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L’heure H

  • Marie-Anne Lorgé
  • 28 août
  • 6 min de lecture

Un jour que la lumière coulait comme un coulis de mirabelles, j’ai pris la direction de ce que l’on appelle la Lorraine gaumaise, le temps d’une randonnée (automobile !) de Montmédy au cimetière Saint-Hilaire (Marville) en passant par Juvigny-sur-Loison. Je vous la raconte (ci-dessous) parce qu’elle est le gage d’une excursion mémorable dans l’œuvre des siècles, des hommes et du paysage.


Mais, préalablement, petit rétroviseur sur ce cabinet des merveilles intitulé Curiosa Deliciosa – je vous l’avais promis dans mon post précédent –, l’exposition d’une soixantaine d’objets classiques et déjantés parmi les milliers de pièces que possède François d’Ansembourg, élégant esthète, collectionneur-antiquaire aussi passionné qu’atypique. Pour le coup, nous sommes à Bastogne, et j’y vais de mon complément d’enthousiasme juste ci-après, sachant que l’expo expire ce 31 août !


Toutefois, une parenthèse en cachant souvent une autre, je me permets d’insister sur cet événement qu’est, à Luxembourg, l’Assemblée citoyenne poélitique, une rencontre qui clôt un vase projet, à savoir: L’arbre qui cache la forêt, développé et co-curaté par Justine Blau en collaboration avec Karine Paris, Magali Paulus et Sophie Zuang du CELL (Citizens for Ecological Learning & Living).


L’enjeu de cette assemblée-rencontre, qui a lieu ce vendredi 29 et ce samedi 30 août (oui oui, ça urge !) au jardin du Multilinguisme au Kirchberg, et qui va rassembler des citoyen·nes, chercheur·ses, urbanistes, artistes, forestiers, activistes, etc, vise à faire mieux connaître les arbres, ainsi qu’à réinventer notre lien au vivant, et de donner collectivement vie à des actions écologiques (jeu de rôle inclus).


Pour tout connaître du programme de cet événement (en français et anglais) totalement gratuit, avec restauration assurée par Chiche, et stands (méditation, herboristerie, sérigraphie…) surfez sur www.cell.lu – c’est gratuit mais réservation souhaitée. Notez, pour ce 29/08, journée axée sur l’arbre, une Disco arborescente ( !) dès 21.00h, et le 30/08, journée axée sur la forêt, clôture à 20.30h avec Arborescences par Luisa Bevilacqua, un moment autour du conte et du pouvoir du récit, suivi d’un temps d’échange informel avec le public.


Ah oui, avant de quitter Luxembourg, cochez Aerowaves Dance Festival, rendez-vous incontournable de cette rentrée pour les amateur·trices de danse contemporaine, organisé par le TROIS C-L associé à neimënster. Cette année, du 3 au 6 septembre, le Luxembourg est particulièrement bien représenté avec la présence au sein de la programmation du duo composé de Sarah Baltzinger et d’Isaiah Wilson (spectacle Megastructure le 04/09,19.00h, à neimënster), ainsi que William Cardoso (avec Baby, le 05/09 à la Banannefabrik), valeurs sûres de la danse contemporaine au Grand-Duché. Ce sera aussi l’occasion de voir le jeune danseur luxembourgeois Louis Steinmetz dans la pièce Born to the Sea de Fran Díaz (ce, déjà le 03/09, à 19.00h, à la Banannefabrik). Infos: neimenster.lu, danse.lu


Et je ne résiste pas au plaisir de vous signaler Collection 5 saisons, une proposition originale de la Cie Marie Z (Serge Wolfsperger) avec le soutien de la LUGA et de l’Uni sous la forme d’un Défilé de mode Re-Fashion perfusé par une mise en garde: tel que nous habillons, habillons la planète. Ça se passe le dimanche 7 septembre, à 14.00h, dans la vallée de la Pétrusse (près du mini-golf).

 

Bon, je file à Bastogne…


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Arrêt au Musée de la Grande Ardenne, intégré au Pôle Culture de Bastogne, qui accueille donc une accumulation de pièces issues de la prodigieuse collection de François d’Ansembourg, façonneur curieux et joueur d’un univers à la fois érudit et impertinent, où cohabitent le goût de la nature – par animaux taxidermisés interposés – , celui de l’artisanat et celui des matières naturelles –  avec quelques objets mêlant cristal de roche ou quartz fumé et argent, montés/assemblés par le collectionneur lui-même –,  un monde de l’inattendu et du rare (visuel ci-dessus: oeufs d’autruche), où le bizarre devient sublime, où chaque pièce, en tout cas, est arrachée au réel pour devenir matière à imaginaire.


En gros, un cabinet de curiosité(s) d’inspiration «Grand Tour», selon cette pratique du voyage d'éducation aristocratique qui émergea vers le milieu du XVIe siècle, s'affirma tout au long du XVIIe siècle, pour culminer au XVIIIe siècle.


En vrac, ça va d’une coupe de style néo-renaissance (avec grenouilles et singe musicien) à un granit de l’Himalaya, rond comme une théière, dont les strates de pyrite ont été sculptées par les vents, d’une console à tête de crocodile naturalisé ou de crapauds en terre cuite, voire de coléoptères géants déposés sur le velours rouge d’un miroir de Murano à des bustes de marbre noir de Mazy. Ça va de la préciosité d’un verre améthyste florentin à des tableaux saturés de 500 coquillages (1840), et d’une Scène de chasse en forêt en émaux de Limoges, un chef-d’oeuvre (XIXe) d’une technicité fabuleuse, à l’étrange sculpture de Pierre-Yves Renkin recréant en 2008, et en grand format, le légendaire Dodo – créature notamment présente dans les aventures d’Alice au pays des Merveilles , ce, à partir de plumes d’émeus et d’une dent d’hippopotame pour le bec.


