Petite pérégrination… dans les pissenlits (à défaut de cueillir du muguet, ce légendaire porte-bonheur de mai… qui dort encore). Et dans le décor urbain.
Et d’avance, je préviens, les deux premières expos du plantureux programme du Mois européen de la photographie viennent déjà de lever le rideau – avec Laurianne Bixain & Christian Aschman à la Reuter Bausch Gallery (Luxembourg), avec aussi Sven Becker & Mike Zenari aux Centres d’art Nei Liicht & Dominique Lang (Dudelange) – mais je vous en ferai le topo en effeuillant tout le bouquet d’images… toutes penchées sur l’identité, thème foncièrement élastique. Donc, patience juste un brin !)
En attendant, petite pérégrination, en bottes, et pas que … puisque il sera aussi question (ci-dessous) des oeuvres de feu et d’eau d’Arthur Unger au MNAHA – remarquez en passant que le musée du Marché-aux-Poissons (Luxembourg) ajoute désormais un A à son acronyme, le A d’Archéologie, soit: MNAHA (et non plus MNHA) pour Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art.
Ce qui ne change rien à ma pérégrination en lieux singuliers.
Du reste, tout à trac, connaissez-vous la Squatfabrik? C’est un programme de courtes résidences artistiques initié en 2020 par la Kulturfabrik d’Esch, et où, pendant 1 mois, deux artistes (l’un du territoire, l’autre européen) se retranchent pour «refaire leur monde». Ainsi, dès le 2 mai, et jusqu’au 28 mai, le duo de printemps invité, c’est Justine Blau (L) & John Herman (D). Histoire de permettre au public de découvrir le travail en cours, une porte ouverte est organisée le 17 mai, de 17.00 à 19.30h à la Squatfabrik, suivie d’un apéro rencontre qui, lui, a lieu (à partir de 19.30h) dans le proche Bridderhaus, là où les artistes bénéficient du gîte et du couvert. Enfin, le Get-Out (qui sonne chaque fin de résidence) est fixé au jeudi 25 mai, de 18.00 à 22.00h.
Pour la suite? La Squatfabrik #2 accueillera Andrea Mancini (L) & SEADS dès le 5 juin, puis Serge Ecker (L) & Petra Petra (PT) dans la Squatfabrik #3 à partir du 4 septembre, et pour terminer, en octobre, Lynn Klemmer (L) & Trampoline House (DK) Squatfabrik #4.
Allez, je marche, c’est l’heure… de l’odeur de la pluie.
Ce jour-là, la lumière était belle. J’ai mangé du vert, autour des ruisseaux, de leurs petits rouleaux qui chantent, en cascades, là, dans les bois de Buzenol-Montauban en Gaume, un site particulièrement inspirant.
D’ailleurs, c’est là – je le répète régulièrement – que niche le CACLB (Centre d’art contemporain du Luxembourg belge): ne cherchez pas un fronton tapageur, juste un assemblage de containers maritimes vitrés, poreux aux arbres et aux saisons.
Et c’est précisément là que 12 étudiants de l’Ecole Supérieure d’Art de Lorraine (ESAL, Metz) se sont immergés six mois durant, le temps d’un «atelier d’enquête artistique en territoire» et de nous apprendre que l’odeur de la pluie porte un nom: le Pétrichor – tel est du reste le titre de leur expo, une récolte sensible de traces, d’indices, pour finalement, par la vidéo, la gravure sur la peau des feuilles, l’installation, les cartographies, esquisses, dessins, la bibliothèque graphique, le son, la sculpture, la photo ou l’animation numérique, fabriquer des paysages réels et fictionnels, en tout cas complexes vivants, mouvants (visuel ci-dessus: Jiyung Lee, Guide de l'invisible, panneaux de bois gravés).
Expo accessible jusqu’au 28 mai, les samedis et dimanches de 14.00 à 18.00h. Horaires élargis du 1er au 14 mai (vacances scolaires belges), soit du mardi au dimanche de 14.00 à 18.00h Entrée libre.
Infos: CACLB, Montauban-Buzenol, tél.: + 32(0)492.52.72. 52 - www.caclb.be
C’est la preuve, par l’exemple, qu’il y a donc des lieux inspirants, propices à la germination d’utopies agissantes, ou la preuve, pour le dire comme le scénographe Daniel Lesage, que «l’espace est un soulèvement». Et que l’art en est un aussi. Démonstration au Théâtre du Centaure –qui affiche actuellement A la carabine, pièce de Pauline Peyrade –, où des ballons gris flottent sur la scène (une scénographie que signe Marco Godinho), des ballons qui disent l’enfance, la fête foraine, aussi la cible à abattre. Et la jeune femme de montrer au jeune homme le trou noir au bout du canon: «Tu sais comment on appelle le trou noir, là, au bout du canon? L’âme. C’est joli, non?»
