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  • Marie-Anne Lorgé

Le sucré et l’amer

Et malgré tout, besoin est de (se) faire peur. Déjà, fantômes, squelettes, zombies, morts-vivants, sorcières et citrouilles creusées par une bougie – eh oui, Halloween, c’est le chou gras des maraîchers –, transforment nos jours en nuits homéopathiques: combattre le mal par le mal, soit, effrayer pour faire fuir l’effrayant – en même temps, preuve par la terrifiante actualité, recourir à la violence… ne met jamais fin à la violence. Evidemment, Halloween, c’est le bon prétexte pour tout plumeau paresseux d’épargner ses toiles d’araignée, c’est aussi l’occasion, quand les nuages crachent des trombes d’eau (surtout en période de vacances scolaires), de coudre des frissons/superstitions dans de vieux draps.


Tiens, dans la foulée, j’en profite pour vous signaler que ce 29 octobre, toute la journée (à partir de 11.00h et sur tout le site), neimënster se transforme en manoir hanté pour accueillir les magiciens de la peur et les virtuoses de la frayeur. Des ateliers (maquillage, déguisements, création de cupcakes) et des spectacles (dont Insekten, ciné-concert, duo instrumental, cirque) pour déflorer les secrets de l’art de la frousse. Infos: neimenster.lu


Sinon? Eh bien, il y a la lumière rasante, qui enduit les feuillages d’un sublime cuivre – c’est la magie de saison, le chant du cygne automnal, une sorcellerie sans nez crochu (j’ai été béatement piégée mardi, entre deux arcs-en-ciel), en tout cas, pour le moins, c’est un spectacle fascinant. Qui m’a fait penser à Zarina Khan, philosophe, écrivain, metteure en scène, qui interroge notre capacité à réenchanter le monde en ces temps brouillés, laquelle passe par notre regard sur le grain des choses.



«L’art est mon pays», dit Zarina, et ils sont nombreux à habiter ce pays «à la manière des éclats de lumière qui scintillent à la surface des eaux». A l’exemple de Marco Godinho, artiste nomade, disciple de l’inframince, qui, au Centre d’art contemporain Les Tanneries à Amilly (Loiret), nous parle d’Un vent permanent à l’intérieur de nous comme d’un itinéraire chanté – le vernissage est tombé ce 28 octobre, jour de pleine lune... (belle idée d’échappée de Toussaint, à renouveler jusqu’au 21 janvier).


A l’exemple aussi d’Ange-Frédéric Koffi – qui se découvre actuellement chez Nosbaum Reding Bruxelles (autre idée d’échappée belle). Alors que la plupart des œuvres d’art s’intéressent à la manière d’occuper l’espace, la pratique d’Ange-Frédéric Koffi (né à Korhogo, en Côte d’Ivoire) s’intéresse à sa production affective. Si ses installations mélangent sculptures, textiles et peintures, la photographie est son support principal: «dans les mains de l’artiste, l’appareil photo devient un outil pour capturer l’inquiétante étrangeté d’objets apparemment banals et créer ainsi une sensibilité au-delà de la perception visuelle». At the limit of dream (Aux confins du rêve), une «invitation à habiter les espaces liminaux que font entrevoir les compositions poétiques de l’artiste», jusqu’au 18 novembre.


Et à Luxembourg? Eh bien… Hors-d’oeuvre (visuel ci-dessus, Sweet Country, peinture de Florence Haessler, photo © Cercle cité) et Rebellion (par l’Atelier Van Lieshout). Deux expos et deux versions du pacte de l’art avec la société. Ça nous concerne, ça fait (parfois joyeusement) réfléchir et ce qui ne gâche rien, c’est beau (d’une beauté autre que faire joli). Je guide.



