Le site de Montauban- Buzenol est un endroit aussi unique que magique, prisé par les fondus de bain de forêt, les promeneurs et les écumeurs du passé. C’est aussi un surprenant lieu d’art. On ne sait jamais qui de la nature ou de l’œuvre perfuse quoi. C’est l’excursion idéale de votre été. D’autant qu’actuellement, les arbres, «ces portes qui ouvrent sur l’inconnu», titillent l’imaginaire (et les savoir-faire) de cinq artistes. L’expo, intitulée «Arborescence», est à découvrir sans modération jusqu’au 13 septembre. Avec de bonnes chaussures… et l’œil aux aguets.
Le rendez-vous est celui d’un océan verdurant. Et celui de l’émotion qu’infuse la création artistique la plus essentielle, accouchée du dialogue singulier entre la nature et l’homme – où, aujourd’hui, percolent le geste, l’image, la matière, la sculpture, la peinture, le papier, le fusain et le feu. Pour la cause, ça se mérite. On se débarrasse de sa vieille veste d’hiver, on ouvre l’oeil comme une fenêtre, on aère ses sens autant que son esprit – et bon sang, que ça fait du bien par les inquiétants temps qui courent!
Direction le sud du Luxembourg belge, dans la commune d’Etalle, là où se niche Buzenol, charmant hameau gaumais, site gallo-romain classé, refuge de légendes – dont celle des Quatre Fils Aymon – et point d’ancrage depuis 2007 du CACLB (Centre d’art contemporain du Luxembourg belge) noyé dans le vert et les vestiges mais où poussent non pas de tonitruants murs muséaux mais quatre containers maritimes vitrés, assemblés/ agencés en trois niveaux d’exposition: cette structure élevée dans le sous-bois et baptisée «Espace René Greisch», du nom de son architecte concepteur, a été inaugurée en 2014. C’est là, pour l’heure, que cohabitent les œuvres d’Alexandre Hollan, d’Alice De Visscher et de Gérald Dederen.
Cet espace Greisch est voisin d’un petit bâtiment blanc, daté de 1839, ultime témoignage intact de la présence d’un important complexe industriel sur le site, que l’on nomme «Bureau des forges»: à l’étage mansardé, sous une magnifique charpente, repose l’installation de Valérie Vogt, qui met sous cloche une forêt mémorielle.
Tout n’est pas encore dit. Ces deux espaces intérieurs font face aux halles à charbon, des ruines offertes aux saisons, accueillant des créations souvent réalisées in situ. En l’occurrence, c’est la sculpture de Mario Ferretti, né en 1970, formé à la mécanique et à la restauration d’œuvres, qui façonne comme une armure un arbre qui a l’allure d’un gros cœur… chaussé de racines et coiffé de radicelles aussi rouges que la crête d’un coq: la figure se dresse, massive et clinquante, rutilant de toutes ses plaques de métal soudées, martelées, histoire de faire raccord avec le matériau fabriqué là, jadis. Y lire une énergie vitale n’empêche pas «l’être majestueux» de trahir l’espace par sa posture autoritaire.
L’infime, c’est du côté d’Alice De Visscher qu’il s’insinue, l’intime aussi, tant la plasticienne – comédienne de formation, née en 1979, vivant à Bruxelles – implique son corps pour l’accoupler à cet autre lieu de vie, de mouvement et de respiration qu’est le végétal. Se tapir derrière un tronc pour y faire circuler ses doigts comme une araignée, étreindre ce même tronc des deux mains pour traduire sa poésie ou se lover nue sous des racines pour en éprouver la sensibilité – cette performance, Alice l’a précisément filmée peu avant sur le site et c’est cette vidéo qui est projetée au rez-de-chaussée de l’Espace Greisch –, voilà le geste aussi vibratoire que minimal d’une artiste sans compromis, en phase avec la vulnérabilité et l‘instinct… quasi animal.