Au début, elle a 11 ans: au stand de tir, elle rêve de gagner un dauphin en peluche; il s’approche – lui, c’est le copain du frère –, il insiste pour lui apprendre comment viser/tirer, il dit qu’il est doux (photo ci-dessus ©Bohumil Kostohryz)… Et ça dérape. L’auteure Pauline Peyrade nous fait entendre les voix intérieures de l’enfant et du jeune homme racontant… les strates du viol.
Dans un raccourci des temps, l’enfant abusée est devenue une femme en colère, qui libère sa parole. Et lui, «maintenant, est un lapin gonflé à l’hélium qui pleure». Elle parle, il doit écouter. Et les mots sont violents, les gestes aussi. C’est la «transmission d’une violence venue de la violence».
Point de réparation, ni de compassion, pas plus que de compréhension. «Parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas sauver, des irréparables (…)».
Avec Amal Chtati et Simon Horváth, convaincants, investis, intenses, A la carabine, dans une (sportive) mise en scène de Fabio Godinho, c’est bien autre chose qu’un spectacle: jeunesse ne surtout pas s’abstenir, en aucun cas.
Pour arbitrer les mots et les silences, une bande-son composée par Nigji Sanges, un espace sonore éminemment atmosphérique.
Où? Au Théâtre du Centaure, «Am Dierfgen», 4 Grand-Rue, Luxembourg. Quand? Les 3, 5, 6, 10, 12 et 13 à 20.00h, ainsi que les 4, 7, 11 et 14 mai à 18.30h - avec table ronde à l’issue de la représentation du 4 mai. Infos: www.theatrecentaure.lu. Contact: centaure@pt.lu. Réserv.: www.luxembourg-ticket.lu
Avant de vous télescoper dans l’univers d’Arthur Unger, arrêt au VeWa, parce qu’est un lieu désormais emblématique de Dudelange, né, à coups de chantiers participatifs, de la rénovation de l’historique bâtiment Vestiaires-Wagonnage, dans le périmètre de l’ancien laminoir, aujourd’hui réaffecté en espace de création (appellation officiellement scellée le 14 mai 2022), donc, non pas un espace pour une culture consommable/jetable mais un lieu où les citoyens proposent/ initient des projets dont ils ont envie ou besoin, en relation avec l’histoire du site dudelangeois.
Et donc, le VeWa fête les Äishelleg (ou saints de glace) le 13 mai. Cette journée familiale et conviviale est l’occasion de venir à la rencontre de la communauté qui fait vivre ce lieu atypique, au cœur du nouveau quartier urbain en devenir baptisé NeiSchmelz. Au programme (dès 10.00h), une bourse aux plantes organisée par les amis du jardin communautaire «Urban Garden NéiSchmelz» et puis, une présentation d’oeuvres artistiques, des animations pour enfants et adultes, une Jam Session… En collaboration avec: DKollektiv, Service égalité des chances, Service Ensemble Quartiers Dudelange, Ville de Dudelange, CEPA, Taba CNDS, Vélo Diddeleng, Fotoclub Diddeleng, Croix-Rouge … Infos: info@veva.lu
Dans le sillage, impossible de zapper le réputé «Like A Jazz Machine» – 18 groupes et plus de 70 musiciens du monde entier à l’affiche du 10 au 14 mai (infos: www.jazzmachine.lu) -–, un festival qui, justement, croise les saints de glace du VeWa le 13 mai, avec des concerts et une afterparty prévus à partir de 15.45h à la «Kantin op NeiSchmelz», bâti voisin du VeWa, place Thierry Van Werveke. C’est gratuit.
Ces sortes de griffures noires à l’allure de signes d’écriture lévitant, en rangs, dans le ciel blanc du papier (visuel ci-dessus © Tom Lucas), c’est l’interprétation d’une formation d’oiseaux venus pêcher, observés par l’artiste Unger de sa fenêtre, lors d’un Voyage sénégalais (c’est le titre de l’oeuvre). Et d’ajouter, «en Afrique, le soleil devient blanc» (preuve à l’appui avec le format White sun over the mangrove). Et les visons africaines de se succéder – c’est que «j’ai vécu 5 ans au Congo, j’aime l’Afrique comme mon grand-père», dit Unger.
