Mon petit voisin m’a bricolé un calendrier de l’Avent en carton, constellé de gommettes (de couleur verte comme l’est le nichoir accroché à son balcon) et de formes en pain d’épices, dont une ressemble à un minuscule Orient-Express: une image gourmande prompte à rendre l’imagination vagabonde.
C’est pas mal pour tromper la grisaille qui nous plaque au mur. Du coup, ce que propose mon bon plan du jour, c’est de l’image. Un plan grand angle. Donc, rompu aux photos. De celles qui stimulent de nouveaux imaginaires. Mais point n’est question d’un dépaysement promu à coups de guides où le regard s’épuise sur des images irréelles.
Alors, quoi ? Ce sont des photos qui ne tiennent pas la réalité à distance et qui font réfléchir les yeux. Sans pour autant épargner la beauté. Ni une autre idée du voyage.
Au rayon «voyage qui ne dit pas son nom», il y a Alfred Seiland. Qui n’est pas un baroudeur, pas un chasseur d’ailleurs tenaillé par la bougeotte ou un besoin de nous éblouir. Voilà, Alfred Seiland, photographe autrichien, a fait non pas «un beau voyage» mais un périple inédit. Perfusé par l’Histoire. A travers l’ancien empire perse et un Iran contemporain.
Pour la cause, le résultat s’intitule Iran between times (L’Iran entre deux ères): un projet d’envergure, promis à une suite (comme un work in progress), qui s’inscrit dans la lignée d’Imperium Romanum, son premier projet mené depuis 2006 interrogeant les vestiges incroyablement résistants du monde romain au XXIe siècle. Cette étonnante archéologie du présent est à découvrir au Musée national d’Histoire et d’Art (MNHA, photo partielle de l'expo ci-dessus © Tom Lucas).). Suivez mon coup de cœur ci-après…
Sinon, il y a l’image qui documente, enjeu chapeauté par la photo de presse, avec, en vrac, ses chocs, ses vérités crues, ses séductions aussi, et ses émotions, ses états de grâce, ses histoires qui les nourrissent. Pour le coup, rendez-vous à neimënster qui expose jusqu’au 20 décembre les meilleures images de l’année 2020 du «plus prestigieux concours de photographies de presse au monde» qu’est le «World Press Photo».
Photos qui ne se limitent pas à la crise sanitaire mais reviennent également sur la crise climatique et les dégâts des incendies dans la région du Pantanal (Brésil) ou encore les conflits territoriaux et la flambée des manifestations pour la justice sociale dans le monde. Pour cette édition, le Danois Mads Nissen décroche le prisé World Press Photo of the Year pour une étreinte (photo ci-dessus © Mads Nissen). Un instant douloureux et déchirant, saisi dans une maison de soin à São Paulo, au Brésil, où, après des mois d’isolement, Rosa Luzia Lunardi, une dame de 85 ans, peut enfin enlacer un soignant… garroté par une camisole en plastique.
L’exposition, présentée en exclusivité à neimënster, produite par la World Press Photo Foundation, est accessible tous les jours, de 10.00 à 18.00h. Entrée libre.
Il est temps de filer au MNHA.
Arg-é Bam, vous connaissez? C’est une sorte d’immense citadelle, le plus grand ensemble construit en adobe (argile et paille hachée) du monde. Une ville fortifiée détruite en 2003 par un tremblement de terre, désormais reconstruite à l’identique mais restée fantomatique, vidée d’âmes, comme mangée par les sables. Le site se situe à Bam, sur la célèbre Route de la soie. Au crépuscule, dans un ciel d’avant l’orage, mâtiné d’une atmosphère à la James Bond, l’arrêt sur image est une splendeur (photo ci-dessus © Alfred Seiland). Grand format. L’un de ceux qui balisent le parcours visuel aujourd’hui exposé au MNHA.
Un parcours en rien documentaire, ni touristique, mais foncièrement pétri par une orientation esthétique, conçu par Alfred Seiland parti pérégriner à travers l’Iran – par deux fois, en 2017 et 2019, eu égard à la difficulté croissante d’obtention d’autorisation liée à l’émergence de la République islamique – sur les traces du patrimoine romain encore visible dans ce que fut l’empire perse.
