Au creux de l’après-midi, passe le marchand de glaces ambulant, son carillon attire les enfants comme des abeilles, un oiseau pépie comme s’il avait avalé le soleil, le temps est élastique, voilà le décor, la photo de mon post du jour.
Où dorment les martinets la nuit? En vol. Cet adorable oiseau noir à toutes petites pattes ne se pose quasiment jamais, au contraire de sa citadine cousine, l’hirondelle, ni pour manger ni se reproduire, sauf pour couver ses petits, lesquels, une fois en âge, tombent littéralement du nid avant de planer.
Pas de temps à perdre à construire savamment, c’est sous un toit qu’il niche. Et c’est de là que le plasticien ludovic hadjeras l’a observé, très exactement sous la corniche de la chambre qu’il occupe au Casino Display (1 rue de la Loge, Luxembourg), en résidence artistique depuis mars. Et c’est le début d’une sensible histoire, visuelle et sonore, intitulée sleeping swift, slipping - falls, pour épouser les mouvements du martinet.
C’est une expo de sortie de résidence qui expire déjà le 3 août. Et il serait dommage que vous loupiez la rencontre avec un artiste pétri par le vivant, passionné par les relations entre humains et non humains, et qui migre comme un oiseau – ou comme un timbre-poste – entre des récits visibles et invisibles, entre l’Algérie de ses origines et Luxembourg. Il serait dommage que vous loupiez ce travail de recherche, plutôt humble, en raison de sa force poétique et parce qu’il nous raccommode avec le chaos du monde (visuel ci-dessous).
Ludovic va et vient de l’intime au collectif, de la géographie à la sociologie, de l’objet à l’imaginaire, de l’installation à la sculpture, de la vidéo à l’écrit, alors je vous en cause.
C’est donc le martinet qui a accueilli l’artiste ludovic hadjeras (né en France en 1996) à son arrivée à Luxembourg, c’est le même oiseau qu’il a croisé à Alger, quand pour la première fois de sa vie, il foulait la terre de son père, un ornithologue amateur, en tout cas, un fondu d’appeaux. Appeaux au demeurant exposés discrètement sur une mince planche aux côtés de Péckvillercher, ces petits oiseaux-siffleurs d’argile ou de faïence caractéristiques de l’Emaischen, fête célébrée le lundi de Pâques à Luxembourg. Du reste, ludovic a débarqué au Casino Display lors de l’Emaischen, et son expo s’inaugure au moment de l’envol des petits martinets. Toute une symbolique qui lui a permis d’esquisser une migration truffée de liens réels et métaphoriques, plutôt ténus, dans un espace qui enjambe la Méditerranée.
Dans le mouvement – et les questionnements quasi identitaires –, bien sûr il y a les mots de Mahmoud Darwish, il y a les enveloppes oblitérées, avec timbres philatélistes, d’où émerge une sorte de carte postale holographique avec motif évanescent, dont portrait paternel (visuel ci-dessus). Aussi, il y a des billets de banque, des dinars algériens maculés d’une feuille d’argent, à l’exception de l’oiseau y imprimé: sa seule valeur, l’unique valeur. Et, trouvée dans un bureau de poste, il y a une vieille petite table, tatouée de vignettes d’oiseaux par quelqu’un dont on a perdu le nom. Et puis, il y a du son, le cri d’une nuée de goélands saluant le lever du jour: c’est le souvenir de l’artiste en abordant Oran, et de restituer la sorcellerie de l’aube, du soleil apparaissant… au-sous sol du Casino Display. La magie plane, autant que l’émotion.
Dose d’humanité aussi à deux pas, dans la vitrine du Cercle Cité, la CeCiL’s Box (rue du curé), où Etienne Duval «tente de réparer modestement une brisure sociale» en une vidéo en continu de 24 heures. On y voit une jeune femme, aussi fragile qu’un dessin à colorier, tendre la main ou faire signe, d’infimes gestes de mendicité, ce, en boucle de 7.00h à 22.00h, puis, de nuit, de 22.00 à 7.00h du matin, la vidéo rend le passant voyeur de cette même figure endormie.
Etienne Duval, on le retrouve aux Rotondes, dans Les Voyeuses, cette expo qui inaugure le festival Congés Annulés dès ce 26 juillet (vernissage à 18.00h).
Sur le parvis du site de Bonnevoie, et ses alentours, place à d’intrigants dispositifs de près de 2 mètres d'envergure permettant de voir des images en noir et blanc d’époque, prises il y a 60 ans… mais retravaillées par 12 artistes (locaux et internationaux) sélectionnés pour sublimer, interroger, transformer et déconstruire les photos historiques, et faire des Rotondes leur terrain de jeu jusqu’au 21 août.
Etienne Duval s’y colle, avec Schuebi annulée (visuel ci-dessus) où fusionnent des éléments emblématiques de la Schueberfouer, tels que le carrousel, la grande roue ou les montagnes russes, et les bâtiments des Rotondes, en l’occurrence le parking rue des Gaulois vu par Edouard Kutter en 1963 ©Photothèque de la Ville de Luxembourg).
