A la galerie Ceysson & Bénétière
Leçon de peinture avec Franck Chalendard
Flash-back stéphanois. Le peintre Franck Chalendard (né en 1966) qui a effectué ses études d'art à Saint-Etienne, où il a du reste longtemps travaillé (au musée d'Art moderne) est l'un des premiers, après Claude Viallat, à avoir avoir exposé dans la galerie fondée à Saint-Etienne en 2006 par Bernard Ceysson. Entre Franck Chalendard et son mentor Bernard Ceysson – historien, commissaire d'expo, conservateur et directeur de musées –, un lien s’est noué, que le temps n’a jamais démenti.
L’eau a coulé sous les ponts. La galerie, renommée Ceysson & Bénétière, s’est internationalisée pour notamment essaimer à Genève, Paris et Luxembourg, où, en 2015, désertant le centre-ville, elle s’est installée à Wandhaff / Windhof, près de Koerich, dans un vaste espace de 1.400 m2.
Et c’est là, aujourd’hui, dans notre monde de l’après-pandémie, que le destin de la galerie reprend la main, en compagnie précisément de l’artiste Chalendard, dont l’expo Peindre, cheminer, peindre était restée au milieu du gué pour cause de confinement. L’accrochage a été revu, qui regroupe désormais une quarantaine de grands formats de 2001 à 2019, comme l’histoire déroulée en raccourci d’une vie dédiée à la couleur et au geste.
L’histoire est donc celle de la peinture, ce «faire» archaïque qui remonte à la nuit des temps et que Franck Chalendard remet sur le métier, le renouvelant au milieu des turbulences et des questions que se pose l'art actuel. Chalendard a sa réponse, qui sacre la qualité même de la peinture, «qui est de n’être que de la peinture». Donc, pas de représentation, ni de monstration, mais des couleurs assemblées, parfois accumulées, enchevêtrées. Sachant qu’en les combinant ainsi, Chalendard réaffirme haut et fort ce que l’art actuel tend à snober ou à réfuter, à savoir: le pouvoir émotionnel des couleurs.
Surtout ne pas y lire d’état d’âme, ni un quelconque recours à des sujets extérieurs. Et pas de dessein narratif non plus. Ce qui n’empêche pas Franck Chalendard d’assortir ses tableaux de titres tantôt poétiques, tantôt concrets, comme Jalousie (le store, la persienne, non pas le sentiment), Vol de papillon ou Guirlandes de Noël. Sauf que ces titres, qui trahissent l‘addiction littéraire du peintre, ont beau prendre appui sur son vécu, souvenir ou voyage, ils n’en sont pas la traduction formelle. En l’occurrence, pas d’ailes de papillons, mais des taches colorées en flottaison dans la blancheur de l’espace du tableau, comme pour capter le mouvement ou plutôt, comme pour capturer l’idée de mouvement dans ce qu’il a d’aléatoire. Et de jubilatoire.
Pareillement, dans Guirlandes de Noël, point de décoratifs rideaux d’ampoules, mais une constellation de points lumineux qui mesurerait la dérisoire posture de l’homme dans l’univers. L'homme aussi par rapport à cette autre échelle qu’est l’espace-temps, parce que, oui, dans «ce tableau qui part d’un tissu et de ses arabesques travaillé pour restituer comme une peau, il y a des strates: le temps passé ne se voit pas mais il est présent».
Donc, c'est le geste qui dynamise/dynamite les coups de pinceau, lesquels font advenir des formes diverses, autant de motifs élémentaires – carrés, cercles, boules, canevas, damiers – qui souvent se répètent, surgissant en séries de fonds mangés par des superpositions de couleurs. Sauf que le recouvrement, le débordement, la surenchère n'empêchent pas la transparence et qu'en retour, la transparence n'en finit pas de révéler l'épaisseur. Dans son corps-à-corps couleur/geste, qui a la capacité de faire vibrer un réel invisible pour les yeux, ce à quoi Franck Chalendard aspire, c'est au mystère... cosmique.
Rien de pontifiant pour autant, mais de la fantaisie, de la légèreté, de l’énergie aussi. Et surtout de la simplicité, tel est le maître-mot de Franck Chalendard: dire simplement les choses et faire naître des choses simples. Qui n’en sont pas moins des énigmes. Ou des rébus. Sauf que les tableaux Chalendard ne sont pas des devinettes façonnées à partir d’images mais des déflagrations de sensations transmuées en formes et couleurs qui accouchent d’une intensité visuelle forte, laquelle «doit produire une émotion».
La vieille «notion d’abstraction/figuration n’est pas le sujet», insiste Chalendard, «seule la peinture m’importe. L’intention est simple, la méthode l’est aussi, ce sont des gestes premiers». Et «plus le temps passe, plus j’épure, plus grande est l’économie des moyens utilisés». En tout cas, la lumière qui y est soluble a, comme toute épiphanie, le divin privilège de nous toucher tous. Et c’est raccord avec le grand chantier de Franck qui est aussi de retrouver le collectif, la peinture étant cela qui doit nous aider à nous lever. A rester debout.
Infos:
Légende photo:
Franck Chalendard, «Vol de Papillon #5», 2019. Acrylique sur toile, 200 x 170 cm. Copyright: Studio Rémi Villaggi. Courtesy: Ceysson & Bénétière.
Expo:
Ceysson & Bénétière, 13 - 15 rue d'Arlon, à Wandhaff (ou Windhof), Koerich: Franck Chalendard, «Peintre, cheminer, peindre», jusqu’au 18 juillet 2020. Tél.: (00.352) 26.20.20.95, www.ceyssonbenetiere.com
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