Du vert, on en a plein les yeux. Et plein les mains – à ceci près qu’au seuil de juin, mois des roses, c’est plutôt des limaces que je cueille dans mes salades. Et plein les oreilles aussi, rabattues par une campagne … électoralement pollinisée par le vivant, sa résilience et sa vulnérabilité.
Du vert, j’en colle à mes semelles depuis que je tiens debout. A croire que le bonheur est dans le pré – et ce n’est pas faute de régulièrement me raconter à travers de belles échappées dans les chemins creux.
En tout cas, se raconter, c’est ce qui taquine mon encre verte du jour. Trempée dans deux parcours de vie. Deux parcours de comédiennes. Celui de Marja-Leena Junker et celui d’Isabelle Bonillo, tous deux transcrits en spectacle.
Sur scène, Isabelle Bonillo, la nomade, arpente tout un pan de son aventure théâtrale depuis l'enfance, jusqu'à monter sa propre utopie en forme de Camion-Chapiteau, qui tourne depuis 18 ans. Au point de devenir un personnage, un complice, aussi convaincu qu’elle de la nécessité d’aller au-devant du public, là où il se trouve, en des lieux parfois improbables. Ce faisant, Isabelle inscrit son destin personnel dans le parcours familial, perfusé par les grands remous du monde. Le résultat, intitulé Pourquoi faire du théâtre en Camionnette – programmé au TOL (Théâtre Ouvert Luxembourg) du 6 au 8 juin – est tout à la fois touchant, passionnant et très ludique. Je vous explique en fin de post.
Sinon, voyage plutôt immobile avec Marja-Leena Junker, qui, pour autant, nous embarque en Finlande, où, depuis son plus jeune âge, elle «aime la promenade (…), contemple la forêt, caresse les mousses, tâte du doigt les bourgeons à la fin de l’hiver, croque en été les myrtilles sauvages». Restitution en mots, en sons et en copeaux de bois dans Luonnollisesti («naturellement» en finnois), un monologue écrit/ mis en scène Stéphane Ghislain Roussel, qui, au-delà du portrait intime de la comédienne, et de l’hommage au métier d’actrice, «nous offre une méditation sur nos écosystèmes mettant en lumière les liens d’interdépendance entre notre humanité et la forêt». A l’exemple d’un long et bouleversant passage à l’allure de fable tragique où d’un lac s’échappent des hurlements, seulement audibles par les âmes sensibles. Ce sont les hurlements des arbres morts, abattus sans que personne n’ait pensé… leur dire merci.
Création vibratoire, sensorielle, tendue par l’émotion et la douceur, Luonnollisesti vient de faire une magnifique escale à l’Escher Theater, reste à espérer qu’elle prenne la route…
Toujours est-il que, parmi ses souvenirs indélébiles, Marja-Leena cite Jean-Pierre Siméon. Et le hasard de bien faire les choses, puisque ce fou de poésie qu’est Siméon est précisément l’invité de marque d’une «Grande Rencontre» qui ne se rate sous aucun prétexte le mardi 4 juin à 19.00h, à neimënster (salle Edmond Dune).
Aussi romancier et dramaturge – son soliloque Stabat mater furiosa a ainsi été monté au TNL… avec Marja-Leena Junker – , Jean-Pierre Siméon est l’auteur de plus de 80 livres qui lui ont valu de nombreux prix – dont Prix Apollinaire et Grand Prix de Poésie de l’Académie Française. Ce qui ne l’empêche pas, au milieu de ses multiples titres – directeur depuis janvier 2018 de la collection Poésie/Gallimard, directeur artistique du Printemps des Poètes et parrain du Printemps des Poètes-Luxembourg –, d’être qualifié de coqueluche des jeunes par François Busnel (La grande librairie).
En tout cas, le 4 juin, Jean-Pierre Siméon proposera une lecture de ses textes – dont de son dernier recueil Avenirs – tout en conversant avec l’historien et journaliste Jérôme Quiqueret à propos du mystère de la création littéraire et de cela, la poésie, qui est «l’ouverture la plus large donnée à la conscience car elle nous donne à vivre, à sentir le monde dans toute sa complexité, son épaisseur, comme un tout dont on est une part active».