Tout commence au Cercle Cité, par… la pâte à mâcher – une mastication du reste peu élégante –, une matière désormais taxée d’incivisme, toutes les villes du monde voyant leurs trottoirs constellés de chewing-gums usagés, dont la biodégrabilité atteint 5 ans. Mais aussi une matière colorée ludique, qui dit l’enfance. Et c’est tout ça qui a inspiré Simone Decker, artiste pop-art née en 1968 au Luxembourg, connue pour sa participation en 1999 à la 48e Biennale de Venise… où, dans les rues vénitiennes justement, elle est intervenue en combinant la photographie et la mise en scène de mini sculptures en gomme du coup photographiées sous un angle spécial leur conférant une monumentalité. Au final, Chewing in Venice, dispositif de trompe-l’œil aussi simple qu’astucieux, crée la parfaite et bluffante illusion d’une Sérénissime envahie par de géants volumes plutôt joyeux mais néanmoins étranges, mystérieux, des objets sculpturaux extensibles… potentiellement comestibles?


Le chewing-gum est aussi la matière pétrie par l’artiste néerlandaise Bea de Visser, sa vidéo Blowup (visuel ci-dessus © Cercle cité) se composant de gros plans intimes montrant des (très) jeunes filles qui mâchent des chewing-gums, un rituel ordinaire, apparemment innocent … qui devient particulièrement suggestif dès lors que les zooms braqués sur les boules de gomme explosant sur la langue, rose, et autour de la bouche, sur les lèvres humides, génèrent d’érotiques et sexuelles allusions au sein, à la vulve, au préservatif. En optant pour un ralenti silencieux, l’artiste amplifie l’ambiguïté, et le résultat, provocant mais étonnamment esthétique, fait valoir la séduction souvent taboue entre enfance et l’âge adulte.


Eh quoi? C’est que voilà, avec Hors-d’œuvre, expo consacrée au thème de l’alimentation dans l’art contemporain, le Cercle Cité rassemble 8 artistes (d’ici et d’ailleurs) qui travaillent sur la métaphore de la nourriture «pour mettre en lumière ou dénoncer d’autres choses, comme l’écologie, la question du genre». Bien sûr, en même temps, «la nourriture, c’est très personnel», liée à l’intime tout autant qu’à la relation à l’autre. A la table aussi, territoire du goût, interface culturelle, espace de partage, d’exclusion également.


Et donc, c’est Simone Decker qui ouvre le menu dans une première salle dite minimaliste, aux côtés d’Alexandre Lavet, artiste français qui vit à Bruxelles, qui décline une série de canettes de bière Jupiler. Sauf qu’il s’agit non pas de ready-mades mais de fac-similés méticuleux, de parfaites copies soigneusement peintes. «C’est ludique, ça parle de consommation populaire autant que de déchet, mais c’est aussi émotionnel», en fait, All the good times we spent together (c’est le titre de l’oeuvre) est raccord avec l’accueil de la scène artistique bruxelloise, ambiance des vernissages incluse.


Dans la même salle, une phrase en néon blanc, DRIED SQUID COLD BEER AND PEANUTS, de Jieun Lim: il s’agit d’une citation d’un vendeur de trolley extraite d’un film coréen, d’une scène se déroulant dans un train, qui surfe sur l’importance du langage dans le domaine visuel et sur les hybridations culturello-linguistiques résultant des traductions.


Et puis, une autre oeuvre blanche. Celle de Trixi Weis (Eschoise), produite pour l’occasion. Une petite structure en fondant, une maisonnette en fine pâte à base de sucre impalpable, intitulée pour la cause Sugar – qui fait d’ailleurs écho à une installation éponyme créée en 2021 pour son expo Empty Emptiness, au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange. Une oeuvre qu’elle inscrit dans son questionnement critique de la «surconsommation capitaliste» qui «laisse l’homme tragiquement seul».


Alors, le sucre, une addiction, sans doute, mais aussi une matière gourmande qui dit l’enfance, un thème qui perfuse le travail de Trixi depuis toujours. En fait, mieux qu’un thème, tout autre chose même, de l’ordre d’une nostalgie, une lame de fond affective qui confond le passé et le présent, et qui embarque le conte, le jeu, l’insouciance et aussi cette zone de refuge qu’est la maison.


