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Marie-Anne Lorgé

L’ordre des choses

Dernière mise à jour : 31 mai

Dans l’univers fantaisiste de Thomas Fersen – chanteur français né en 1963 dans la clinique des Bleuets, lieu prédestiné pour un fabuliste fondu de petites merveilles au naturel –, les parapluies peuvent avoir une histoire d'amour. Par cette météo de grenouille et d’escargot, voilà de quoi considérer nos pépins, pébrocs et autres riflards d’un autre œil – en même temps, les hirondelles qui virent en piqué au-dessus des coquelicots de ma campagne me rassurent quant au retour de l’azur.


En tout cas, si vous n’avez pas le goût des sauts dans les flaques – dommage pour votre parfum d’enfance –, ma petite excursion devrait vous plaire, cheminant en terrain sec, en compagnie d’artistes aussi atypiques qu’attachants, à commencer par la plasticienne Trixi Weis (visuel ci-dessus, détail installation Invisibles chez Nosbaum Reding, photo ©Audrey Jonchères), la céramiste Pascaline Wollast (à l’Espace Beau Site) et le photographe Michel Medinger, le Lord of Things, dont l’expo-installation-hommage, intitulée L’ordre des choses, se présente aux 55e Rencontres d’Arles, à l'initiative de Lët'z Arles.

 

Du reste, au rayon photo, le nom de la lauréate du Prix de la photographie - Clervaux Cité de l’image est désormais connu, il s’agit de Nazanin Hafez dont la série Discrete parle de solitude, et d’angoisse, au travers de portraits plongés dans une nuit terrible, juste trouée par la luminosité d’un écran numérique. Donc, dix photos mangées par l’obscurité qui s’offrent comme la clé de lecture d’une oeuvre saisissante, hantée par une approche empathique et digne de la douleur du peuple iranien sous le joug d’un régime répressif.

 

La belle expo des 14 photographes (de la Grande Région) en lice – dont Jeannine Unsen avec un sublime grand format photographique brodé à main levée sur coton tendu qui joue sur les transparences, parle de la souvenance et du son du vent, Cristina Dias de Magalhaes avec Equivalents, une magique série de diptyques & triptyques qui, partant de nuages (atmosphériques et métaphysiques), traduit de très sensibles correspondances entre souvenirs et imaginaire, vécu (ravivé ou présent) et environnement familial & naturel, aussi Filip Markiewicz avec Force Tranquille, une œuvre socio-politique étonnamment touchante, qui mêle documentaire et fiction, et encore Marie Capesius avec Porte-Mémoire, Neckel Scholtus avec une Insoutenable Gaia… minérale –, l’expo, donc, grosso modo au chevet de l’actualité du monde, mérite assurément le détour, accessible au Brahaus jusqu’au  30 juin.


Lâchez prise et votez pour votre artiste favori en vue du Prix du public qui sera remis le 29 juin, à 11.00h. Infos: www.clervauximage.lu 



Mais donc, on est en terrain sec, ai-je dit, pour autant, je vous propose de booster votre curiosité en marchant, tout au long de Cyber Structures Material Realities – Digital Experiences, le parcours urbain que la nouvelle plateforme Elektron programme à travers Esch/Alzette (visuel ci-dessus): Le champ des technologiques numériques est vaste, les artistes les utilisent dans leur processus créatif tout en les mettant en question, la preuve en 7 installations… qui s’ingénient à rendre l’invisible visible.


Je vous en ai parlé dans mon précédent post, avec un zoom sur le projet Passages de Serge Ecker (à (re)découvrir au Bridderhaus, rue Léon Metz). Cette fois, arrêt au Centre Mercure où Corinne Vionnet rebondit sur nos tics de touristes photographiant de la même façon les mêmes monuments de sites emblématiques du monde, du coup, s’appropriant ces clichés qui, sur Internet, se ressemblent au point de se confondre, l’artiste propose Photo Opportunities, une compilation de formats panoramiques complexes, parfaitement bluffants.

