Pas assez de doigts pour les compter: des oies sauvages ont déjà traversé le gris poisseux du ciel qu’octobre a installé comme une punition au-dessus de mon village (au-dessus du vôtre aussi, j’imagine). Elles sont passées vite, les oies, comme si elles avaient le Covid à leurs trousses.
Il n’y a que les oies pour passer vite. Le temps, lui, s’étire, plus inquiétant que tranquillement, gavé jusqu’à la nausée de statistiques virales et de mesures censées les contrer.
Chez ma mère, déjà en hibernation – elle dit dormir pour avoir moins peur, et finalement, le conte est fait pour ça: tu te réveilles et hop, c’est le printemps –, chez ma mère, donc, il y a un goût de tarte aux poires.
La poire – je parle du fruit, pas de l’expression remontant à la fin du XIXe siècle qui assimile, par métaphore, le fruit mûr tombant seul de l’arbre à une personne qui se laisse aisément duper –, la poire, dis-je, déborde de nos paniers comme une nature morte aux côtés de la citrouille, cette grosse bouille à chair orange tantôt transformée en carrosse par le conte (encore lui!), tantôt creusée par une bougie… pour (se) faire peur.
Dans le tableau de l’horreur, ne manque que l’araignée. Qui cette année sort plus tôt que prévu, toujours en solitaire. L’espèce femelle est tisseuse et son fil, vibratoire, séduit le mâle dans sa parade nuptiale. Lequel tombe dans le panneau, englué dans le réseau de soie. En même temps, une fois son affaire faite, il prend la poudre d’escampette. Vu comme ça, le fin piège apparu cette nuit entre la «porte passager» de ma voiture et le rétroviseur, a le parfum d’un secret d’alcôve.
N’en reste pas moins que les araignées et les citrouilles sont les deux mamelles d’une fête à la trouille, Halloween, qui, dans le calendrier, a la bonne idée de rimer avec cimetières. Sauf que dans l’actuel climat anxiogène ambiant, point n’est même besoin de se déguiser.
Ou alors, si, plus que jamais. Pour trancher la question – entre la peur qui est salutaire (comme pour Antonio Tabucchi) et celle qui ne l’est absolument pas –, pourquoi ne pas essayer la poésie – celle qui consiste à chanter devant ses plantes vertes, à jouer à éclater des pommes de pin avec une pelle à tarte (on y revient, à la tarte!) – et/ou l’humour, celui-là qui, selon Bruno Coppens, est comme «l’essuie-glace que l’on actionne en roulant dans une tempête de neige» parce que si «cela ne supprime pas la tempête, cela permet d’avancer».
Du coup, alors que les feuillages virent doucement au cuivre, j’échafaude 10 façons de voir le monde en mieux, ou en moins mal, c’est selon. En attendant de livrer mes pistes d’échappées aussi belles qu’immobiles, je réduis des dés de citrouille en purée, je fais chauffer la soupe dans un chaudron et je me régale avec amour, lequel, selon l’adage, passe toujours par l’estomac.
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