Trixi, artiste sensible, n’en finit pas d’accoucher d’œuvres intimes, qui parle d’elle, part de son vécu pour télescoper le collectif, sinon l’universel. Et la maison, précisément, cristallise sous le même toit la chaleur d’un chez soi et le manque induit à la fois par la migration, le déracinement (Trixi s’indigne de l’exil forcé, de la précarité) et par le deuil (Trixi reste inconsolable de la disparition de son père, du vide que réactivent les objets, ces catalyseurs de souvenirs).


La maison est ainsi blanche comme… un linceul, et elle est donc en sucre, matière éphémère… symbolique du temps qui file sous nos doigts.


Aussi, c’est une maison toute petite, une sorte de… maison de poupée. Une référence qui, par ailleurs, me permet de rebondir sur les petites fleurs moulin à vent que Trixi vient d’installer «comme des nuages» sur les façades sud et ouest du Lenkeschléi, du nom de l’école maternelle, primaire et maison relais du nouveau quartier d’habitation situé sur le point le plus haut de Dudelange, souvent battu par les vents. Du reste, Lenkeschléi signifie «volant» en luxembourgeois. D’où l’idée de créer «quelques chose en mouvement», et de transformer les façades de l’école en nurserie de girouettes, celles des bacs à sable, qui s’amusent avec le vent, tournant selon son souffle, «dans la bonne direction évidemment» – visuel ci-dessous: œuvre Wandrosen fir t’Lenkeschléi (photo ©Marc Lazzarini).



Retour au Cercle Cité pour souligner que Trixi est aussi disciple de la performance pour en découdre avec la fête… amère. Ici, avec Vos verres sont servis, verres en l’occurrence en plastique coupés de moitié longitudinalement, et en plastique – c’est pas très écolo mais très economy class – ,Trixi propose «un verre de crise», car «il y a de plus en plus de pauvres», conforme au slogan «plus d’effort(s) pour avoir moins», en même temps, «ça oblige à déguster petit à petit»… et la contrainte d’alors possiblement se muer en collective expérience drolatique – l’oeuvre se vend en 12 éditions de 4 verres.


Dans la grande salle, de la peinture. Celle, acrylique, de Florence Haessler: une représentation d’un réalisme inouï (à s’y méprendre on dirait de la photo) d’une sucrerie à forte charge narrative, à savoir: le bonbon. En fait, il y a en 3, au chocolat, à la menthe et des Tic Tac dont les emballages ou l’enrobage forment les 3 couleurs du Luxembourg, en clair: un drapeau aussi inattendu que délicieux. Donc, 3 couleurs mais aussi 3 goûts, chacun s’accommodant d’un rituel, celui du café par exemple, typique d’une circonstance ou d’un moment de la journée. Au final, avec son triptyque Sweet Country (revoir le visuel en début de post), Florence expose son exquise reconnaissance au pays tout en profilant une sorte de sociologie du bonbon.


Avec Ugo Li, la peinture se met à table. Et platement, avec des mets et objets en abondance, étalés sur un fond en deux dimensions, sans perspective. Aliments qui ne lésinent pas sur les clichés – genre: la baguette, patrimoine français – et qui jonglent avec les mots, la sémantique générée par l’image: ça va du citron, symbolisant l’amertume de la vie ou l’homme exploité, pressé comme un citron, à la banane colonialiste.


Pas de personnage – ou alors enfoui sous la table – mais des doigts, déposés sur la nappe comme s’ils étaient mangeables. Et puis, une chaise vide, celle laissée vacante pour tout «invité surprise», parfois appelée «la place du pauvre», celle aussi de l’absent(e). Ugo Li nous parle de repas partagé, de convivialité qui soudainement bascule «dans la cata», et de repas (en) solitaire… en rien désolant. L’iconographie d’Ugo Li, c’est aussi un auto-regard satirique, une façon de parler de soi, une raillerie quant à cette manie répandue sur Facebook de photographier son déjeuner.