 

Quant à Korrelation du collectif Xenorama, c’est un projet qui «transforme le sol de la rue de l’Alzette en un paysage aquatique abstrait réagissant aux mouvements des passants»; en fait, ce qui se donne ainsi à voir, c’est le tracé souterrain de la rivière qui donne son nom à la ville, et qui circule donc invisiblement sous nos pieds. Autre circulation liée à l’eau, celle que Jereon van Loon révèle dans Connecting the Dots, traduisant en lignes et points les tracés des câbles sous-marins acheminant 99% du trafic Internet intercontinental. Des lignes et points alors soumis à des enfants de 4 à 6 ans, qui les ont transformés en 279 dessins… nous éclairant – et c’est scotchant – sur la manière dont nous façonne le monde numérique qui nous entoure. Infos: elektron.lu

 

Enfin, puisqu’on est à Esch, pendant que je vous parle, l’annuel et très attendu FlamencoFestival, qui en est à sa 17e édition, roule des mécaniques. Au programme (depuis ce 24 mai) cinq spectacles – dont Vengo Jondo  de Marco Flores le 30 mai, 20.00h, à la Kulturfabrik, Insaciable de Lucía Álvarez "La Piñona" le 31 mai, 20.00h, au Escher Theater et PRENDER (Un acto de combustión) d’Antonio Molina ‘El Choro’ le 1er juin, 20.00h, à Kulturfabrik – , trois documentaires et quatre workshops. Tout sur tout sur www.kulturfabrik.lu


Allez, on met les mains dans la terre, avec ou sans cuisson.



Cuisson, d’abord. Avec four à bois, et surtout bois de récupération, moins énergivore (mono cuisson à pas plus de 1.100°C) et requérant une terre spécifique (celle du Pays des Collines, en Wallonie), une dimension économico-écologique chère à la céramiste et sculptrice belge Pascaline Wollast, initiatrice d’un projet de transmission et de partage, de qualité aussi humaine qu’artistique. C’est comme ça que l’histoire commence, et elle est magnifique, transcrite en pots dans l’Espace Beau Site, cette galerie mezzanine – du 321 Avenue de Longwy à Arlon – dont je vous parle régulièrement, parce qu’elle défend un esprit, des processus créatifs plutôt réfractaires aux sirènes mercantiles.


Je plante le décor. Il est donc céramique, un «art du feu» antédiluvien dont on croit tout connaître et qui, aujourd’hui, n’en finit pas de se réinventer. En tout cas, ici, il est question de «terre vernissée», une technique ancienne de décoration, via un engobe, ou revêtement mince à base d'argile délayée appliqué sur la pièce (tesson), émaillée ensuite avec une glaçure translucide. Mais ce qui importe, au-delà de la technique, c’est le ressenti, tout d’harmonie. De formes et de tons.


Marée de beiges et constellation de contenants (une centaine) évoquant tous des bocaux (visuel ci-dessus). Et c’est là que la belle histoire s’embraye, lesdits bocaux faisant écho à l’herboristerie, au jardin de plantes médicinales qui jouxtait l'hôpital Notre-Dame à la Rose (fondé en 1242, mué en musée depuis 1980), sis à Lessines, ville de la province du Hainaut (B) où l’artiste Wollast a élu domicile, où, surtout, en pleine campagne, elle s’évertue à rénover une vieille grange, à sa transformation en espace de création. Une métamorphose du coup tributaire… des terres vernissées. Eh quoi?


En fait, dans le lieu, sur invitation, des graveurs, peintres et dessinateurs vont et viennent – le temps d’une journée ou d’un week-end – transposer leur langage sur l’engobe (blanc ou jaune) recouvrant les pièces (d’argile brune ou rouge) tournées par Pascaline. Une trentaine d’artistes à ce jour – dont Kikie Crêvecoeur, Chantal Hardy, Astrid Lauer, Anne Leloup, Léopoldine Roux, Marie Van Roey, Hugo Weitz –  avec, pour chacun(e), en principe, trois pièces produites – dont l’une, à la vente, contribue au financement des travaux de la grange. Au final, Terres vernissées, c’est une expo rare – une unité de formes simples et sobres perfusée par l’univers graphique propre à chaque artiste – mais c’est aussi l’enthousiaste expression d’un projet collectif/participatif contagieux, où l’art, fédérateur de valeur, réussit ce qui échoue ailleurs: la solidarité.


