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  • Marie-Anne Lorgé

Mythissages

Nora Wagner et Catherine Lorent, deux sacrées nanas, particulièrement solaires, deux artistes (luxembourgeoises) inclassables, qui bousculent les codes traditionnels de l’exposition, deux mondes habités par des utopies douces, des introspections, des rêves, de l’humour, des insolences aussi et des accents féministes en prime, à découvrir à Dudelange (ne loupez pas le programme des performances associées, voir tout en dessous). Je vous raconte…


Mais avant, sachez que, waouh, ce week-end, c’est culture carton plein. Ça va faire du bruit. Dans les oreilles, les corps et les yeux. Eh oui, cette culture qualifiée pendant dix-huit mois de non essentielle prouve par l’exemple – et je vous en livre 4 points cardinaux (théâtre, Konschthal Esch, Mudam, TROIS C-L) – combien, source d’une profonde connexion entre les individus, elle donne du sens et des orientations.



Alors, pas question (du tout) de rater le Mudam (Luxembourg). Qui nous parle d’art et d’économie à l’ère du digital dans son expo mammouth Post-Capital (un corpus de sculptures, peintures, photographies, vidéos de 21 artistes originaires de 17 pays, déployée sur trois étages du musée, photo: œuvre de Katja Novitskova), assortie, pour marquer l’ouverture «de cette enquête générationnelle de l'art contemporain» d’une performance de Nora Turato intitulée What is dead may never die (donc, ce 02/10, à 15.00h et 17.00h), et d’enchaîner avec The Illusion of the End, un programme de deux semaines consacré à l’art de la performance, du 02 au 17 octobre, en compagnie d’ artistes d'Allemagne, d'Italie, de Pologne, de Russie et de Suisse jouissant d’une reconnaissance internationale.


Pas question non plus, bien sûr, de louper ce barnum qu’est la très attendue ouverture ces 2 et 3 octobre de la Konschthal Esch-Espace d’art contemporain: 2.400 m2 habillés par trois expos inaugurales, dont celle, aussi labyrinthique que troublante, de Gregor Schneider, intitulée Ego-Tunnel, qui en une succession de sept «Räume», ou installations immersives, infuse l’étrangeté dans le thème du double et celui de l’isolement, celui aussi de la disparition/reconstitution. Il est ainsi question de l’espace domestique, de la maison où l’on est censé habiter mais qui n’est habitée par rien, si ce n’est par le repli.



Gregor Schneider, plasticien allemand claustrophobique, né en 1960 à Reydt, héritier de l’actionnisme viennois, c’est aussi des objets (divinités hindoues fabriquées en torchis par des locaux pour être jetées dans le Gange et que l’artiste a ensuite récupérées, lors d’un festival à Calcutta), des films et des photos: un univers vaste, à ce point vaste et déboussolant que les 2.400 m2 du lieu n’y suffisent pas. Je reviendrai prochainement sur cet artiste considéré comme hermétique mais salué par un Lion d’or à la Biennale de Venise en 2001, l’expo restant accessible jusqu’au 9 janvier 2022 (photo juste ci-dessus: Gregor Schneider, IM KERN, © Gregor Schneider/VG Bild-Kunst Bonn).


La Konschthal Esch étant le lieu de dialogues entre l’international et le local, entre l’Histoire et l’actualité, cette ouverture est l’occasion «de tout présenter sans être mixé». De sorte que, concrètement, sont présentées les deux constellations photographiques Providencia de Daniel Reuter & ERRE de Lisa Kohl, tout juste de retour d’Arles (on vous en a joliment parlé lors du Mois européen de la photo), ainsi que la sculpture Mechanics of the Absent Revolution de Martine Feipel & Jean Bechameil: la pièce, sculpture en résine d’un Lénine au cœur robotisé, déjà exposée au Casino Luxembourg en 2018, menacée par les dernières inondations qui ont dévasté l’entrepôt des artistes à Echternach et pour la cause, rapatriée à la Konschthal, préfigure leur expo à Kaunas (Lituanie), Capitale européenne de la culture jumelée avec Esch22.