Et pour finir, Plague, une oeuvre très absurde et très kafkaïenne de Puck Verkade (Pays-Bas) qui narre la métamorphose d’une femme de ménage en une mouche, celle-là même qu’elle s’apprêtait à tuer. L’histoire est racontée d’un point de vue unique, celui de la mouche, qui se cache entre les frites et la fourchette qui la menace. Et justement, pour vivre cette histoire insolite, le public est invité à prendre place dans une installation faite de frites gigantesques en carton (visuel ci-dessus ©CercleCité).


Infos: Hors-d’œuvre, au Cercle Cité (Place d’armes, Luxembourg), dans l’espace d’exposition Ratskeller, entrée rue du Curé, jusqu’au 21 janvier 2024. Entrée libre, tous les jours de 11.00 à 19.00h, visite guidée gratuite tous les samedis à 15.00h – www.cerclecite.lu


Et s’il vous reste une petite faim, filez au Lëtzebuerg City Museum qui remet le couvert avec l’expo All you can eat - l’homme et son alimentation.


Sinon, en plein air, pour ceux que les averses n’intimident pas, voici l’heure de la Rebellion.



Une réplique de baleine évoquant Moby Dick, une installation immaculée pastichant la dernière Cène, une carcasse de voiture, voilà quelques-unes des silhouettes des cinq sculptures monumentales actuellement installées dans la Ville, toutes créées par Joep van Lieshout. Alors, qui, quoi, pourquoi?


Joep van Lieshout, artiste activiste néerlandais né en 1963, fondateur en 1995 de l’Atelier Van Lieshout, ou AVL, une coopérative artistique située à Keilestraat (banlieue de Rotterdam) développant un système de production «dans lequel jamais l’esthétisme de l’objet proposé n’est prioritaire, mais bien plutôt sa dimension expérimentant le vivre-ensemble», Joep van Lieshout, dis-je, est un «parfait antidote au politiquement correct».


Et c’est lui, avec sa subversion et son humour parfois âpre, souvent impudent, qu’Alex Reding, galeriste initiateur de Luxembourg Art Week (LAW), foire d’art contemporain, et Caroline von Reden, la nouvelle directrice de LAW, ont invité… afin d’alimenter un débat public, sachant que ce qui de façon plus ou moins explicite peut participer à la vie de l’espace public, c’est l’art urbain, à commencer par les sculptures.


Et c’est ainsi, parallèlement au lieu d’échange(s) des acteurs du marché de l’art qu’est toute foire d’art, et LAW – dont la 9e édition aura lieu du 10 au 12 novembre sur le Champ du Glacis – n’échappe bien sûr pas à la règle du genre, que The Rebellion by Atelier Van Lieshout, parcours de sculptures, essaime comme du poil à gratter en cinq endroits stratégiques de Luxembourg-Ville.

Le terrain de jeu de Joep, c’est donc le paysage urbain, et son obsession, c’est la réinterrogation des «objets» qui l’investissent: l’artiste dénonce ou détourne ce qu’ils sont censés célébrer, à coups de volumes/compositions/ installations sculpturales qui proposent frontalement un autre son de cloche… renversant. Qui donc renverse les acquis d’antan engendrant les actuels systèmes de précarité, il en va ainsi de la machine, cette utopie qui promettait de soulager l’homme… mais qui finit par inventer l’esclave contemporain – Waterwagon (2007), un chariot à eau péniblement tiré par des hommes aussi fourbus que des chevaux, est l’exemple de l’hommage embarrassé à une utopie révolue, devenue suspecte, celle de la révolution de l’industrie libératrice.


