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Marie-Anne Lorgé

Isabella

Dernière mise à jour : 20 août 2021



«Si on ouvrait la tête des gens, on trouverait des paysages»: la cinéaste Agnès Varda avait l’habitude de répéter cette phrase, elle qui collectionnait les plages, comme d’autres les cartes postales dans une boîte à chaussures.


Mais dans la tête d’Isabella, qui faisait de la photo comme s’il s’agissait d’allumer une étoile, c’était la forêt qui poussait, et c’était autre chose qu’une image.


J’ignore où elle avait appris à nommer les arbres, mais j’imagine qu’elle n’avait foi qu’en la nature.


Quand on parle d’elle, on dit «le sourire d’Isabella». Et c’était un sourire magique, imperméable aux vents.


Voilà, l’Isabella dont je vous parle, il y avait du bonheur à la fréquenter.


Il ne faut jamais manquer de raconter le bonheur. Même aux inconnus. Parce qu’il se peut qu’ils connaissent aussi une personne de cœur, et qu’alors, au-delà du prénom, l’air devienne immobile, soluble dans la douleur de la séparation, du départ définitif.


On a beau dire, beau faire, même fermer les yeux pour réveiller le souvenir.


Ce jour-là, il y avait du gris à perte de vue. Dehors, dedans. Ce jour-là, c’était hier, dans un cimetière forestier. Sous les arbres, les mots se disaient tout bas. C’est toujours comme ça si c’est d’amour. Sinon, c’est le silence, c’est toujours lui qui passe quand la bouche reste ouverte sur un long cri muet.


Au milieu d’une couronne de roses blanches, l’urne a croisé nos regards. Le temps s’est évanoui.


Et puis, parmi les arbres, a surgi le tronc élu, peut-être un hêtre, un fin fût, comme un raccord avec le ciel. Au pied, les cendres, dispersées en cercle. Isabella dort, autour d’elle, l’humus des années et des mondes.


Les arbres ont de la mémoire. Ils réparent les vivants. Isabella avait le même pouvoir sensible.


«On ne vit pas plus ou moins longtemps heureux. On l’est. Un point, c’est tout. Et la mort n’empêche rien – c’est un accident du bonheur en ce cas» (Albert Camus).

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