Aux côtés de Terres vernissées, Beau Site expose les œuvres des trois finalistes 2023 en céramique de l’Académie des Beaux-Arts de la Ville d’Arlon, à savoir: Mirella Mazzariol et Annette Pleimelding, des potières sculptrices ou, plutôt, des sculptrices qui façonnent la terre comme des tailleurs de pierre, et puis Monique Voz, une alchimiste inspirée par la mystique Marguerite Porete qui traite du fonctionnement de l’amour divin et de la soumission à la nature dans Le miroir des âmes simples, livre (vers 1295) déclaré hérétique. Âmes que Monique fait danser comme des putti en biscuit, tantôt dans une boîte à musique, tantôt à l’intérieur d’un carrousel lumineux. Du reste, c’est dans une installation d’assiettes de verre, chacune dotée d’un petit moteur faisant tressaillir des couleurs, que l’artiste Voz incarne idéalement son langage théologique, la lumière.


On succombe jusqu’au 16 juin, du mardi au samedi de 10.00 à 18.00h, ainsi que les dimanches 9 et 16 juin, de 15.00 à 18.00h. Infos: www.espacebeausite.be



Pour l’argile sans cuisson, escale à Luxembourg, dans la galerie Nosbaum Reding qui confie son espace «Projects» à la nouvelle création-installation de Trixi Weis, plasticienne luxembourgeoise, qui, c’est une première, s’essaie à la sculpture. Un travail fragile – il suffirait d’un peu d’humidité pour qu’il se désagrège – , accoucheur de petites figurines, toutes affligées, comme autant de laissés-pour-compte, victimes clandestines de ce scandale sociétal qu’est le sans-abrisme, avec son domino miséreux de solitude.

 

Toutes les figurines sont blanches. La blancheur de l’anonymat. La vulnérabilité d’une neige, et d’ailleurs, elles (se) fondent dans le décor. Accroupies, recroquevillées, engourdies. Elles sont 33, toutes semblables, mais en 33 attitudes/postures différentes – avec ou sans cheveux, jambes allongées ou genoux repliés, mains aux tempes ou jointes, solitaire ou en duo, fruit d’une observation empathique – et toutes disposées à même le sol, comme des rebuts, à hauteur et au milieu d’emballages divers, en carton, papier, métal, ces reliquats jetés d’une consommation (bue, mangée, payée) aussi colorée qu’indécente, transformés en refuges précaires (visuel ci-dessus, photo ©Audrey Jonchères).

 

Par le geste, éminemment délicat, Trixi soigne les Invisibles. Travail pétrisseur hautement sensible, mais pas de sensiblerie pour autant. Proposition engagée mais sans véhémence, juste au bord de cette distanciation faite de poésie et de regard doux-amer, typique de l’univers bienveillant, généreux, sincère de cette artiste toujours assise entre deux chaises, entre deux émotions, le dépit et l’imaginaire conteur. A voir et revoir ou à découvrir sans modération, ni condition.

 

Sculpture aussi dans le second espace de la galerie, mais en bois, avec Stephan Balkenhol, réputé pour ses personnages intemporels taillés à la masse et au ciseau, une figuration polychrome qui, dans cette série d’oeuvres récentes, pousse le ton au vert, un vert qui dit le feuillage, donc l’arbre où se cachent les billes de bois que le sculpteur (allemand), sans doute inspiré par le château de Vianden, métamorphose en héros de fables. Ainsi, autour dudit château, selon le remarquable bas-relief qui le noie dans une luxuriante forêt, on croise… une Femme en cape vert – probable allusion au chaperon des Frères Grimm – , un Homme canard (en ayous peint) – possible référence au colvert sauvage, friand d’étangs, de rivières, de marais – et un roi à genoux (Kniender König en bois waha peint), un col bleu certes couronné mais soumis.

