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  • Marie-Anne Lorgé

La part du rêve

Des bijoux et des livres, voilà le décor du jour – j’y ajoute les fascinantes créations numériques que la 3e édition du festival Multiplica explore aux Rotondes jusqu’au 31 octobre, histoire de démystifier la société digitalisée d’aujourd’hui (programme consultable sur multiplica.lu).


Quant au bijou, il «a un lien avec le corps et il prend tout sens une fois qu’il est porté». La preuve au Cercle Cité, qui propose «un voyage dans un imaginaire «à portée de main»», celui charrié par les bijoux d’artistes (modernes et contemporains, de Calder ou Picasso à Jeff Koons) créés pour Diane Venet, devenue ainsi muse d’une «Collection idéale». Qui, quoi, comment et pourquoi? Ça «ne se mesure pas en carats» et c’est à lire ci-dessous (sous la photo de Believer, 2020, la bague de Martine Feipel & Jean Bechameil © Mathieu Tessier).


Pour ce qui est des livres, qui sont un accès à l’intime et à l’universel, pour le dire simplement, ils changent la vie… Et donc.


Alors que les feuilles meurent (c’est beau à pleurer sans être triste), les belles pages naissent (parfois tristement dopées par l’odeur du sapin… du Noël des cadeaux). Le prix Médicis couronne ainsi Christine Angot pour Le voyage dans l’Est, qui la ramène dans son passé, à son père, racine de tous ses maux (l’inceste) et ses mots. Et c’est Clara Dupont-Monod qui décroche le Femina avec S’adapter, un chassé-croisé de regards et sentiments d’enfants autour d’un frère cadet lourdement handicapé. Le Goncourt, lui, sera proclamé mercredi 3 novembre, à 12.45h, chez Drouant, suivi de quelques secondes par l’annonce du prix Renaudot.


Le rituel émoustille l’automne, entre les créatures sanglantes, squelettes, sorcières maléfiques, horreurs sans nom ou autres zombies rameutés pour ajouter aux peurs du temps un supplément de frissons baptisé Halloween, et la Toussaint, où nos morts «vivent encore à travers nos corps, nos pensées, nos regrets», à travers des objets aussi, et des lieux. Jour particulier, hors des statistiques, mais pleine d’histoires personnelles, seules capables de donner accès aux émotions et de les partager.



En même temps, les bijoux ont, eux aussi, leur part d’affection et de plaisir. Ceux dont il est question, exposés au Cercle Cité, sublimés par du clair-obscur, par une scénographie (de bois) singulière, spécialement conçue pour l’événement, tantôt suspendue, tantôt balisée par des caisses de transport et des globes de verre, ne se réclament pas de la haute joaillerie – non plus de la parure fantaisie – , ce qui ne les empêche pas d’être précieux… en ce qu’ils ont la force, la poésie, l’humour parfois, d’une œuvre d’art.


Voilà, les bijoux en question sont des créations non de bijoutiers de métier mais de peintres et de sculpteurs, d’artistes pour qui «cette pratique reste inhabituelle». Imaginaire créatif, approche artistique mais enjeu autre: œuvres miniatures, en tout cas, qui «remettent en question le sens et la fonction de la bijouterie».


En fait, ces bijoux – une sélection de pièces d’une centaine d’artistes internationaux – sont tous l’aboutissement d’une rencontre, nés «du geste vers l’autre», dit Diane Venet, ou «de l’intention d’offrir», en l’occurrence «à une personne chère», ce qui «ajoute une certaine intimité» à cette collection privée, certes extrêmement séduisante – et qui a conquis plusieurs musées à travers le monde – mais surtout réellement passionnante. Parce qu’y cohabitent des artistes phares de l’histoire de l’art – au demeurant présentés selon un parcours chronologique et thématique, avec l’avant-garde (Georges Braque, les frères Pomodoro, Alexander Calder), le surréalisme (Hans Arp, Salvador Dalí, Man Ray), le Pop Art (Roy Lichtenstein, Robert Indiana), le minimalisme (Frank Stella, Lucio Fontana) et l’art contemporain (Kader Attia, ORLAN ou encore Anish Kapoor) –, ainsi découverts «dans un exercice méconnu».


A travers l’affolante diversité des formes et matières constituant ces œuvres-parures, si le public repère le style ou l’esprit singularisant tel artiste selon le courant auquel il appartient, il y a la façon dont ce même artiste a exploré/intégré les savoir-faire et techniques d’orfèvres rencontrés/observés, au point d’inscrire l’idée du bijou comme prolongement de son œuvre originale.


