«Certains matins de printemps ont des fraîcheurs de grenouille»: ce juste ressenti météorologique est dû à l’écrivain Francis Dannemark… qui n’a de cesse de rappeler la magie généralement inaperçue du quotidien et qui dans son opus Zoologie (au Castor Astral, 2006) fait surgir avec humour et poésie des fables autour des drôles d’animaux qui peuplent notre monde.
L’hirondelle n’est pas drôle, en tout cas, elle ne fait pas le printemps, ce qui ne l’empêche pas de faire le nid de cette saison mariée à la poésie, d’autant, selon le peintre et sculpteur Jean Arp, qu’elle croit aux anges des nuages.
Plus prosaïquement, ce week-end on avance les aiguilles de nos montres: la nuit de samedi à dimanche, on perd ainsi1heure de sommeil – ce qui donne davantage de temps aux lapins de Pâques de pondre leurs œufs en chocolat – mais on gagne1heure de lumière en fin de journée – ce qui garantit d’autant une plus longue dégustation des mêmes œufs de Pâques semés à travers le jardin par des cloches ailées.
Sinon, au niveau des expos, c’est une fureur égale à celle des oiseaux en amour.
Alors, par où commencer? Par le portrait de Marcin Sobolev, une belle personne, un artiste singulier, perméable à la bienveillance… et aux récits du Caucase. Croisé en résidence artistique au Bridderhaus (Esch), Marcin s’installe à la galerie Reuter Bausch dès ce jeudi 28 mars, et avec lui, c’est La promesse d’une belle journée – je vous raconte en bout de post.
Et commencer aussi aux Rotondes, avec une expo collective multidisciplinaire «où peinture, photographie, art numérique, sculpture et installation se rencontrent». Et alors? En fait, cette expo est la féconde initiative de Beyond My Eyes, un collectif d’artistes convaincu de l’enrichissement personnel et artistique qu’induit l’expérience du dialogue intergénérationnel, partage de réflexions, de visions et de processus créatifs inclus. Du reste, le collectif n’est pas à son coup d’essai, ayant déjà mis en œuvre une première expérience du genre en 2022 au Carré de Hollerich.
Alors, aux Rotondes, concrètement, les artistes confirmé.e.s invitant de jeunes talents, treize binômes se sont ainsi formés, ralliés en l’occurrence par un questionnement autour de l’identité et de la notion du temps, soit: «dans quelle mesure la construction identitaire est-elle tributaire du vécu, de la mémoire, du présent ou d’une vision future de l’individu». Et le fabuleux résultat, intitulé pour la cause Beyond My Eyes – In Search of Identity, est aussi… la promesse d’une belle journée. Et d’un voyage d’émotions et de sens qui se prolonge jusqu’au 14 avril (du jeudi au samedi de 15.00 à 18.00h, le dimanche de 11.00 à 18.00h).
Dans la galerie des Rotondes, entre les épais et hauts socles blancs qui balisent le vaste espace, faut déambuler en prenant son temps, entre les photos et objets souvenirs, les archives familiales, les visages qui se détricotent maille après maille (comme dans la pratique textile de Zoé Van der Kley en écho au travail graphique de Maurizio di Stasi), les lignes et leur traduction sculpturale, les paysages où l’absence laisse des traces, l’enfance et ses jouets, la perte de repères ou de l’être cher, l’imprévisibilité de la vie, l’éphémère et le fragile, la couleur et le film, le collage et le crayon, le corps, son abstraction ou sa dimension charnelle…
Je coche entre autres l’exploration de l’autoportrait selon le duo Martine Breuer – peinture à l’huile sur plexiglas – et Saskia Becker – 10 photographies inspirées de son cercle amical et familial. Cfr le visuel ci-dessus: Knackpunkt & Mots, photo ©Lynn Theisen.
Je coche également Home beneath our feet, le grand format photographique, aussi atmosphérique que vibratoire, de Jeanine Unsen, dévoilant une jeune femme seule dans une maison vide, lentement envahie par la projection d’un dessin végétal au fusain (de Claudia Pigat).
D’ailleurs, dans le programme cadre du 14 avril, outre la visite guidée assurée (en français) par Martine Breuer (à 11.00h), notez «Tisser un lien avec l’invisible», un atelier de broderie sur photographie conduit par Jeanine Unsen. Et tout n’est pas dit, donc, on épluche les infos sur rotondes.lu et sur beyondmyeyescollective.lu
Avant de plonger dans l’univers de Marcin Sobolev, fidèle à mon goût de la digression, je prends juste/préalablement le temps de brosser un tour d’horizon des rendez-vous à ne pas snober, moyennant une escapade reliant Mersch à Marche-en-Famenne (B).
Et de même que je vous ai promis une visite guidée de l’expo Collections/Revelations au Nationalmusée um Fëschmaart, je m’engage tout prochainement à vous conduire à Dudelange, au Display 01 (CNA), faire la connaissance de la discrète Rozafa Elshan, lauréate du Luxembourg Photography Award Mentorship 2023, et de son Hic Hic Salta !, titre énigmatique d’une installation où prévaut l’idée d’accumulation (de matières précaires), associée à la notion de table rase – c’est une expo initiée par Lëtz’Arles, et pas de panique, tout reste en place jusqu’au 7 juillet (visuel ci-dessus, photo ©Armand Quetsch).