Bien sûr, pas d’ouverture sans flonflon. Un volet festif particulièrement servi par deux scènes musicales, extérieure et intérieure, susceptibles de mettre le feu ce samedi (02/10) de 13.00 à 01.00h. Infos: Konschthal.lu



Et pas question non plus de bouder la première création de la saison 21·22 des Théâtres de la Ville (Luxembourg), à savoir: Let Me Die Before I Wake, une création hybride (musique, parole et mouvement), mise en scène par Renelde Pierlot, avec la complicité de United Instruments of Lucilin, qui s’intéresse au rituel funéraire (photo © Bohumil Kotohryz). Spectacle surprenant ces 2 et 5 octobre à 20.00h, ainsi que ce 3 octobre à 17.00h, au Théâtre des Capucins. Infos: www.lestheatres.lu


Et puisque le corps est en mouvement, voici un morceau de choix multisensoriel. Celui que le TROIS C-L (Centre de Création Chorégraphique Luxembourgeois, rue du Puits à Bonnevoie) concocte pour sa soirée du dimanche 3 octobre (à partir de 19.00h).



Lors du «3 du TROIS», explorez le lien entre la danse et la peinture, dans ChoreoChroma (ci-photo © Guido Bosua), une recherche du collectif LUCODA pour Esch22 – le projet a pour point de départ le tableau de l’artiste serbe Sava Šumanovic, Déjeuner sur l’herbe, et la performance convie le public à une expérience multidimensionnelle, l‘invitant à explorer avec un regard contemporain les œuvres du patrimoine historique –, avant de vous immerger dans la théorie des multivers avec Katarzyna Baran son ALFA CENTAURI traite, par le biais de la danse-théâtre, du corps et de l’espace, de l’immobilité et du mouvement, des souvenirs et du vide.


Le tout complété par une conférence intitulée Décadence. Rien ne vous oblige à réagir, conçue par la Cie Eddi Van Tsui, compagnie franco-luxembourgeoise explorant les multiples travers de la société actuelle via le théâtre et la danse, fondée autour de Sandy Flinto (mise en scène), Pierrick Grobéty (musique & conception sonore) et Daniel Marinangeli (dramaturgie).


«Le monde semble être devenu un sottisier inépuisable, un lieu où les fous, hilares et armés, célèbrent leur victoire. L’instinct de survie, se mobilisera-t-il? Sombrera-t-on dans la résignation et le je-m’en-foutisme?»: c’est autour du sujet de la décadence que les artistes développent donc un nouveau répertoire artistique: entre danse et doublage, ils expérimentent avec le texte et le mouvement.


Infos et réserv. tél.: 40.45.69, www.danse.lu


Il est temps de débarquer à Dudelange…



Artiste habitée, rêveuse éveillée tombée dans la marmite des contemplations faufilées par la poésie, dans les enfouis de notre conscience ou de nos souvenirs, Nora Wagner niche actuellement (et jusqu’au 24 octobre) dans le Centre d’art Dominique Lang, et nicher, c’est bien le mot.

Sa proposition – au titre sibyllin search?q=définition_APPROCHES -– est celle d’une expo imaginaire. Pas de produits finis vendus/consommés sur socle. Mais du peu bricolé/récupéré souvent inspiré par la nature. Mais une atmosphère tendue par la projection, au plafond, d’une scène aquatique, et surtout tendue par des lumières pastellisées où patientent des branchages, des bobines de fils de couleur et autres objets textiles faits main, cousus, brodés, crochetés, familiers ou symboliques, tous à haut potentiel narratif et tous semés dans l’espace sans lien apparent. Sauf que «du rien, visible, émane ce tout, invisible». Auquel on accède en déambulant sans réserve. Faut juste lâcher prise.


Court-circuiteuse de systèmes qui encarcanent, Nora propose donc une expérience immersive. A chacun de fabriquer/projeter ses propres images, ses ressentis. Et pour parfaire l’immersion, Nora met à notre disposition des casques audio, 5 au total (en français ou allemand), sauf que ces guides sonores loin de baliser une trajectoire, une ligne à suivre, nous plongent davantage encore dans une autre dimension spatio-temporelle. Les voix racontent, réagissent à l’évidence, et chacune à leur façon, à des photomontages dont le quidam visiteur ignore tout – du reste, chaque «narrateur» ne sait pas non plus ce que fait son homologue sonore (féminin ou masculin), ni même d’ailleurs qu’il/elle a été préalablement soumis(e) aux mêmes photomontages. Au final, corps et voix communient dans le dispositif qui est un éloge de la lenteur et des sens ouverts.