 

Trixi Weis et Stephan Balkenhol se rencontrent donc à la galerie Nosbaum Reding, rue Wiltheim, Luxembourg, jusqu’au 15 juin, infos: www.nosbaumreding.com

 


La fragilité, c’est aussi ce qui obsède Michel Medinger (né en 1941 au Luxembourg), autre artiste bienveillant masqué par la facétie, tombé dans la marmite photographique par hasard – histoire, en 1964, de ramener des photos des JO de Tokyo où, sportif invétéré, il venait de se qualifier –  pour devenir un pilier du patrimoine artistique luxembourgeois.

 

Michel, c’est le façonneur espiègle d’un inventaire à la Prévert, mâtiné d’un doigt d’irrévérence et d’une dose humour noir façon Ensor, du moins au regard de son cabinet de curiosité, crânes, squelettes d’animaux et autres vanités s’accumulant dans ses tiroirs, mêlés à une collection aussi fabuleuse que fantasque de fleurs fanées, de fruits ou légumes anthropomorphes, de vieux outils et autres objets le plus souvent glanés dans les marchés aux puces, dès lors détournés & associés pour composer selon les matières et la lumière des mises en scène, des natures mortes – un héritage de son père peintre du dimanche, un clin d’œil à son goût pour la peinture de Cézanne, des maîtres néerlandais aussi.


Donc, des natures mortes, oui, mais sculpturales, en tout cas édifiant une sorte de mise en abîme de notre humaine condition, où – égratignant au passage quelques allégories pontifiantes de l’histoire de l’art – , la précarité ne sacrifie jamais la beauté, le tout immortalisé au final en noir et blanc.


Certes, Medinger le photographe a été un explorateur jubilatoire de toutes les techniques photographiques, expérimentant de très nombreux procédés, dont le Cibachrome – cfr ses célèbres pompes à essence capturées à travers le pays  –  , le transfert polaroïd, le platinotype, pour autant, il est et reste un grand défenseur du noir et blanc.


Mais donc Michel Medinger est le lauréat du Luxembourg Photography Award 2024, initié par l’association luxembourgeoise Lët'z Arles, et c’est en cette qualité – combinée à mille autres – qu’une exposition lui est consacrée aux Rencontres d’Arles, ce, dans la chapelle de la Charité (lieu investi par Lët'z Arles depuis 2017), du 1er juillet au 29 septembre.


L’expo n’est pas une rétrospective mais un hommage réunissant une cinquantaine de ses photographies dont certaines inédites, hormis des objets de sa collection foutraque, un hommage au demeurant curaté suite à un appel à projet curatorial par la Sétoise Sylvie Meunier, aussi artiste-expérimentatrice de l’image. Parallèlement, un ouvrage, intitulé Michel Medinger - Lord of Things, co-édité par Lët’z Arles, le CNA et Palais books, a été confié… à Cyrille Putman. 

 

Aussi, au-delà de l’hommage arlésien (vernissage sur le parvis de la chapelle de la Charité, au 9 Boulevard des Lices, le 3 juillet, à 19.00h, sinon ouverture tous les jours de 10.00 à 19.30h), à l’attention de tous ceux qui n’auront pas l’heur de faire le voyage, toute une saison se déploie autour de Michel Medinger ici, à Luxembourg-Ville, concrétisée par un accrochage en deux lieux, au Parc de Merl – sélection sur panneaux de grand format de 16 images issues de la collection du CNA (visuel ci-dessus) – et dans les Jardins de l’Hospice de Hamm (où l’artiste Medinger vit désormais). Inauguration le 4 juin, à 14.30h – et double accrochage accessible tous les jours jusqu’au 7 octobre. 

 

Ensuite, il est prévu que L’ordre des choses, l’expo arlésienne, revienne (partiellement) à Luxembourg, à la Villa  Vauban, en 2025, à l’occasion du Mois européen de la Photographie (de mars à juin).

 

Medinger, c’est un univers inimitable, où cohabitent les mamelles de l’existence que sont la fantaisie, la poésie, l’érotisme et la mort.

 

Du reste, parler de la mort, c’est parler de la vie, et ça, c’est le grand enjeu de My Last Will, la nouvelle expo collective  – 32 artistes invités – qu’accueille actuellement le Casino Luxembourg. ça interroge autant que ça remue … et je vous en parle dans mon prochain post.

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