Par Rebellion, selon l’artiste van Lieshout, il faut entendre «changement», une mise en lumière d’un autre braquet du regard qui éclaire les grands défis de notre époque. «A chaque nouveau développement technologique, une nouvelle limite est franchie. Mais est-ce pour notre bien?». A l’évidence, l’acte artistique peut apporter une réponse, il peut alors, selon l’historien d’art Paul Ardenne observateur des pratiques van Lieshout, «devenir un enjeu de consolidation sociale».


Le parcours Rebellion est un assemblage d’oeuvres créées par Atelier Van Lieshout à différentes époques – réalisées en acier, bronze, fibre de verre –, il en va ainsi de Waterwagon – installé au Centre Jean XXIII (rue Jules Wilhelm) – qui date de 2007 et qui, en prime, fait référence à un chantier plus vaste, à Slave City en l’occurrence, initié en 2005 comme «une métaphore de notre monde en pleine mutation, une critique cynique de la mondialisation. (…) L’enfer naît parfois de l’excès d’idéal».


Toujours est-il que pour van Lieshout, la représentation du changement, c’est… le marteau: c’est par cet outil, acteur d’un processus de construction tout autant que de destruction, que le parcours commence au rond-point Robert Schuman. Pour le coup, on ne voit pas le marteau, ce qui est par contre spectaculairement visible, c’est son action mécanique de démolition, à sa savoir: une voiture compressée. Cette oeuvre pour la cause intitulée Volvo, de 2020, découle de la Drop Hammer House, une composition d’une autre échelle, en 2018. Qui télescope aussi un enjeu politique, celui du marteau de la Justice, qui, dans un tribunal, frappe du côté de la décision d’un juge.


L’œuvre Volvo, qui renvoie en passant à la désacralisation du travail de l’artiste, dit en même temps l’esprit de communauté: reconstruire «après avoir fait la révolution, avoir tout détruit, et cela ne peut se faire qu’ensemble».


Sous l’angle politique, The Monument, au centre de la place de Metz, est une œuvre choc. Qui dynamite les codes de la statuaire équestre, celle-là qui rend hommage à l’héroïsme militaire, en passant sous silence la barbarie inhérente aux faits d’armes, et de fait, The Monument associe 3 sculptures incarnant une extrême brutalité: un cavalier juché sur son cheval (The Equestrian) tient à bout de bras une tête coupée, à ses pieds succombent deux archétypes victimaires vulnérables, un vieil homme fuyant (Old Man) et une mère éplorée, arc-boutée sur son enfant (Mother with Child).


La rédemption se situe à deux pas, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, lieu idéal d’une révolution spirituelle… que symbolise Last Supper (visuel ci-dessus, photo © Luxembourg Art Week), ce dernier repas du Christ avec ses apôtres, dont Judas, celui qui le trahira. Les personnages, 12 formes filaires blanches, habitent la scène, minimaliste mais parfaitement identifiable, «encadrée par une structure en forme de cage qui la relie comme un sanctuaire portatif», où, pour les siècles, le sacrifice et le pardon façonnent les piliers idéels de notre société.



Mais avant d’en arriver là, rebours jusqu’au musée Dräi Eechelen, jusqu’à la pelouse – métaphore de la mer «comme le réel théâtre de la comédie humaine» – où s’est échouée une baleine, The Wale, de 2022, en acier Corten (visuel ci-dessus © Luxembourg Art Week), une référence grandeur nature à Moby Dick, le cachalot géant d’Herman Melville – qui est blanc dans le roman mais que Van Lieshout représente en une carcasse brunâtre –, en tout cas, une allégorie de la lutte entre l’homme et la nature.


Si Moby Dick triomphe certes de son ennemi juré, le capitaine Achab, parti le chasser pour se venger de sa jambe arrachée, il n’est donc plus qu’une carcasse. Sauf qu’en fait, dans la version Van Lieshout, la baleine est aussi une prison organique, celle du mythique (biblique) Jonas, avalé pour cause de tempête par l’énorme poisson puis recraché après… 3 jours de prière. Et dans le ventre de la baleine échouée par Van Lieshout, le personnage qui se découvre à travers les hublots, c’est un Jonas contemporain, c’est la figure de l’artiste, désargenté, isolé, incompris mais qui ne renonce pas, et c’est l’ironique perception de l’art comme une vanité, une futilité, mais pour autant acte substantiel (dixit l’artiste assis… sur une cuvette).