Mais au final, on peut faire abstraction du tout, des signatures, de la technicité, du geste artistique et même d’une valeur liée ou non à un matériau noble, pour apprivoiser le bijou comme un objet avant tout sensoriel.

Voilà qui plaide pour la reconnaissance du bijou d’artiste – à l’attention de ceux qui le snobent ou qui en ignorent tout.

Diane Venet est tombée dans la marmite le jour, il y a une trentaine d’années, où son mari, le sculpteur Bernar Venet (bien connu du public luxembourgeois), lui a «enroulé une fine baguette d’argent autour du doigt». C’est dans «ce geste émouvant et spontané» que la légende niche la genèse de la passion de Diane, devenue une collection éclairée, éclectique, parfois ludique, toujours rigoureuse, qui compte près de 200 pièces – balayant les grands mouvements modernes et contemporains, art abstrait, Nouveaux Réalisme, art cinétique et conceptuel inclus – et qu’elle continue comme elle renouvelle sa «découverte d’un nouveau monde dans lequel l’art, apparemment en jeu, se dépasse». Sachant que le challenge majeur, c’est le changement d’échelle.


Martine Feipel & Jean Bechameil, duo d’artistes franco-luxembourgeois, ont relevé le challenge. A la faveur d’une bague (en plaqué or, photo du haut). Spécialement conçue et réalisée pour l’exposition. Et dont le processus de création est présenté dans la petite salle du Ratskeller.


Conforme au répertoire et à l’esthétique modernistes percolant dans leurs travaux les plus récents, la bague qui n’est pas sans évoquer un petit habitat, est surmontée d’un cabochon, où lire une tête stylisée, aveugle, sinon … un réservoir à poison, typique des contes ou des royales machinations d’antan. Le potentiel narratif est évident, mâtiné de malice, de fronde, de théâtralité aussi. Il n’empêche, le vocabulaire qui prévaut est une hybridation de géométrie et d’architecture. Alliance idéale d’un matériau pur avec une forme pure. Tout à l’image de ces deux artistes décloisonneurs qui allient de nombreux savoir-faire – dessin, sculpture, mise en scène, décor –, foncièrement adeptes de projets décalés.


En tout cas, dans leur vision d’artistes, le bijou – qui au fil des millénaires n’a eu de cesse d’endosser diverses fonctions, dont spirituelle, identitaire, sentimentale et bien sûr, sociale – est bien autre chose qu’un luxe. Ou alors, c’est que l’art en serait un. Pour Martine et Jean, le plaisir de créer est urgent, tout comme l’est, pour chacun, le droit de rêver. Pour le coup, la bague s’appelle Believer, tout un programme.


Le premier bijou des représentants du Luxembourg à la 54e Biennale de Venise intègre ainsi la collection prestigieuse de Diane Venet… et son indubitable part de rêve!


Infos:

Cercle Cité, Place d’Armes, Luxembourg (espace d’exposition Ratskeller, rue du Curé): Bijoux d’artistes, de Picasso à Koons. La collection idéale de Diane Venet, jusqu’au 23 janvier 2022. Tous les jours de 11.00 à 19.00h. Entrée libre. Visite guidée gratuite tous les samedis à 15.00h. Tél.: 46.49.46-1, www.cerclecite.lu


Table ronde. Le 25 novembre, à 18.30h (dans Auditorium, 3 rue Genistre), la discussion intitulée Le bijou comme moyen d’expression. Le geste artistique et le choix des matières abordera la relation inhérente du bijou au corps, celle-là qui confère une dimension supplémentaire et captivante à l’objet.



En tout cas, avec cette expo, le Cercle Cité marque son dixième anniversaire. Pas de banquet mondain, ni d’ailleurs de flonflon. Mais une envie de prendre l’air, histoire de davantage se connecter à ville et à son public, et donc, en ce sens, de passer commande de projets originaux à des danseurs-chorégraphes, invités à imaginer une chorégraphie sur ces terrains de jeux inédits et inconnus du public: le balcon extérieur de la Grande Salle (Baptiste Hilbert, AWA), la cour intérieure de la Cité Bibliothèque (Georges Maikel Pires Monteiro & Ileana Orofino) et le toit du bâtiment Cité (Rhiannon Morgan).


Résultat: une vidéo-danse inédite (photo juste ci-dessus, © SKIN) à découvrir sur le site Internet ainsi que sur les différentes plateformes sociales du Cercle Cité.

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