Mais, donc, tour d’horizon…
A Mersch, immersion en Paysages variés, ces magnifiques grands formats photographiques de Raymond Clement, sachant que l’expo est prolongée jusqu'au 17 mai au Mierscher Kulturhaus.
A Luxembourg, alors qu’au Lëtzebuerg City Museum, l’expo Pure Europe amène les visiteurs de manière originale à une réflexion critique sur les clichés qui existent sur l’Europe (il s’agit de l’expo déjà présentée dans le cadre de «Esch 2022» mais réadaptée spécifiquement pour le musée, sans doute édifiante en vue des élections européennes de juin, et qui reste accessible jusqu’au 25 janvier 2025), ne boudez pas la vibration picturale de Jeannot Lunkes, peintre «que sa construction architecturale de la toile et les chaudes tonalités de sa palette ont installé dans l'histoire de l'art du Luxembourg», un artiste attachant qui revient à la galerie Simoncini (6 rue Notre- Dame) y exposant, jusqu’au 4 mai, un ensemble de toiles et papiers qui tient de la rétrospective.
Sinon, au Kirchberg, à l’Arendt House, l'expo True Fictions surfe sur un nouveau genre appelé «docufiction». «En intégrant un décor de style documentaire ou en créant une narration visuelle spécifique, les artistes sélectionnés» – en l’occurrence, ils sont 8 – «jouent sur une certaine ambiguïté narrative qui fait réfléchir» – sur des thèmes universels, tirés de l’actualité ou à impact social, politique ou philosophique – «tout en laissant le spectateur libre d'interpréter les images».
Et donc, dans cette expo curatée par Claire et Paul di Felice, il y a l’artiste espagnole Cristina de Middel avec sa série The Afronauts, l’artiste belge Bieke Depoorter qui, dans As it may be, perfuse les images d’une écriture démotique égyptienne, Tatiana Lecomte, lauréate du "Mois européen de la photographie Arendt Award" 2015, qui boute le feu à un ancien camp de concentration nazi, Daniel Mayrit (E) qui peuple de CRS sa série Authorized Images, et puis Max Pinckers (B) qui nous invite à repenser la mémoire et l'histoire coloniale. Enfin, il y a les Luxembourgeois: Lisa Kohl – sa poétique façon de traiter de la migration au travers de bâches sculptées par l’absence –-, Anna Krieps – qui photographie sa sœur actrice déguisée en spationaute – et Marco Godinho qui, par l’image, revient sur l’année de voyage préparatoire à son installation Written by Water à la Biennale de Venise 2019: il s’agit d’une constellation de 45 images de format carte postale, qui donne au projet une temporalité différente, et un narratif autre (visuel ci-dessus).
A vous de voir, l’expo True Fictions restant accessible dans l’allée d’accueil de l’Arendt House jusqu’au 8 septembre, tous les samedis et dimanches de 09.00 à 18.00h.
Et pour clore cet horizon périphérique, encore un saut à Esch/Alzette, dans la galerie Schlassgoart, où la plasticienne Florence Hoffmann (avec son objet livre décliné en béton et en parapluies baptisés «Abris anti-connerie»), le peintre Jean-Claude Salvi (avec ses têtes et troncs totémiques) et Lascar, assembleur-collagiste culotté, proposent Corps et des accords jusqu’au 30 mars – donc, on se dépêche, de 14.00 à 18.00h.
Et ultime saut particulier en Ardenne, au Cordaneum – Ecole internationale de lutherie, sis à la Vieille Cense, 4 rue de la Station à Marloie (Marche-Famenne), pour ces autres accords que s’inspirent réciproquement la sculpture et la musique. 16 artistes convoqués, dont Gauthier Louppe, maître luthier, Jean-Paul Couvert – poète de la trace et du signe –, Anne-Marie Klenes – celle qui parle à l’oreille du schiste – et Monique Voz, adepte des distillats de lune, créatrice de «bijoux-sculptures-objets-preuves-illustrations de diverses mythologies, contes, ou théories scientifiques». Voyage en des mondes parallèles, du 30 mars au 26 mai (ma – sa de 13.00 à 17.00h, dim de 4.00 à 18.00h). Vernissage ce 29 mars, à 18.00h.
A ce stade, Marcin Sobolev n’est pas du genre à s’impatienter, mais il est temps que l’on papote…
Au Bridderhaus Esch, le plasticien belge Marcin, travaille en tandem avec Alix, sa compagne nantaise d’origine martiniquaise devenue belge, formée au dessin (à La Cambre, Bruxelles) mais performeuse depuis 2015, fondue de musique électronique. Et le tandem travaille à quoi? A un projet sculptural, un arbre à voeux – réalisé du reste avec l’aide technique de FerroForum –, prévu pour l’OpenHaus de juin dudit Bridderhaus, sur le thème «Playtime». De la genèse de ce projet – un tantinet tokyoïte – je vous dirai tout en temps voulu.