Pour autant, aussi des œuvres racontent la Chine, le tao, principe philosophique qui dit «la force fondamentale qui coule en toutes choses de l’univers», au-delà de la dualité yin-yang. Dès lors, ne pas traduire le blanc Unger par le vide, ou alors, «c’est un vide plein», car «dans le tao, la nature n’est pas le vide», or, la nature, c’est elle qui infuse les dessins d’Arthur Unger, baptisés «psychogrammes» selon ses propres termes, des dessins à l’encre de Chine rassemblés au MNAHA dans la section «Dip paintings», laquelle met en lumière une technique singulière, celle de plonger ledit dessin dans l’eau – «il faut être généreux avec l’art, je bois beaucoup d’eau» – puis de le faire sécher… «si possible au soleil». La magie opère, sinon l’aléatoire.
Les «Dip paintings» remontent aux années 80, dans la foulée d’un moment clé de la vie d’Arthur Unger, à savoir: sa rencontre (en 1970) avec Michel Tapié, critique d’art français, aussi peintre, à l’origine de la formule «art informel». L’amitié est scellée. A Unger, Tapié dédie moult lettres, préfaces et articles – disposés dans une vitrine du musée – tout en lui ouvrant un réseau international d’artistes. Et le «psychogramme» de rayonner (de 1970 à 1982), «fidèle à l’esthétique du temps -– que caractérisent l’étude des signes, la gestualité -–, à ce que Tapié appelle «un art autre»».
Mais je vais trop vite à besogne.
En fait, ce qui a fait connaitre Arthur Unger, et qui lui vaut d’être qualifié d’alchimiste – c’est d’ailleurs le titre de l’expo conçue par/au MNAHA –, c’est un autre singulier procédé: la feuille de cuivre. Et plus précisément, la technique faisant réagir le feu avec le cuivre, et que l’artiste désigne par «pyrochimiogramme»: c’est l’objet de la sélection d’oeuvres présentée dans la première salle, noyée dans le gris. Et c’est d’ailleurs par cette ambiance plutôt mystique que commence la visite. Succession d’œuvres très expressives, abstraites mais gestuelles, alternance de formats, magie renouvelée qui tantôt zoome sur un autoportrait (Muganga) de 1987, mot signifiant «l'homme qui soigne» en swahili, «c’est moi en Afrique, c’est la transposition mon esprit sorcier», tantôt flâne sur un Espace de génies ou sur une série cosmique, avec variation (ovale ou ronde) de soleils émergeant de dégradés chromatiques, ou tantôt s’étonne de ce qu’ «avec les vibrations, la peinture chante».
Le «pyrochimiogramme» est le fruit du hasard: «j’ai découvert, dans le contexte industriel, l’action de la feuille de cuivre – un cuivre électrolytique – avec le feu, et ça m’a fasciné. J’ai mis longtemps à mettre au point et à maîtriser la technique. Les couleurs varient selon l’oxydation et certains sels et j’ajoute, rehausse avec des gouaches, parfois du crayon gras, mais à la base, il y a un dessin à l’encre de Chine – laquelle ne brûle pas –, c’est elle qui permet/me donne les formes» (visuel ci-dessous, vue de salle ©Tom Lucas).
Dans le monde d’Arthur Unger, le feu et l’eau jouent pareillement un rôle. La feuille de cuivre et le papier. La couleur et le noir/blanc. Toujours le geste. Et c’est tout le secret d’Unger, son mystère aussi, auquel nous initient 43 œuvres représentatives réparties en deux salles, entre «pyrochimiogrammes» et «dip paintings». Et pour le dire simplement, ça vaut le détour.
Pour Arthur Unger l’autodidacte, cet électron libre qui n’a jamais pu vivre de son art, qui affirme que «sa vie est une aventure» – «faut prendre ce qui vient vers vous… mais faut persévérer, quand tu fais, fais le bien», liant du même coup son «plus beau souvenir au Paris des années 60» –, pour Arthur Unger, dis-je, qui ne fut pas prophète en son pays, cette expo monographique – qui correspond à une mission du MNAHA de chaque année révéler mieux ou autrement un artiste luxembourgeois –, c’est comme si le pays se réconciliait avec lui. «Cette expo, c’est l’aventure de ma vie», conclut Arthur Unger, et c’est irrésistible.
Infos:
The Alchemist. Selected Works by Arthur Unger, au MNAHA, Nationalmusée um Fëschmaart (Marché-aux-Poissons), Luxembourg, jusqu’au 15 octobre. Programme (Special Event, Talks, visites guidées…). Catalogue (117 pages illustrées) – www.nationalmusee.lu
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