Avant d’entrer dans l’espace, le mode d’emploi confié par Nora est simple: «éteignez votre portable, prenez place là où ça vous tente; assis, couché, accroupi, tout est permis - explorez - jouez - rêvez», repérez un grain de poussière, éprouvez une température ou captez une odeur, le but étant de libérer son «sauvage intérieur».


Pendant toute la durée de l’expérience, jusqu’au 24 octobre, Nora va progressivement ajouter des éléments à son désarmant capharnaüm, autant de bricolages/assemblages liés à l’environnement, au mythe, au conte, au souvenir, au refoulé, et, dans ce processus évolutif, inviter régulièrement la psychologue Simone Bauer, le temps d’une médiation baptisée Mythissages, où le «déguisement» (cape ou masque de laine) est l’accessoire empêcheur de jugement, le dérivatif à révolte et à blessure secrète – c‘est le cas ces 2 et 3 octobre, et ce le sera encore les week-ends des 9-10 et 16-17/10, chaque fois de 15.00 à 19.00h.


Notez aussi, Meteor, ce 3 octobre, en boucle, une performance de Bertrand Dufau.

Et puis, Le désoeuvré, le jeudi 21/10, à 19.30h, une pièce de théâtre, adaptée et mise en scène par Godefroy Gordet, avec Cyril Chagot pour l’interprétation, et Denis Jarosinski pour la musique live.

Et enfin, le 23/10, une journée de… déconstruction collective.



A deux pas, dans le Centre d’art Nei Liicht, Catherine Lorent nous parle de Pia Fraus (dixit photo), la figure de la «fraude pieuse», à traduire aussi par «pieux mensonge», cette manière intentionnelle de dissimuler la vérité.

Dans son expo – qui transite par la peinture, les installations et … la camera obscura –, Catherine «aborde aussi bien le caractère illusoire de l'art que le mensonge délibéré qui donne à l'histoire de l'art sa forme discursive», tout en s’attardant sur «les constructions clichées et malhonnêtes des différences entre les sexes, censées nous donner une image nous permettant de nous orienter dans "notre" monde».


Tout commence par une sorte de Mona Lisa démythifiée, barbue pour la cause et devenue parfaite femme d’affaire(s). Suis une sorte de fée Morgane, personnage légendaire, séductrice, à laquelle l’artiste confère un pouvoir insensé – à faire trembler la geste arthurienne –, celui d’extraire Excalibur, l'épée magique du roi Arthur, du rocher dans lequel elle est enfichée. Ce pourrait aussi être la Dame du lac, à qui Arthur aurait menti et qui a fini décapitée.


Dans les peintures qui empruntent formellement à l’héraldique, Catherine intègre parfois des silhouettes de sirènes dans les flots dessinés qui ourlent les «blasons». Où, au centre, elle commet de splendides marines.


Fondue de voile, Catherine entretient d’ailleurs avec la mer un rapport aussi charnel que métaphorique, voire politique. Dans une installation, utilisant les jantes de sa voiture, autour desquelles, comme en un corset (de femme), elle enserre des drapeaux de signalisation maritime, elle peint, sur les disques, des batailles navales en miniature, histoire de gagner de décalée façon la bataille du féminin/masculin. Remarquez une bougie sur le bord de la jante, sur laquelle est inscrit le mot «Democracy», «comme si quelque chose était sur le point de voir le jour»...


Enfin, pour Catherine Lorent, rebelle au coeur tendre, aussi guitariste, Pia Fraus est également le nom d'un groupe de «shoegaze» (rock alternatif), qui, à force «d'utilisation extensive d'effets» «tromperait le son "réel" des guitares»…. Et Catherine d’alors planter son ersatz d’Excalibur, une hache de guerrière… aux allures de bijou.


Une expo étonnante à voir et revoir jusqu’au 24 octobre. Notez le 23 octobre, à 17.00h, «Planned Obsolescence», une performance de Catherine Lorent, jumelée à la présentation du catalogue Pia Fraus.


Infos (pour les deux expos): www.galeries-dudelange.lu

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