Soirée organisée à l’occasion des 25 ans du Printemps des Poètes, et placée sous le Haut Patronage de l’Ambassadrice de France, entrée libre, réservation sur billetterie@neimenster.lu
En attendant, je vous propose une immersion jardinage, concoctée par Canopée Produktion Asbl qui développe depuis 2022 un programme d’éveil à la pratique artistique et à la biodiversité baptisé «Arts & Potager», en même temps qu’elle gère une résidence d’artistes, laquelle célèbre son 5e anniversaire. Voilà qui mérite que l’on s’y attarde, d’autant que, dans son repaire du Pfaffenthal (visuel ci-dessus), au 4 rue Vauban, l’association nous invite ce dimanche 2 juin à un savoureux «Rendez-vous au jardin» – c’est donc déjà demain, il est l’heure de se chausser, en espérant que ce ne soit pas de bottes !, et quand bien même, l’invitation est de nature à faire pousser le soleil.
En fait, il existe un programme européen qui prend soin du patrimoine jardinier, appelé tout bonnement «Rendez-vous aux jardins» et qui fédère annuellement une vingtaine de pays autour d’une thématique différente, en l’occurrence définie par le réseau HEREIN qui, cette année, a opté pour «les 5 sens au jardin». Au Luxembourg, à travers villes, parcs et autres sites (de Colpach à Leudelange, de Mondorf à Ansembourg, d’Esch-sur-Alzette à Esch-sur-Sûre en passant par Luxembourg), ça représente un florilège d’une quarantaine de propositions accessibles ce week-end: concerts, séances de yoga, desserts aux plantes aromatiques, visites guidées (en roseraies notamment), dégustations de produits locaux, promenades folkloriques ou théâtrales – pour tout savoir, surfez sur www.jardinsluxembourg.lu.
Et tout naturellement, Canopée participe à cette édition, avec un programme mariant arts, musiques et ateliers pratiques – celui qui s’amourache de l’ortie, de son histoire, de ses bienfaits, une entreprise de séduction de l’urticacée incluant la fabrication de cordes du genre (à 11.00h) et celui qui vous initie aux tampons végétaux (à 15.00h) –, hormis une bourse aux plantes (de 10.00 à 18.00h), un workshop djembé avec Ebrima (à 13.00h) et un concert djembé «The rytms of Gambia» (à 17.00h), sans oublier le bar à cocktails…
C’est l’occasion de flâner dans le jardin de Canopée, respectueux des saisons, de la biodiversité, de questionner les bénévoles qui s’occupent du paillage, veillent sur le potager biologique et sa serre, de humer, de comprendre qu’il faut s’abstenir… de tondre en mai.
C’est dans ce petit îlot maraîcher que niche la «Résidence des artistes de Canopée», née de la rénovation et donc de la réaffectation de l’ancien presbytère du Pfaffenthal. L’installation officielle dans ce lieu de Canopée Produktion – asbl jusque là un peu itinérante, au demeurant déjà créée en 2015, pilotée par Tessy Fritz et François Baldassare – date très exactement du 6 mai 2019, il y a donc 5 ans, scellant dans le vert et les murs les objectifs et projets de l’association.
En fait, Tessy chérissait un vieux rêve fou, à savoir: «faire une micro-résidence». Dans l’absolu, combler un manque d’espace de vie et de travail pour les artistes à Luxembourg-Ville. Avant tout, «proposer un logement abordable aux artistes indépendants selon des critères qui sont à l’inverse du marché immobilier». Et donc, voilà, avec l’implantation rue Vauban – la commune de Luxembourg est propriétaire du bâti –, c’est chose faite, l’espace de vie pour artistes existe, Canopée asbl le gère de manière indépendante: à travers ses activités, 500 artistes internationaux y ont transité, accueillant pour l'heure 4 résidents permanents et 4 résidents temporaires, surtout des acteurs/musiciens à héberger à la demande d’institutions culturelles, du Grand Théâtre par exemple.