Et puis, il y a Jeannine Unsen qui, à l’aide fil, ajoute de la couleur aux souvenirs, et Daniel Wagener qui, dans Oups, une curieuse série de cartes postales, exploite les erreurs courantes en imprimerie, telles que la surimpression et le décalage, de sorte que de nouvelles images prennent forme. Aussi il y a Maxime Charasson, Jessica Frascht, Liliana Francisco, Lascar, Viktoria Mladenovski, Cana Somay Panayirci, Yannick Tossing, Klara Troost et Lise Walgenwitz.
Les œuvres de ces 12 artistes ont été réalisées sur des photographies patrimoniales d’Edouard Kutter, Pol Aschman, Romain Urhausen, Theo Mey, Tony Krier.
Autant de longues-vues inédites, autant d’histoires croisées entre le passé et le présent, la première des surprises de ce festival que les cigales nous jalousent. Infos: rotondes.lu
On retrouve Edouard Kutter, Tony Krier, Pol Aschman ainsi que Théo Mey au Cercle Cité, dans l’espace du Ratskeller, où selon une scénographie dynamique censée recréer une ambiance urbaine et diversifiée, la traditionnelle expo estivale de la Photothèque se consacre … à la mode, à ceux qui la portent et ceux qui la vendent, sachant que le vêtement raconte par le fil l’évolution de la société.
Le Luxembourg s’habille, c’est 127 photographies en noir et blanc, couvrant les années 50 à 70 (mais déjà en 1930 et jusqu’en 1990/2000), qui font défiler le tissu des champs, de l’usine, des villes (photo ci-dessus © Pol Aschman,1955), des grandes occasions et celui qui est l’expression d’une rébellion quant aux conventions, à l’exemple des tenues décontractées des jeunes dès 1968.
Pendant longtemps, les vêtements permettaient surtout d’identifier la profession ou la position sociale de ceux qui les portaient et puis, leur fonction a basculé, s’est individualisée. Les femmes et les hommes issus de la bourgeoisie se font tirer le portrait et témoignent de leur style de vie, plutôt haut de gamme, à travers leurs toilettes. Les nombreux défilés de mode qui ont eu lieu à Luxembourg-Ville montrent que la mode est également liée à la quête d’une certaine forme de beauté. Un coup d’œil aux vitrines et aux magasins de tradition de la ville invite les visiteurs à flâner. On croise des stars – dont Michel Polnareff – et des têtes couronnées. Ailleurs, la société s’observe par les pieds, à ras de trottoir: dis-moi comment tu te chausses et je te dirai qui tu es.
Les regards portés par les photographes d’hier sur le vêtement quotidien sont d’une diversité jubilatoire, parfois documentaires, parfois mondains, parfois cocasses, sinon émouvants.
L’expo vaut pour son accès nostalgique mais pas que. Elle nous dit que si la mode est éphémère, le désir, pour tout individu, de se positionner dans son contexte social persiste à travers les siècles.
Entrée libre jusqu’au 15 septembre, du lundi au dimanche, de 11.00 à 19.00h. Visite guidée en français par Christian Aschman, co-commissaire de l'expo avec Gaby Sonnabend, responsable de la Photothèque de la Ville de Luxembourg, le 07/09, à 11.00h. Et promenade dans la ville haute, découverte des adresses et histoires des anciennes grandes enseignes de la mode le 04/08 (LU) et le 14/09 (FR) chaque fois de 14.30 à 16.00h, en compagnie de l’historien Robert L. Philippart qui, d’ailleurs, signe un texte sur lesdites enseignes dans le catalogue de 128 pages (en vente au Ratskeller, 15 euros).
De la photographie, encore, à Dudelange, avec le programme So So Summer, au Pomhouse (au flanc du château d’eau). Là, tous les jeudis – jusqu’au 29 août – découvrez des pépites d’archives du CNA (Centre national de l’audiovisuel) et sur l’agréable terrasse, profitez de délicieux plats, glaces et boissons fraîches et de la bonne musique de 17.00 à 22 h 00. Et la fête ne s'arrête pas là…
En tout cas, dans ledit Pomhouse, une expo étonnante, Traces of Time, l’œuvre vidéaste et photographique de l'artiste autrichien Kay Walkowiak qui a séjourné en Inde, notamment à Calcutta, capturant l’atmosphère bollywoodienne des petites boutiques familiales, de l’hétéroclite à l’allure de salon privé où, entre bougies, guirlandes de jasmin et Lakshmi sur lotus ou autres effigies, trône la sempiternelle horloge occidentale qui n’indique pas l’heure, ou pas forcément, car ce qui compte… c’est le temps (visuel ci-dessus).
Traces of Time, c’est un cube noir où défilent les images fascinantes d’un autre espace-temps et c’est aussi une fabuleuse vidéo panoramique, Rise-and-Fall, visible dans la rotonde qui coiffe le château d’eau, une tentative de démonstration du temps cyclique (non pas linéaire) inspirée de la frise chronologique exposée au musée d’Histoire naturelle de New Delhi.
Ça ne se rate sous aucun prétexte – jusqu’au 24 novembre, du jeudi au dimanche de 12.00 à 18.00h (infos: www.cna.lu) – et pour la cause, j’y consacrerai mon tout prochain post.
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