout brasse dans ses œuvres des obsessions liées au pouvoir, à l’autarcie, à la vie, au sexe, à la mort. Et les animaux comptent parmi ses motifs récurrents, pour leur vulnérabilité, leur résilience aussi.


Et donc, la preuve avec … les rats, déclinés en bronze ou en matériau composite, parfois monumentaux, souvent saisis dans des postures et comportements anthropomorphes ou transformés… en lampadaires (visuel ci-dessus), histoire d’ainsi cautionner la fable d’un animal intelligent, à la capacité d’adaptation remarquable, ayant survécu aux millénaires passés et qui survivra à l’extinction de l’humanité.


Du reste, tout au long de l'histoire, les rats ont joué un rôle dans les rituels – ce qui explique le titre de l’expo, Rats and Rituals –, considérés dans certaines cultures, comme des présages ou des messagers spirituels, tandis que dans d'autres, ils sont vénérés comme des symboles (…) entre civilisation et nature, naissance et déclin. 


En clair, selon Van Lieshout, le rat, malgré ses yeux inquiétants et ses dents jaunies, associé aux égouts et à la peste, est un être très social, qui devrait être considéré comme un ami plutôt qu’un ennemi. A l’image de l’artiste lui-même. Qui, non sans ironie – ni paranoïa , prédit que dans l’apocalypse de notre espèce, Rat Van Lieshout survivra.


Alors, même pas peur jusqu’au 21 juin infos pour les deux expos (Eric Schumacher et Atelier Van Lieshout): www.nosbaumreding.com


Enfin, pour rebondir sur l’un des phares de l’EMOP (Mois européen de la photographie), marche retour vers Esch/Alzette, afin de «checker» la réalité …



A la Konschthal Esch, 6 photographes s’y collent, à notre rapport à la réalité, non pas de façon documentaire, mais en explorant, par et sous les traces, les ruines de bâtis, les paysages ou les albums de famille, les histoires liées au vécu. Et partant de ce prisme des histoires vécues, tout l’enjeu de Reality Check, impressionnante expo chorale, c’est de renouveler notre regard sur les représentations du monde.


Et le monde de Gaëlle Choisne, c’est le séisme de Port-au-Prince dont elle s’approprie des photos datant de 6 janvier 2010. Images qu’elle applique sur des plaques de béton massif, des ersatz de stèles, traitées au sel (visuel ci-dessus), l’altération qui s’ensuit évoquant la fragilité de la situation en Haïti. En même temps, par la forme, la stèle associée à la notion de monument, c’est sur la résilience que l’artiste recentre son propos.


Quant au monde de Guillaume Greff, il se tapit… comme le loup et le lynx, que l’artiste a entrepris de pister, non comme un photographe animalier, mais trouvant/lisant des choses absentes dans le paysage, à commencer par une carcasse de biche prouvant par défaut l’existence du loup…passé maître dans l’art de l’invisibilité. Cqfd, c’est l’inquiétante étrangeté de cette omniprésence qui toujours se dérobe que Greff tente de photographier.


Le monde de Birgit Ludwig, celui de Marc Schroeder aussi, s’écrit dans les traumatismes de l’Histoire.

Liés aux conséquences de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995) en ce qui concerne Birgit Ludwig – qui, dans le contexte d’un accident qui a causé la mort de son père, construit une carte émotionnelle autour de rencontres, de lieux porteurs d’anecdotes personnelles ou collectives, et surtout de dénis.

Et liés à l’ordre 7161 signé par Staline le 16 décembre 1944 en qui concerne Marc Schroeder, un ordre de mobilisation et de déportation d’hommes (de 17 à 45 ans) et de femmes (de 18 à 30 ans) de Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Tchécoslovaquie dans des camps de travail forcé, en vue de la reconstruction de l’Union soviétique:  la majorité des hommes et femmes déportés étaient des Allemands de Roumanie, et le projet ORDER 7161, du nom du décret de Staline, raconte leur histoire par l’intime – c’est un pan aussi méconnu que bouleversant de l’après Seconde Guerre mondiale, et le livre éponyme, issu du projet, a reçu une médaille d’or au Deutscher Fotobuchpreis en 2023-24.


Et tout n’est pas dit. Il est aussi question d’identité avec Séverine Peiffer, à travers la technique du collodion humide, et de football dans l’espace public, en l’occurrence sur les piles du proche pont, avec Muddy Dance, un projet photographique célébrant les virevoltes des joueurs, monté en sauce par Erik Kessels qualifié de franc-tireur de la photo trouvée.


A découvrir sans modération jusqu’au 22 juin. Infos: www.konschthal.lu

 
 
 

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