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  • Marie-Anne Lorgé

La pensée dépasse les bornes

Je vous apporte encore deux bonnes nouvelles.

La première, c’est que le monde n’est pas uniquement peuplé de geeks.



Eh non. Succédané de la vie confinée, le virtuel a prouvé ses limites. Pour autant, le glas de la réalité «différée» servie à coups de pouces ou d’index est loin d’avoir sonné. Sauf que ça donne des dizaines de mots de passe et autres codes d’accès à retenir, à vous tourner le tournis. Un vertige qu’il est possible de barrer – c’est même le confondant conseil que je tiens d’une responsable institutionnelle –, en compilant vos identifiants, logins et autres shells au stylo à bille (ça va aussi avec un crayon!) sur… une simple feuille de papier. Laquelle, soigneusement pliée et rangée, inaugure la probable chronique d’une perte annoncée, mais prouve paradoxalement que l’avenir du papier n’est pas mort.


En même temps, il importe de savoir que, parmi les technophiles, un utilisateur de téléphone portable n’est pas nécessairement un geek. Et c’est à cet utilisateur que s’adresse l’expérience actuellement proposée par le TROIS C-L (Centre de Création chorégraphique luxembourgeois), sis à Bonnevoie, dans un bâtiment anciennement dévolu aux fruits & légumes et baptisé Banannebabrik depuis 1998.


Cette expérience – qui utilise le langage de l’audiodescription (adapté à un public malvoyant) – est celle du pouvoir du son à éveiller des images, à allumer l’imaginaire. La chorégraphe suisse Nicole Seiler en a tiré un dispositif inédit. Baptisé Palimpsest, ce dispositif sonore permet d’offrir à chacun (via une application pour smartphone) une vision chorégraphique du lieu qu’est la Bannefabrik. Ca veut dire quoi, ça marche comment?


Concrètement, Nicole Seiler a demandé à la danseuse luxembourgeoise Léa Tirabasso de se projeter de mémoire dans le lieu en proposant une danse différente pour chaque espace (passerelle, grande salle, coin bar….) traversé. Puis à Séverine Skierski de retranscrire cette mémoire spatiale et corporelle, avec ses sensations, soit: de décrire minutieusement la danse, de trouver les mots qui collent au plus près à chaque mouvement, à chaque geste, aux accessoires et aux endroits précis où le corps bouge. C’est cette voix que le quidam suit aveuglément, c’est par la voix, au demeurant monocorde, en tout cas sans effets parasites, que le quidam devient lui-même acteur d’un mouvement à la fois réel, physique – pendant les 15 minutes que dure le parcours – et émotionnel.


C’est assez bluffant. Certes, basée sur la vidéo-localisation, l’installation ne fonctionne que dans l’enceinte de la Banannefabrik – là où, du reste, la procédure est expliquée – mais c’est ainsi une opportunité à saisir pour (enfin) s’y rendre, un jour sur rendez-vous (réserv.: www.danse.lu) ou en amont d’un spectacle en soirée, sachant que Palimpsest n’est jamais aussi intensément vécu qu’en solitaire, dans l’obscurité silencieuse.


La seconde bonne nouvelle, coule de source: la pensée est en mouvement.


Tôt matin, c’est l’heure du «tout est encore possible». Dans ce possible-là, postulant que rien ne vaut donc la pensée en mouvement, admettons que vous décidiez de prendre l’air: qu’il soit doux ou frais, ça ne change rien au tableau. A savoir: que les blés sont déjà coupés – les moissonneuses ont battu de nuit pour tromper la chaleur –, que les cynorrhodons (ou gratte-culs) sont bon à cueillir et le vin prêt à être tiré, que le sous-bois sent la noisette, que les glands roulent sous les pieds et que les feuilles cassent comme du verre, comme si l’automne avait de l’avance sur l’horaire.


Par analogie, partant du même décor, voici une initiative – que je recommande chaudement (au propre comme au figuré) – attestant de la nécessaire oxygénation de la culture, qui prend donc l’air… au pied de la lettre.


Loin des plages covidées, il s’agit de la «Marche des philosophes», aussi baptisée «Le Grand Tour», une manifestation qui se prend un peu la tête en prétextant que la culture muscle les mollets. Organisée pour remplacer le mythique festival des arts de la rue de Chassepierre – sacrifié sur l’autel de la pandémie – ladite manifestation propose un parcours de 200 kms fractionné en étapes de 20 kms étalées sur douze jours et reliant Chassepierre à Mons (ça a commencé le 23 août et ça se terminera le 4 septembre). L’idée a de la semelle, censée réconcilier les randonneurs, les cultureux mais aussi le grand public, cet orphelin que le sidéral vide culturel actuel rend inconsolable.


C’est donc une marche citoyenne – de façon idéale, elle devrait fédérer des publics variés, chacun pouvant rejoindre à sa guise l’une ou l’autre étape, voire loger chez l’habitant en cas d’appétit (ou d’énergie suffisante) à poursuivre le lendemain – mais c’est surtout l’occasion de «s’enfiler autant de bornes que de pensées». En fait, le but du «Grand Tour», c’est, sinon refaire le monde, en tout cas s‘interroger sur «la place de la culture dans nos vies». Mais à quoi donc peut-elle servir, cette culture, qui a un coût mais qui n’a pas de prix?


Chaque matin, rendez-vous est pris en un lieu indiqué, avec, à chaque fois, un autre débat à l’ordre du jour (genre: «Faut-il être «bien né» pour être cultivé?») assorti d’un petit spectacle (musical ou théâtral, selon la capacité du porte-bagages des artistes).

On table sur la qualité aussi humaine que débatteuse de la rencontre. Sachant que les groupes sont limités à une trentaine de marcheurs par jour (infos & réservations: www.grand-tour.be), sachant aussi qu’au terme de chaque étape, les pieds échaudés ont souvent leur raison que la raison ignore. Pour confirmer ou contester, à vous de tester. Ce 26 août, le Tour fait halte à Grupont (commune de Tellin), accompagné par le chanteur Daniel Hélin, il circule ensuite autour de Marche, Porcheresse, Marchin, Andenne, puis transite par Namur et Auvelais pour ensuite relier Charleroi à Binche le 3/09, en compagnie de la poétesse Laurence Vielle, et finalement connecter Binche à Mons, le 4/09, avec la slameuse Lisette Lombé.


Beaucoup de questions (dont «les artistes, quelques pharaons et des milliers de sangsues?»), sans doute des attentes de réponses, en tout cas, une insolite façon de découvrir la Wallonie et une conception décalée des vacances, à vivre par l’arpentage.


Par contre, pour les adeptes du voyage immobile, la direction à prendre est celle du désormais célèbre «Intime Festival», initié à Namur par Benoît Poelvoorde et qui, cette année, les 28, 29 et 30 août, survit contre vents et marées mais en mode vraiment intime, mesure sanitaire oblige. Ce qui n’empêchera pas de combler les amoureux de littérature ou, surtout/déjà, de lectures. Toutes commises en deux églises (au lieu du vaste Théâtre royal), certaines remplacées par un montage textuel, en raison de l’absence de certains auteurs (comme Régis Jauffret). Donc, affiche réduite mais néanmoins séduisante, avec Anne-Cécile Vandalem, dont les spectacles hybrides Tristesse et Arctique ont fait sensation à Avignon, et qui, le 30/08,à 19.00h, lira des extraits d’un récit bouleversant de Nastassja Martin: sa rencontre avec l'ours qui l’a défigurée (infos: www.intime-festival.be).

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