Il en a passé des heures au Jardin des plantes à Paris, dans les années 1920-30. Qui? Le sculpteur animalier luxembourgeois Auguste Trémont (1892-1980). La galerie Schlassgoart, à Esch/Alzette, lui rend actuellement hommage (intégrant le programme d’Esch2022). C’est une expo aux antipodes de la tyrannie de l’instantanéité. Une expo muséale pour autant? Certes, elle contribue à revivifier le patrimoine artistique luxembourgeois. Mais d’une façon assez inédite.
C’est que – voilà la belle idée – l’univers de Trémont est revisité par l’artiste plasticien Eric Schumacher, Eschois né en 1985 – lauréat 2021 du prix Arts et Lettres de l’Institut grand-ducal –, qui, intervenant dans la scénographie à la faveur d’une installation mikado de poutres d’acier teintées (en vert) – certes raccord avec le passé sidérurgique mais déposées sur des boîtes de conserve (du concentré de tomate en l’occurrence) –, anime l’oeuvre d’une interprétation contemporaine fidèle à sa démarche perfusée par la flânerie, l’imaginaire, l’éternel dans le transitoire, la tentative d’un autre rapport au monde, la poésie et l’humour.
Avec Eric, le singe, l‘antilope et le lion sont sortis de leurs cages.
Je vous raconte ci-dessous. Mais avant, petite digression, petit vagabondage.
Sur fond de pépiements d’oiseaux (je les entends de ma «fenêtre sur jardin», émoustillés par les précoces bourgeons, totalement indifférents aux sons du canon), ça se bouscule au portillon culturel & artistique. Esch2022 vient à peine de propulser sa fusée que la Francophonie lance son offensive (tout savoir sur institut-francais-luxembourg.lu), tout comme d’ailleurs le Luxembourg City Film Festival: l’inauguration du Pavillon Réalité Virtuelle (ou VR), installé à nouveau à neimënster et promettant «une expérience immersive unique», a eu lieu le 2 mars et restera accessible toute la durée du festival, dont c’est la 12e édition, du 3 au 13 mars.
Entre ces événements, existent des greffes, plus ou moins corrélées. Certaines inféodées au numérique, à tous ces dispositifs qui font que nous sommes envahis/submergés par l’image et que les artistes – qui en font leurs choux gras – s’emploient à rendre ludiques, par allégeance au vocabulaire immersif/participatif. D’autres liées à une matière élémentale, à un vivre ensemble, à une tradition, en l’occurrence, celle du brandon, feu symbolique et festif.
C’est là que je vous parle du Festival du feu … qui embrasera Fingig (commune de Käerjeng) les 5 et 6 mars, chaque fois de 17.00 à 23.00h (on rejoint à pied le site Um Kues qui se situe sur les hauteurs du village à 700m). Un événement Esch2022 soucieux de fédérer le grand public autour/par la culture populaire ... «afin d’ainsi, éventuellement, le rendre perméable à la culture majuscule, voire à l’art: au Luxembourg, le travail des publics fait souvent défaut» (dixit Nancy Braun).
En tout cas, à Fingig, la traditionnelle «fête des Brandons», qui «célèbre la renaissance du printemps après l’hiver», perpétuée par les jeunes du village, est revisitée (dimension désormais prégnante) par huit d’artistes venus de toute l’Europe qui, récupérant troncs d’arbres sculptés et creusés, bois et paille, ont créé de véritables sculptures (sur structures métalliques imbibées d’accélérateurs de feu), des oeuvres aussi uniques qu’éphémères, puisqu’embrasées, enflammées comme un bûcher à la tombée de la nuit (la mise à feu a précisément lieu le dimanche 06/03, à partir de 18.30h).
A noter que durant le festival un cycle de conférences se focalise sur la situation des coutumes ancestrales existant en Europe pour «chasser» l’hiver.
En décembre 2021, en guise de préfiguration du Feierfestival, la sculptrice luxembourgeoise Florence Hoffmann avait bouté le feu à Butterfly, un monumental papillon de nuit (et de paille). On la retrouve à Schifflange, dans la nouvelle galerie «Schëfflenger Konschthaus», créant à partir de matériaux de récupération, dont le bois carbonisé de Butterfly et du fil de fer, des œuvres «où le ludique et le contemplatif se côtoient», surtout des Têtes brûlées, «hommage à ces gueules noires, acteurs et témoins du passé industriel de la région, hommes de feu et de fer».
En dialogue, le duo d‘artistes Lippert & Behrens propose des oeuvres qui parlent du passé et de l‘histoire de l'ancienne usine de Schifflange, objets trouvés, plans de construction pour machines, restes de photos de Pin-Ups vieillies sur les murs, accessoires d‘ouvriers tels que gamelles et tenues de travail, se transformant en de nouveaux artefacts. «Leurs présences sont les témoins silencieux d‘une ère en déclin, une ère de «Feu, de terre et travail posté».
