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Marie-Anne Lorgé

L’art de (sur)vivre

La lumière est différente. Anémiée comme un jaune d’oeuf trop cuit, diluée dans les odeurs de septembre. Sous les fils où déjà les hirondelles accordent leurs plumes, ça sent la prune, les mûres, les glands aussi, ceux-là qui, dans les anciennes photos de rentrée, servaient de billes dans les cours de récré, déformant les poches de nos cardigans tout neufs, roulant sous les semelles de nos souliers briqués comme un sou tout aussi neuf.


Il paraît que «cardigan» et «soulier» font partie des mots de l’enfance qu’on ne dit plus jamais. Ils auraient un jour tourné le coin, pour disparaître dans les ombres. Au contraire de la boîte à tartines, désormais customisée dans les cantines de nos têtes blondes éduquées au bio.


En tout cas, la tartine dont parle le romancier et poète Antoine Wauters (dans son dernier opus Mahmoud ou la montée des eaux, chez Verdier) n’est pas celle qui tombe toujours du mauvais côté, au contraire, c’est celle d’un rite quotidien qui permet à Mahmoud, vieux sage syrien condamné par le barrage du lac el-Assad qui efface le paysage et son peuple, de tenir debout. «Du pain au concombre avec une pointe de sel/ et d’huile d’olive, qu’il dépose religieusement, sur les piles de pierres érigées plus tôt…».


Au final, chaque jour, il y a trois piles de tartines en équilibre sur trois piles de pierres, face au lac: c’est comme une résistance, certes minuscule et fragile, mais c’est quand même «un mince filet qui maintient la vie».


La pierre en question, le cairn des randonneurs, ou assemblage instable de cailloux déposé en montagne ou dans le désert, est aussi de celles qui, balisant, empêchent de s’égarer. C’est une coutume antédiluvienne, à l’origine funéraire, aujourd’hui béatifiée dans le manuel de survie de tous les arpenteurs en godasses (c’est sûr, là, le soulier piétinant n’est pas de mise).


«Quand on veut voyager, il faut aller à pied»: Jean-Jacques Rousseau signait l’injonction dans Emile ou De l'éducation. «Je n'ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes; je passe partout où un homme peut passer; je vois tout ce qu'un homme peut voir; et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir. Combien de plaisirs différents on rassemble par cette agréable manière de voyager! sans compter la santé qui s'affermit, l'humeur qui s'égaye…».


Depuis, le vert a pris de la couleur. Le plein des sens a emboîté toutes les foulées: marche gourmande, climatique, alternative, marche des philosophes, marche nordique, athlétique ou dilettante, et j’en passe.


Ce qui me conduit… à Aubange. Là, devant l’Hôtel de Ville, où, ce dimanche 12 septembre, à 12.00h, sera officiellement inaugurée «La Grande Marche», un projet fédérant à portée citoyenne, au confluent de quatre pays, inscrit dans le programme d’Esch2022, Capitale européenne de la culture.


Ce jour-là, les deux documentaristes Simon Brunel et Nicolas Pannetier se mettent en route, sac sur le dos, caméra sous le bras, à la rencontre d’un territoire transfrontalier. Deux à trois semaines durant, ils vont discuter avec les habitants, récolter leurs avis et leurs visions sur le vivre ensemble, les langues, l’altérité, l’écologie ou la solidarité. Ce projet aboutira à la production d’une exposition, d’une plate-forme web dynamique et d’un moyen métrage documentaire présentés, en juin 2022, sur l’ensemble du territoire de la Grande Région.



Sinon, s’il y a un bien un lieu où se sédimentent comme un humus tous nos rapports au vivant, c’est Esch-sur-Sûre, autour du splendide site du grand barrage où s’est ancré le festival «Water Walls», avec ses recyclo-collaborativo installations artistiques, dont Ensemencement, le projet migratoire de Justine Blau (voir photo ci-dessus), qui, précisément, de concert avec le metteur en scène Stéphane Ghislain Roussel, met en œuvre une agora singulière… afin de «repenser l’art de (sur)vivre ensemble» et de rêver à de nouvelles alliances.


Bien loin d'un rassemblement pour initié.e.s, et de la prise de tête, cette agora centrée sur les écosystèmes se conçoit d’abord comme un festif moment d’échanges ouverts, chapeautés par des cartes blanches confiées à des artistes (Suzan Noesen, Carole Melchior, Nora Wagner), des biologistes, des chercheur.e.s (dont Julie Sermon), des citoyen.ne.s… Ça va parler forêt, plantes sauvages, utopie zadiste, théâtre et même sorcellerie ou néo-paganisme.


Ça se passe ce dimanche 11 septembre, de 08.15 à 19.30h. Où? Au château d’Esch/Sûre (rue de Lultzhausen). C’est gratuit mais faut réserver: www.waterwalls.seibuehn.lu. Donc, on se dépêche!

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