La suite du rêve fou de Tessy reste à écrire, réussir la mue du lieu, synonyme d’accueil, de «mode de vie communautaire (artistique) en milieu urbain», en résidence de création.
Pour autant, création il y a bel et bien: à son actif, Canopée Asbl a produit cinq spectacles (théâtre) – dont Le Gardien d’Harold Pinter, avec Rufus (2020), Loretta Strong de Copi (2021) et Les Oiseaux d’Aristophane (2023), autant de mises en scène de François Baldassare –, deux films – Endstatioun (2021) et le récent Dany Cage, histoire d’une émancipation, réalisés tous deux par… François Baldassare –, aussi un festival multidisciplinaire, le «RDV au Carré Blanc» de 2021 au Kirchberg, en ajoutant, retour au jardin, le programme «Arts & Potager» alliant, comme son nom l’indique, matières artistiques et naturelles... à raison de deux ateliers par mois, bouturés cette année par le thème «Energie», permettant aux enfants de mettre les mains dans la terre et de notamment découvrir les couleurs par les sens – programme pédago-écolo auquel collaborent maison relais et écoles (de Clausen), soutenu par la Fondation Sommer et l’Oeuvre.
En 2025, Canopée Produktion Asbl fêtera ses 10 années d’engagement pour l’expression artistique sous toutes ses formes, tout en renforçant les liens entre créateurs et communauté locale, mais notez déjà son grand «RDV au jardin» du 8 septembre, avec les noces renouvelées de la performance théâtrale et du langage potager.
Canopée, un parcours unique…
Tout comme l’est celui d’Isabelle Bonillo, une enfant de la balle…
«La» Bonillo, c’est un personnage attachant et artistiquement atypique, une comédienne phénomène particulièrement imaginative, un lutin trublion tombé dans la marmite de cet art vivant qu’elle ne conçoit que participatif, donc impliquant une communion avec un public qui ne fréquente pas les lieux institutionnalisés/consacrés. Isabelle mouille sa chemise pour l’amour d’un théâtre populaire et décentralisé, donc, mobile, avec, pour la cause, une camionnette transformable en chapiteau, ce qui comble son envie de faire du théâtre librement, surtout autrement, tout en esquivant le problème de l’étranglement des salles.
Ceci dit, Isabelle se produit parfois en salle(s)…
Parfois engagée dans une production, comme dans le cas de Liliom ou la vie et mort d'un vaurien, pièce de l'écrivain hongrois Ferenc Molnár, spectacle tragicomique sur fond de fête foraine mis en scène par Myriam Muller qui, aujourd’hui, en tournée de Montpellier à Lille, glane la rançon du succès – et la bonne nouvelle, c’est que ce spectacle, créé en novembre 2021, revient à Luxembourg au Studio du Grand Théâtre du 19 au 21 juin.
Sinon, en transposant les ressorts de son originale création nomade sur les planches d’accueil de certains théâtres. La preuve avec sa version de Une Tempête d’après Shakespeare, servie en 1h12 (en 2018) par une Bonillo inspirée. Ou avec Les Misérables de Victor Hugo, en 2023, au TNL, revisitant au galop la monumentale fresque en veillant à cette interaction enjouée avec le public dont elle s’est fait une spécialité, interprétant seule tous les personnages, déchaînée au milieu de chaises symbolisant des barricades pour parler de précarité et de l’importance de renouer les liens sociaux – notez que là où ils passent, Les Misérables font toujours un tabac.
La singularité de l'artiste Bonillo, accrochée à son accordéon, c’est une création faite d’objets récupérés, c’est une audacieuse mais efficace réécriture, audible par le public, sans rien brader de l’essentiel, c’est toujours faire rebondir un texte d’hier dans les fureurs de notre présent.
