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Marie-Anne Lorgé

Muette conversation

Juste deux propositions photographiques, qui parlent de notre rapport avec le temps qui passe. En l’occurrence, avec ravissement.


La première est inattendue. C’est une vidéo panoramique projetée en boucle derrière un rideau, dans l’arrière-salle de la galerie Ceysson, à Koerich/Wandhaff, dont les cimaises consacrent, par ailleurs, les grands formats criards du peintre slovène Mitja Tušek, un florilège de visages, des «âmes vagabondes» rondes comme des bulles, et des forêts, un fouillis végétal né du pinceau batifolant sur des feuilles de plastique… à bulles.


Mais donc, derrière le rideau, en embuscade, huit minutes d’une éternité émouvante. Je vous conduis.



Loin du vacarme de l’eau, voici le décor planté d’un monde de silence, fait de pierre, et pourtant étrangement habité par d’humaines émotions.


Le lieu est confidentiel, recueilli comme une crypte: c’est la Petite Ecurie de Versailles, rarement accessible, sauf pour les étudiants/apprentis sculpteurs. Sauf aussi pour une artiste singulière, singulièrement attachée à nous reconnecter au vivant. Voilà donc Marie José Burki, photographe et vidéaste née en Suisse mais vivant à Bruxelles, qui pénètre dans le temple statuaire comme par effraction, c’est sa façon de proposer une brèche dans l’actuel flux saturé des images.

Elle avance à pas feutrés et lents, son oeil fait de même, il caresse. L’effleurement est à tel point bienveillant qu’il allume l’illusion: plus n’est question de matière mais de visages et de corps qui entre eux et avec nous, nouent des conversations muettes.


Dans ce temps décompté ou suspendu, l’œil s’attarde sur l’ourlet des lèvres, sur la délicatesse des plis, sur l’harmonie des morphologies, les expressions, donc, sur les canons d’un art classique désormais déboulonné par l’abstraction et l’épure, sauf dans les jardins publics.


Peut-être ces sculptures ont-elles échoué dans cette versaillaise antichambre des oubliettes en vue d’une réparation, sans toutefois être à jamais réhabilitées. Etiquetés comme des cadavres dans une morgue, hommes et femmes sont mélangés, dieux et rois déclassés, destitués, meurtris, leurs combats aussi, subsistent la poussière, des doigts et des orteils mutilés. Ce qui les rend éminemment attachants… Recouvrant pour peu une identité, une épaisseur, un nom…


Impossible aussi de distinguer les originaux des copies, sauf par de fins traits noirs, ces estafilades typiques du travail de moulage. A lire aussi comme autant de cicatrices, promptes à raccommoder une mémoire.


Et la vidéo de Marie José Burki, intitulée Exposure: Dusk (Exposition: Crépuscule), est un exercice empathique autant qu’un travail de mémoire, un éloge à la représentation sculpturale autant qu’une façon esthétisée de raconter l’histoire de nos vanités et de nos amnésies.


Photo: Marie José Burki, Sans-tire-(gypso-III)-#2_3-2019-Photography-90x130.27cm ©Marie-Jose-Burki


Infos:

Ceysson & Bénétière, 13-15 rue d’Arlon, Koerich/Wandhaff: Marie José Burki, Exposure: Dusk, une vidéo pour un écran, et Mitja Tušek, Freiheit ist Arbeit, peintures. Jusqu’au 30 juillet – Tél.: 26. 20.20.95, www.ceyssonbenetiere.com



Pour la deuxième proposition, rendez-vous à Luxembourg, au Cercle Cité (Place d’Armes), avec des gens et des rues, un hommage au photographe Pol Aschman célébrant le 100e anniversaire de sa naissance (le 8 février 1921 à Luxembourg, décédé en 1990): une expo réalisée par la Photothèque de la Ville de Luxembourg, en étroite collaboration avec Christian Aschman, photographe et neveu de Pol.


Une sélection de quelque 160 photographies soigneusement sélectionnées – parmi les 220.000 documents du fonds, lequel constitue «l’une des archives majeures et parmi les plus précieuses de la Photothèque» – compose cette exposition qui donne au visiteur un aperçu du travail remarquable et des motifs tellement diversifiés du photographe, dont Pol Aschman lui-même, enfant de la période de l’entre-deux-guerres, et une prédilection pour les scènes de rue et de nuit, la Schueberfouer, les portraits, les métiers, la Famille grand-ducale ou encore l’architecture.


«Traitant en grande partie des événements politiques et socio-culturels ayant eu lieu au Grand-Duché pendant la période de 1949 à 1988, Pol Aschman était toujours à la recherche du détail, ce qui permet une lecture profonde et consciencieuse de ses images. Voyageur du regard, il se distinguait par une vue subtile, révélatrice et précise, mettant en évidence les clichés, les mœurs et les traditions de la vie sociale et de la société elle-même».


Photo (ci-dessus): Pol Aschman © Photothèque VDL


Infos:

Au Cercle cité, dans le Ratskeller (entrée rue du Curé): des gens et des rues – 100 ans Pol Aschman. Exposition de la Photothèque de la Ville de Luxembourg, jusqu’au 26 septembre 2021, tous les jours de 11.00 à 19.00h, entrée libre – www.cerclecite.lu

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