En fait, Iran between times, en une sélection de 60 images – photos analogiques mêlées à des vues spontanées saisies avec un appareil numérique, moins voyant, moins «suspect» –, c’est une traversée de 6.000 ans suspendue à de vastes paysages, à des ruines et à des portraits, où ce qui se lit, pourfendant les clichés et autres stéréotypes (point de Shérazade, ni de Mille et Une Nuits, pas davantage de puissance nucléaire, ni de Khomeini, pas plus que d’aspect religieux, sinon de façon sous-jacente), ce qui se lit, dis-je, c’est l’inscription du passé dans le présent – sacrée leçon d’histoire ainsi exhumée que celle des deux empires romain et perse qui malgré leur rivalité se sont toujours respectés, ainsi «Persépolis n’a jamais été détruite, par contre, Alexandre le Grand l’a fait» (dixit Michel Polfer, directeur du MNHA).
Ce qui n’a pas empêché les mises aux fers, et leurs empreintes prégnantes, attestées par les fouilles, dont celles menées à Gundishapur (c’est la première image de la visite), ville ancienne (près de Shahabad) où les soldats romains déportés/prisonniers ont bâti maisons et fontaines selon un plan rectangulaire… donc non pas selon le plan rond traditionnel perse.
Ce qui se lit également, c’est l’aujourd’hui, le quotidien de la société iranienne.
Alfred Seiland capture le temps et l’espace, en deux salles. L’accrochage est dense, qui passe par des architectures (intérieure comme la mosquée rose Nasir-ol-Molk qui ouvre le parcours, ou extérieure comme le village ocre d’Abyaneh), par des vues panoramiques, des déserts – où se perd une cage de football, sans filet, flanquée d’une balle en pierre, témoin de la défiance du régime pour le sport de masse, surtout féminin –-, par des sites oubliés ou réputés, à l’exemple de Naqsh-e Rostam, site archéologique situé à 4 kms de Persépolis, avec le bas-relief représentant le triomphe de Chapour sur l’empereur romain Valérien, capitulant à genoux.
A l’exemple aussi de Behest-e Zahara (à Téhéran), le plus grand cimetière du monde, maillé par des lignes de train, afin d’y faciliter la circulation. A l’exemple encore du «War Memorial» à Arvand Kenard, avec ses stigmates (palmiers dattiers décapités) de la première guerre Irak-Iran, utilisé par le pouvoir comme outil de propagande de l’esprit de résistance iranien.
Et ça passe par la rue, par le bazar de Vakil (21.840 m2) et par les boutiques à ciel ouvert du district rural du Qaemiyeh où les gens vendent tout ce qui peut l’être, sur des caisses installées (de nuit) le long de l’autoroute. Et ça passe également par des urgences sociétales liées à la détresse hydrique, dont témoignent des pédalos échoués sur les rives du Zayandeh Roud désormais tari.
Des lieux, beaucoup, des quidams… un peu.
Bien sûr que le photographe Seiland a minutieusement préparé son périple en amont, défendu son enjeu artistique, épluché/soupesé par le ministère de la Culture selon «une grille de lecture précise de l’image qu’il veut donner de l’Iran, fidèle aux directives du pouvoir».
«Réviser l’image de l’Iran diffusée par les médias à l’étranger», ce serait d’ailleurs l’un des signaux envoyés par la population – qui vit à l’occidentale dans la sphère privée mais souffre (notamment) du manque de médicaments. En tout cas, ce que révèlerait la paradoxale photographie d’un coin de rencontre aménagé dans la cour de la mosquée d’Ispahan, c’est «le besoin des Iraniens d’entrer en communication avec l’étranger», scellant par l’image «la différence entre le peuple perse et le régime».
Infos:
Musée national d’Histoire et d’Art, Marché-aux-Poissons, Luxembourg: Iran between times – Alfred Seiland, photos, jusqu’au 11 septembre 2022. Expo assortie d’un programme de conférences, visite thématique et ateliers. www.mnha.lu
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