Cette fois, dans sa nouvelle création, Pourquoi faire du théâtre en Camionnette – en Ford Transit en l’occurrence –, Isabelle ne rend pas hommage aux grands classiques de la littérature (dont on croit tout connaître), non, elle parle d’elle. Sauf que son récit relève non pas du déballage narcissique mais d’une utopie devenue possible – 18 ans durant – , surtout, c’est une histoire d’héritage: c’est que «défendre le concept de théâtre-chapiteau ne vient pas que de moi, mais du nomadisme de ma famille». Lié à la Grande Histoire.
Et le récit de parler de l’itinérance depuis l’antiquité grecque, celle-là qui, allant vers le public, permet la démocratisation de la culture, puis d’embarquer l’arrière-grand-mère rejoignant la Suisse avec ses 2 enfants en poussette, de croiser le grand-père prisonnier en 1939 au Stalag VII en Allemagne, de télescoper l’indépendance de l’Algérie, de mêler ses souvenirs d’enfant (née à Strasbourg) aux déplacements de ses parents comédiens, témoins/acteurs de la décentralisation théâtrale, de l’aventure du Théâtre Populaire, à Rennes, Amiens, Marseille. Le périple est foisonnant, qui croise anecdotes à rebours et expériences personnelles (dont celle d’Isabelle jouant, petite, dans les décors), avec humour et émotion(s) à tous les étages.
Sur scène, pas de camionnette, mais de l’image projetée décrivant faits, lieux ou rôles. En tout cas, le récit, choral, implique trois personnages (visuel ci-dessus, photo ©Fred Burnier): Isabelle, certes, et un garçon, Nicolas Ruegg, au statut poétique, sinon onirique, «apparaissant notamment au gré de costumes enfilés, donnant une voix, une âme au Camion endormi», et une fille, Catia Machado, au statut pragmatique, boostant mécaniquement car, «à un moment, le Camion, n’y croit plus, et c’est par le récit qu’il redémarre».
Le public est prévenu, il aura lui aussi un rôle à jouer, «car on lui demandera son avis…»
En clair, rendez-vous inconditionnellement, et sans modération, les 6, 7 et 8 juin, 20.00h, au TOL (Théâtre Ouvert Luxembourg),143 route de Thionville, réserv. tél.: 49.31.66, ou www.tol.lu
Le spectacle vous attend également dans le Off du Festival d'Avignon – lequel festival commence plus tôt cette année, dès le 29 juin, pour cause de Jeux Olympiques –, ce, à l'Espace St-Martial, tous les jours à 18.55h,jusqu'au 21juillet (relâche dimanche 30 juin & 7,14,21/07). Réserv. tél.: 00.33.4.86.34.52.24.
Et c’est encore par un parcours de vie que je termine ce post. Un parcours qui relève du combat. Celui d’Alice Barraud, une acrobate voltigeuse… qui a reçu une balle dans le bras lors des attentats du 13 novembre 2015 et qui, par le corps et la musique – en compagnie, sur scène, de Raphaël De Pressigny, le batteur du groupe Feu! Chatterton – raconte sa lente reconstruction physique et morale.
Intitulé MEMM, ce qui signifie «Au Mauvais Endroit au Mauvais Moment», le spectacle – 70 min., tout public à partir de 10 ans – est accueilli le 7 juin, à 20.00h, à l’Escher Theater dans le cadre des Francofolies. Réserv.: theatre.esch.lu, tél.: 27.54.50.10.
Un ultime dernier mot pour vous dire enfin que la 9e édition de TalentLAB est lancée, ce laboratoire, cette plateforme de communication, d‘échange et de soutien du processus de recherche artistique associant, jusqu’au 9 juin, le Grand Théâtre, le Théâtre des Capucins, le Théâtre du Centaure et le TROIS C-L, Maison de la danse, où, justement, le 3 juin, à 19.00h – lors du mensuel et désormais incontournable «3 du TROIS» (à la Banannefabrik, 12 rue du Puits, Bonnevoie) – projection il y a de Moitié Moi (visuel ci-dessus), un documentaire expérimental d’Akim El Ouardi et Nora Wagner montrant le processus de création et les dynamiques respectives de 4 danseurs.euse.s passionné.e.s par le hip-hop. Infos: www.danse.lu, tél.: 40.45.69.
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