The Rebellion par l’Atelier Van Lieshout, un circuit sculptural qui déboulonne … jusqu’au 23 novembre.



En collaboration avec Luxembourg Art Week, voici Young Luxembourgish Artists (YL A), une association et une expo.


Asbl fondée en 2021 par Lou Phillips et Gerard Valerius, YLA a entend jouer un rôle d’incubateur pour jeunes artistes (nés en 1980/90) luxembourgeois (natifs du Luxembourg ou y vivant/travaillant), des artistes encore l’école ou tout juste diplômés à qui s’offre une visibilité, une première plateforme, à savoir une expo, «qui propose une curation de qualité». Et donc, pour sa 3e édition, hormis Jil Lahr, invitée pour la seconde fois depuis 2021 histoire de voir son évolution, YLA réunit 9 artistes débutants, dont les travaux investissent l’ancien showroom du garage Arnold Kontz (à Bonnevoie), spécialement réhabilité pour l’occasion.


En gros, de la peinture perfusée par le pop art et ses couleurs vives – introduction ironique, parodique, parfois critique, du réel et du populaire, du publicitaire ou du consommable (cfr les grands formats acryliques de Xavier Karger), aussi du surréalisme (cfr Anne Mélan et son énigmatique monde intérieur, sorte d’étrange caverne organique où circulent des espèces d’amides, voire des spermatozoïdes?) –, ce qui n’empêche pas l’abstraction par sensibles jeux d’ombres selon Amine Jaafari. Donc, de la peinture et… des objets du quotidien.


Objets tantôt sculpturaux – métalliques dans le cas de Lara Ruiz avec ses stores déguisés en Waves, ou céramiques dans le cas de Lisa Junius qui décline en bleu de la vaisselle et du petit mobilier, dont chaise… de poupée. Objets tantôt peints. Et c’est là que Jil Lahr entre en piste, avec pailles, mégots, canettes et autres emballages trouvés, soit mis en situation (en l’occurrence sur un banc), soit réinterprétés sur toile, à mi-chemin entre le figuré et le suggéré.


La consommation est omniprésente, et l’alimentation, un thème pictural de choix – du coup, retour en boucle vers Hors-d’œuvre au Cercle Cité. La preuve avec le rayon boucherie de Lara Weiler, et surtout avec la façon plane dont Oriane Bruyat représente son vécu entre pique-nique et cuisine niçoise.


Enfin, il y a Steven Cruz, qui revisite l’art mosaïque de son Portugal natal dans Faggot, une installation de 250 x 250 cm composée de carreaux en céramique blancs relatant non pas un épisode religieux comme le veut la tradition, mais un érotique chapelet de «personnes trans et non binaires» ainsi qu’une «orgie d’hommes blancs au pouvoir», et tout ce petit monde stylisé en bleu, qui plus est déposé au sol, pour dénoncer la stigmatisation des minorités, foulées aux pieds.

La gentrification, c’est l’autre croisade de Steven, qui, dans Silent Anguish, une installation photographique, documente la transformation d’un quartier de Lisbonne, dont l’architecture bétonnée «a tué la communauté», son âme, sa jubilation, ses couleurs – dans un silence aussi désert que mortifère, un jouet d’enfant abandonné et, d’une fenêtre, un peu de linge à sécher.


YLA, vol.3, c’est une bonne nouvelle, elle est même réjouissante cette jeune scène qui croise le sociétal et l’intime… sans s’inféoder au numérique – jusqu’au 18 novembre, tous les vendredis, samedis et dimanches au garage Arnold Kontz à Bonnevoie.

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