Infos: exposition (label Esch2022) accessible (2 avenue de la Libération, Schifflange-Centre), jusqu’au 26 mars, du mercredi au dimanche de 14.00 à 18.00h. www.schifflange.lu
Sinon, en vrac, au rayon de l’hégémonie numérique, notez The Assembly (aussi label Esch2022), une «installation performative multi-capteur(s) située sur une scène de théâtre à 360°», qui vous emmène dans l’espace. «En connectant le monde virtuel et le monde physique, les humains sont conviés à remixer différentes interfaces numériques et à créer un chant collectif avec leurs propres corps et voix».
Mobile, l’installation est/sera sera exposée dans différents endroits au Luxembourg et à Kaunas (Lituanie). Pour l’heure, du 4 au 8 mars, c’est au CCRD Opderschmelz, à Dudelange, que ça se passe.
Sinon, le 10 mars, à 19.00h, à neimënster, cochez la rencontre avec le plasticien et cinéaste d’avant-garde Pierre Coulibeuf autour d’Enigma, une œuvre transmédia, tournée entièrement à Luxembourg, dans l’Abbaye de Neumünster. Y déambulent deux jeunes femmes, attirées par un «chant des Sirènes». Chaque lieu traversé par les deux personnages suscite une performance. Vânia Rovisco et Andresa Soares sont les actrices-performeuses de «ce récit sur l'étrange, l'indéterminé et le fantastique», hanté par la chanteuse d'opéra Véronique Nosbaum.
Infos: rencontre avec Coulibeuf à neimënster le jeudi 10 mars à 19.00h (en collaboration avec l’Institut français de Luxembourg). Et projection d’Enigma (Lux Fest Film), en salle Dune, le 11/03 à 12.30h & le samedi 12 à 16.00h, entrée libre, sans réservation – neimenster.lu
Retour à Trémont.
La vie d’Auguste, né en 1892 à Luxembourg – qui s’est installé à Paris, revenant au pays selon les aléas des deux guerres, avec un retour définitif en 1976 – s’arpente en une vingtaine d’œuvres sur papier (fusain, crayon, pastel, encre de Chine, craie) et sur toile (huile) et en une dizaine de sculptures (en bronze, patine noire). Rien sur socles, ni surtout en vitrines.
Avec son goût aussi critique qu’amoureux des matières (trouvées ou triviales), de leurs formes, de leurs usages et de leurs rapports à l’espace (urbain mais pas que), Eric Schumacher a ouvert les portes des cages. Et donc, autrefois observés, scrupuleusement représentés par le trait et la couleur, les animaux désormais nous regardent, impassibles, en équilibre sur les poutres jetées comme des ponts entre l’hier et le demain. Nos regards se croisent, les perceptions aussi, confondant sur un même niveau l’oeuvre, l’objet, l’humanité et l’animalité.
En même temps, Trémont n’est pas d’abord sculpteur – même si sa réputation reste largement liée aux deux grands lions qui ornent l'entrée de l'Hôtel de ville de Luxembourg –, ni d’abord un artiste animalier: il y a les portraits, les natures mortes, les vues de Paris et surtout, c’est l’éclairage particulier de l’accrochage, il y a le Trémont des années 1914-1918, son travail «dans l’environnement socio-culturel dudelangeois». C’est que, lors d’une visite à Luxembourg, surpris par la Première Guerre mondiale, l’artiste, arrêté/libéré, est engagé «par le maître des forges Aloyse Meyer comme dessinateur technique à l’usine sidérurgique de Dudelange». «Ce travail lui donne l’occasion de mettre en pratique ses compétences», en témoignent les cimaises où s’alignent tableaux et dessins réalisés sur la sidérurgie et les ouvriers en action.
C’est à partir de 1919, à nouveau installé à Paris et découvrant le Jardin des plantes et sa ménagerie que les thèmes de Trémont s’orientent vers la peinture et la sculpture animalière. Premières sculptures du genre en 1924. Et tout n’est pas dit. La suite s’écrit en visitant l’expo et en participant aux différentes visites guidées qui l’émaillent (en l’attente d’une publication, attendue/présentée le 24 mars, à 18.30h).
Infos:
Ill.: Auguste Trémont, Tigre Couché, pastel sur papier, 1923, œuvre de la collection du Mnha. ©Musée national d’histoire et d’art. Photo: Tom Lucas).
Expo: Auguste Trémont en2022, une rencontre revisitée, à la galerie Schlassgoart (Pavillon du centenaire/ArcelorMittal), Esch-sur-Alzette, jusqu’au 16 avril 2022. Visites-conférences: sur Trémont et Dudelange en 1914-1918 le 31 mars, à 18.30h, et sur L’artiste Auguste Trémont le 7 mars ainsi que le 14 avril, à 18.30h. Et Dialogue d’artiste avec Eric Schumacher et le curateur Paul Bertemes le 10 mars ainsi que le 7 avril, à 18.30h. www.schlassgoart.lu
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