Collectionneur-antiquaire depuis 60 ans, acquéreur au coup de cœur, François d’Ansembourg habite entre Bruxelles – où il a ouvert «Valançay», une galerie experte en sculptures animalières du XIXe-début XXe siècle, puis «Chamarande», spécialisée en bijoux anciens – et Assenois, village ardennais, d’où est originaire sa famille. Sachant toutefois que son père, Victor de Marchant et d’Ansembourg, est né… au château d’Ansembourg, sis dans la Vallée des sept châteaux, au cœur du Grand-Duché de Luxembourg. En fait, c’est par mariage que Victor est venu s’installer au château d’Assenois, alors propriété de son beau-père, Fernand van den Corput, gouverneur de la Province de Luxembourg.


Petit zoom généalogique pour clarifier. Fernand van den Corput, le gouverneur, épousa Adrienne du Toict – au demeurant fondatrice en 1934 de l’Académie luxembourgeoise – et de cette union sont nés 5 enfants, dont Christiane van den Corput, qui, en 1929, épousa donc… Victor d’Ansembourg... et c’est ainsi que François le collectionneur, l’un des 8 enfants de la fratrie, passa toute son enfance au château d’Assenois et qu’il est coutume de dire que «le château d’Assenois reste le château d’Ansembourg».


Pour clore le chapitre, je précise qu’Ariane de Rosmorduc, l’épouse de François d’Ansembourg, est une artiste visuelle adepte de Thumbleweeds (ces plantes sèches associées aux paysages de l'Ouest américain, qui roulent au gré du vent) et... petite-fille du sculpteur (belge) Raymond de Meester…


Quoiqu’il en soit, Curiosa Deliciosa est un voyage esthétique et poétique… qui ne se rate pas. Infos: www.museegrandeardenne.be


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Je reprends ma pérégrination à travers la Lorraine gaumaise, partant de la citadelle de Montmédy, d’abord château médiéval… devenu au XVIe siècle une forteresse à l’allure d’odyssée temporelle, un site qui a connu toutes les occupations et toutes les guerres, des Celtes jusqu’aux invasions allemandes de 1870, 1914 et 1940, en passant par Charles de Habsbourg (Charles Quint), les seigneurs d’Allamont (4 générations durant) et le siège français de 1657 où Vauban fut le seul survivant des huit ingénieurs dépêchés sur place par Louis XIV qui, ainsi, fait ainsi entrer pour la première fois de son histoire Montmédy dans le Royaume de France. Le tout sans compter la fuite manquée (de Paris) de Louis XVI les 20 et 21 juin 1791: lors de cet épisode, plus connu sous le nom de «fuite de/ à Varennes», Louis XVI, Marie-Antoinette et sa suite tentés de rejoindre le bastion royaliste de Montmédy, furent arrêtés en route à Varennes-en-Argonne, à une cinquantaine de kilomètres de leur destination…


A Montmédy, on musarde. Refuge des moines d’Orval, dont il ne reste qu’une façade en ruine. Eglise Saint-Martin (XVIIIe siècle), avec, hormis moult sculptures notables, un portrait du général Loison, celui-là qui pilla et bouta le feu à l’abbaye d’Orval en 1793, et qui n’en fut en rien puni… comme une sorte de juste sort jeté sur un lieu dont l’opulence, contraire à la règle d’austérité de Saint-Benoît – en témoignerait l’argent investi dans le seul atelier de peinture (bonjour Frère Abraham) –, faisait injure à la population miséreuse; il est précisé que Loison distribua son butin entre Metz, Sedan et Verdun...


Notez que Loison, c’est aussi le nom de la rivière qui traverse le village de Juvigny  (à 10kms de Montmédy), avec sa belle église Saint-Denis, construite en 1772, et… un mur de clôture crénelé, seul vestige d’un ancien couvent de moniales détruit lors de la Révolution.


Retour au cœur de la citadelle, avec, dans les casemates réhabilitées en ateliers d’artistes, une rencontre improbable, celle du peintre Christian Faux, dit Delfaux, un personnage égaré du temps, à la croisée du sage et de l’ermite, un fondu de Bernard Buffet et de Picasso qui n’en finit pas de rendre hommage à son terroir d’origine, Longwy, à coups de magnifiques toiles habitées de hauts-fourneaux et de ciels embrasés (jadis exposées chez Schortgen – cfr visuel ci-dessus).


Je quitte Montmédy pour Marville: ses façades de style Renaissance espagnole et, surtout, sur la colline Saint-Hilaire, son cimetière du même nom, absolument unique, au demeurant classé, un haut lieu de l’art funéraire de Lorraine, avec sa chapelle de style roman transformée en étonnant musée lapidaire – où les dalles tombales qui y reposent sont de véritables œuvres de sculpteurs des XVIe et XVIIe siècles , avec, entre autres monuments remarquables, un Christ aux liens du XVIe, une «Pietà» du XVe flanquée de 3 stèles représentant 11 des 12 apôtres et, fleuron du site, un… ossuaire, le seul encore conservé en Meuse, qui contiendrait 40.000 crânes (plus probablement, il s’agirait de 6.000 crânes et de 40.000 ossements) – à vérifier dans Tout doit disparaître, le roman de Laurent Maillard, paru en 2022 aux Editions Macha, qui a pour point de départ son histoire familiale, celle de son aïeul, Constant Motsch, gardien du cimetière Saint-Hilaire de Marville, qui a «"rangé" l'ossuaire en 1890».

 
 
 

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