L’économie de moyens est aussi cela que Gérald Dederen met en œuvre au dernier étage du même Espace Greisch. Devant une ligne ou une surface noire, allez savoir s’il s’agit de bois ou de papier, allez savoir s’il s’agit de graphite – dont la superposition de traits en couches apporte du volume -– ou d’un fragment de bois brûlé dressé tantôt comme une tige contre une paroi, tantôt comme une plaque parachevant une installation en cube ou simulant un dessin. Il y a fusion et confusion. Illusion. Eminemment graphique, certes, mais en rien identifiable. Dederen est un alchimiste, rompu non pas à la représentation (certes non!) mais à l’expérimentation, au processus, celui de la mutation, tributaire du temps, de la carbonisation et de leurs épiphanies conjuguées.
La représentation n’est pas cela non plus qui anime la peinture et les encres d’Alexandre Hollan, qui a dû être un chêne dans une autre vie – né en Hongrie en 1933 mais vivant à Paris depuis 1956. Hollan entend «percer le voir», atteindre «l’illimité»: une posture de poète et de philosophe qu’il réalise en entrant en communion avec «les vies silencieuses» de ses «amis solitaires» que sont les arbres, avec lesquels il vit en toute intimité quotidiennement. Il attend et laisse venir. Si c’est un jour de lumière, l’arbre en absorbe l’énergie ou la vibration au point de se métamorphoser en une constellation de pointillés colorés. Si c’est une nuit sans lune, ou un jour de colère, l’arbre, buvard d’humeurs, mute en une masse dense et sombre. En cas de brume, il ne subsiste du chêne ou de l’olivier qu’une empreinte, qui s’estompe, charriant dans ses ombres «une présence immense» – le destin «déchêné» d’Hollan se répand au premier étage de l’Espace Greisch.
Quant à Valérie Vogt, plasticienne née à Munich mais vivant à Bruxelles – celle qui, dans le «Bureau des forges», a placé sous des globes de verre des papiers calques stylisant des troncs, roulés comme des parchemins, comme une façon de momifier ou de conjurer l’amnésie –, Valérie Vogt, donc, interroge la réverbération, le miroitement, le visible et son double inversé. On lui doit conséquemment trois miroirs discrètement disséminés dans le site, disposés contre certaines souches, sachant que le propre du miroir c’est d’augmenter l’espace, d’ajouter de l‘espace à l’espace. Ainsi, faussement pudique, la nature se regarde, et chacun regarde la nature se regardant, hypnotisé par un trouble... à la fois familier et tellement étrange.
Photo: © Alexandre Hollan, «Le chêne dansant», 2019. Acrylique sur papier, 57 x 76 cm. Courtesy Galerie La Forest Divonne.
Infos:
«Arborescence», expo accessible tout l’été, jusqu’au 13 septembre, du mardi au dimanche de 14.00 à 18.00h. L'entrée est libre, mais réservation obligatoire pour les groupes et port du masque conseillé dans les espaces intérieurs – www.caclb.be
Evénements organisés durant l'exposition:
- dimanche 2 août, à 15.00h, à Montauban: performance d'Alice De Visscher. Accès libre.
- dimanche 9 août, à 11.00h, à Montauban: concert du duo Pierre Vaiana et Mathieu Robert (saxophone) dans le cadre du Gaume Jazz Off. Accès libre.
- jeudi 27 août, à 20.00h, à Etalle: conférence de Jean-Paul Couvert «La peinture d'Alexandre Hollan - L'ouvraison du regard». Sur réserv. tél.: 00.32. 63. 22. 99. 85 ou bureau@caclb.be
- dimanche 13 septembre, à 15.00h, à Montauban: concert «Pieces of Peace» de Bernard Massuir. Participation au chapeau.
- Les 12 et 13/09, lors des Journées du patrimoine en Wallonie: «Secrets d’arbres», un parcours (pédestre ou cycliste) reliant la ferme de Bar au Musée gaumais à Virton et permettant (aux familles) de découvrir les multiples approches du monde des arbres.
Et puis, dès le 26/09, expo «Transferts», avec les installations vidéo de Claude Cattelain, les lithographies de Yonghi Yim et les sculptures d’Hughes Dubuisson.
Enfin, du 20 au 22 novembre, participation du CACLB au 5e Take Off (Luxembourg Art Week), avec des œuvres de Naomi Gilon et Alexandre Vigneron.
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