Pour l’heure, zoom sensible sur Marcin, dont quelques toiles – il en est une, avec giclée de traits lumineux marinant dans le rose, qui traduit l’émotion d’un feu d’artifice à Tblissi (Géorgie) – et des sculptures squattent le studio résidentiel eschois, en attente de leur exposition à Luxembourg, galerie Reuter Bausch. Expo désormais imminente – vernissage ce 28 mars – où Marcin partage les cimaises avec Clément Davout, artiste français, à la fois peintre et musicien, histoire de nous offrir La promesse d’une belle journée.
En tout cas, Marcin, né à Bruxelles en 1981, de souches polonaise et russe, et dont le cœur arpente le Caucase et l’Asie Centrale, on le connaît bien au pays, via notamment/surtout le Centre d’art Dominique Lang (Dudelange), déjà en 2010 avec Ceveriki – du nom du village natal de sa grand-mère Nina, désormais disparue, qui avait «un don d’accueil exceptionnel», «qu’il adorait» et à qui il n’en finit pas de rendre hommage – et en 2014 avec Les pieds dans la boue, puis en 2018 avec Double mafia.
De long en large du décor peint, des repères formels, le chat, des herbes folles (celles-là que sa grand-mère trouvait toujours fabuleuses), des arbres, des maisons, des motifs traditionnels symboliques caucasiens, des tons lavés dans le pastel, de la neige surtout – «univers indéfini où il y a plus à rêver» – et puis, pour conduire au décor, un chemin intérieur habité une nostalgie, un goût d’enfance, par la tendresse, l’empathie.
Marcin, c’est le pote que tout le monde aime avoir, bon comme le pain – «je suis soviétique» se plaît-il à répéter, c’est une question «de mentalité, de mode de vie post-URSS, un truc d’hyper convivialité, on est reçu comme des rois» là-bas, notamment au Kirghizistan d’où il revient viscéralement touché. La preuve avec un tableau grand format laiteux qu’il appelle «mon herbier kirghize» (visuel ci-dessus), directement aspiré par ce qu’il a vu par la fenêtre du marchroutka, «le mini-bus collectif qui t’emmène partout dans la Caucase», et donc, par la fenêtre, «il y a des montagnes, du désert avec de la neige, quelque chose de Kusturica, tout est bordélique mais merveilleux», et le tableau en est l’éponge, faussement disparate, apparemment naïf, mais d’une authentique fraîcheur, d’une confondante honnêteté, et surtout «c’est attachant … parce que je suis quelqu’un d’attaché».
Marcin qui toujours sourit en parlant (et vice versa) a donc des semelles de vent (comme Rimbaud), il voyage … sauf que rien ne remplace une partie de pêche, d’ailleurs c’est ce qui lui a valu d’être renvoyé du lycée, et c’est pourquoi le seul objet qu’il sauverait d’une catastrophe, incendie ou inondation, c’est… sa canne à pêche.
En fait, au début du fil (pêcheur et créatif), il y a le bois. Aux Arts et Métiers. Une formation d’ébéniste acquise chez un ancien Compagnon du devoir. Ses sculptures en sont une mémoire, ce sont autant de totems, d’empilements de petites boules de bois peint aux allures de jouets qui font référence à la fois à la culture chamanique et au porte-bonheur.
Et puis, il y a le graffiti. Et Marcin de transiter par Barcelone, Milan, Budapest, Cracovie – «j’ai trouvé que c’était beau à pleurer» –, et puis Berlin et Odessa, des «villes fondamentales».
Pour ce qui est de la peinture, revoilà Nina, la grand-mère qui «chaque été retournait en Russie, le périple lui prenait quatre jours – elle buvait une bière à Berlin, une vodka en Pologne – et ramenait des petits tableaux peints sur bois laqué, souvent des scènes de neige». C’est là que s’incarne le langage visuel de Marcin. Tout s’écrit de l’inspiration de son imaginaire pictural, de ses métaphores, de ses récits personnels qui embarquent des gens et des lieux, «des formes et des couleurs qui me rappellent ma grand-mère et des gens qui rêvent».
Et Marcin le rêveur affectif, qui a tôt appris la générosité, qui suit ses racines – «je veux comprendre les miennes et ceux des gens que j’aime» –, Marcin le bon vivant – fou de foot et fan de cuisine levantine –, le solaire stressé – «je m‘oublie» dit-il –, est enfin l’artisan d’un vocabulaire couleur hérité de l’intime et de l’ailleurs, entre le doré – mais «c’est un doré spécifique, c’est un or» – et le bleu…«comme les yeux de ma mère».
Infos: Galerie Reuter Bausch, 14 rue Notre-Dame, Luxembourg: Clément Davout & Marcin Sobolev, La promesse d’une belle journée, du 29 mars au 27 avril, www.reuterbausch.lu, tél.: 691.902.264.
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