Frisson et irrévérence
- Marie-Anne Lorgé
- il y a 2 jours
- 12 min de lecture
Peu de livres changent une vie. Quand ils la changent c'est pour toujours. Cette citation de l’écrivain et poète français Christian Bobin (1951-2022) m’accompagne à chaque fois que j’entre dans une librairie, et explique que les étagères de ma bibliothèque perso croulent sous le poids des pages dont je lave les sables comme un orpailleur.
De livre en livre, Bobin a élaboré une conquête du quotidien uniquement portée sur le soin et le souci de l’autre. C’est aussi lui, qui, dans L'homme-joie, a écrit, Il faut que le noir s’accentue pour que la première étoile apparaisse.
En tout cas, voilà qu’au mi-temps de l’automne des prix littéraires surgit de façon posthume L’eau des miroirs, un récit poétique, sans doute le premier par lequel l’auteur prend sa voix, tendre et essentielle.
Pour en terminer avec ce chapitre des plumes, je vous signale que l’auteur du sublime Mahmoud ou la Montée des eaux (chez Verdier), aussi de Le plus court chemin, à savoir: Antoine Wauters… vient de décrocher le Prix Jean Giono pour Haute-folie (chez Gallimard), un roman qui confirme sa puissance narrative et dans lequel il explore l’impact d’un passé inaccessible à travers le personnage de Josef, qui a grandi avec des absences, des non-dits, des pièces manquantes qu’on ne lui a jamais révélées, et à travers ces lieux qui nous habitent plus qu’on ne les habite et qui s’accrochent à nos pas comme des ombres persistantes.

Sinon, ce que j’ai à vous raconter de la planète culture rend folle l’encre de mon encrier. Qui prend son départ avec Luxembourg Art Week (LAW). Plus personne n’ignore plus rien de cette foire d’art pas comme les autres dont les chapiteaux squattent le champ du Glacis (du 21 au 23 novembre), dont la réputation a été précédée par un «Art Walk», ou parcours de sculptures à travers la ville, et qui, entre les 77 stands galeristes – sachant que cette 11e édition monte en épingle un focus sur Montréal – se distingue par un programme de conversations et tables rondes (les «Art Talks»), dont celle du 23/11, à 13.30h, sur l’IA dans l’art contemporain (avec Elektron) et celle aussi, toujours le 23/11, à 16.30h, initiée par Lët’zArles, intitulée Les images à l’épreuve du regard: distance, mémoires, responsabilité, ce, en écho à Perdre le Nord, la confondante expo-enquête de Carine Krecké présentée aux Rencontres d’Arles 2025.
Pour sa nocturne, le 21/11, la LAW propose de prolonger l’expérience par la désormais immanquable soirée organisée au Casino Luxembourg - Forum d’art contemporain (de 21.00 à 02.00h), centrée sur Athletes of the Heart, une performance qui réunit des artistes pour qui la scène est un espace d’endurance et de dépense vitale, et dont le titre emprunte à Antonin Artaud, à son Theatre of Cruelty, actuellement déployé, magistralement scénographié, au premier étage dudit «Casino» – c’est du reste l’expo à ne pas manquer, pour sa puissance émotionnelle brute, à l’exemple du visuel ci-dessus, Une solitude vraiment terrible d’Angélique Aubrit & Ludovic Beillard (j’y viens plus bas).
Et LAW, c’est aussi des Rendez-vous, des projets spéciaux, dont Timeless Voices.

Curatée par Claire di Felice, l’expo Timeless Voices déployée dans le vaste beau lieu qu’est le MALT, est un florilège d’œuvres prêtées par des collectionneurs, précisément par le Cercle des collectionneurs du Mudam. L’idée induite par le titre est celle du dialogue tissé entre les langages, pratiques, médiums d’artistes d’époques et de générations différentes – accessoirement, c’est ainsi l’occasion de croiser en un seul espace Soulages, Dubuffet, Baselitz notamment.
Pour structurer, donner une lecture à l’accrochage de ce beau monde – 46 artistes au total, auxquels se greffent les vidéos Jimi de Su-Mei Tse, Venusia d’Aline Bouvy & John Gillis et We are here! de Yael Bartana, diffusées en boucle dans l’obscurité d’un espace à part –, la commissaire a imaginé 7 chapitres. Le premier, Mouvements et mutations, désigne les ruptures, les gestes de résistance et réinvention d’un Soulages justement, en résonance avec le geste pictural de Michel Majerus; au demeurant, ce chapitre s’achève avec deux artistes d’origine luxembourgeoise ayant émigré aux Etats-Unis, Peter Paul Mommer, expressionniste, et Edward Steichen, photographe humaniste.
Quant au chapitre Material, Form, Illusion, installé dans une salle carrelée jaune, évoquant les systèmes de division, de contrôle et de connexion de la modernité, il réunit Peter Halley, minimaliste et néo-géo, Feipel & Bechameil, Billi Thanner avec sa graduation en néons, et la sculpturale force organique de Tony Cragg.
Dans le 3e chapitre, Anatomies of Distortion (visuel ci-dessus), il est question de beauté et de grotesque – le portrait photographique de la fragile Camille de Jeff Cowen côtoie les traits exagérés de Joseph Kutter, et la sculpture d’Erwin Wurm, une silhouette absente, comme portée par un être invisible, toise Le ballet des grenouilles de Michel Medinger. Dans Bodies in Revolt, où le corps, jamais neutre, apparaît à la fois blessé et sacré, transgressé/transgressif, fragmenté et exubérant, intime et monumental, on rencontre Marina Abramovic, Sofie Muller avec sa sculpture Eve incarnant la vulnérabilité enfantine, une Nana de Niki de Saint Phalle et l’œuvre Black Jesus du contesté photographe américain Andres Serrano (aussi exposé à l’Arendt House, lire ci-après).
Suit Unsettled Banners, un chapitre consacré aux symboles et politiques du drapeau, et de l’argent, où cohabitent Jeff Sonhouse, avec son drapeau de libération afro habité d’allumettes noircies en guise de personnages, et Joël Rollinger qui, boutant publiquement le feu à des emblèmes nationaux, filme sa performance, ce, aux côtés de Filip Makiewicz et Carlos Aires, tous deux détracteurs du pouvoir-monnaie.
Reste un chapitre (Contested inheritances) qui interroge les héritages du colonialisme – repérez les délicates perforations de Victor Ehikhamenor, aussi le monumental assemblage tactile de Neo Matloga qui restitue le récit de la diaspora en une scène domestique par le dessin et le collage sur tissu – et qui se clôt avec Return from Congo, la composition en élytres de scarabées verts de Jan Fabre.
Enfin, à la faveur d’Echoes of the Earth, une œuvre de Barthélémy Toguo donnant la parole à une plante, une allégorie de la résilience et de la souffrance, on entre dans le dernier chapitre dévolu à l’anthropocène, où l’iceberg grand format de Tina Gillen frôle une plume, celle d’une toile de Jean-Marie Biwer, d’une simplicité silencieuse, comme le murmure de la terre.
Pas de temps à perdre, on file au MALT - Innovative Factory, au 1 rue de la Tour Jacob (Clausen) jusqu’au 23/11.

Mon encrier slalome donc entre LAW et au moins 6 expos, catalysées par un effet boule de neige. Dans le désordre et selon des bonheurs divers ou variables, j’égrène (hormis la Biennale De Mains de Maîtres, cette exceptionnelle vitrine de l’excellence de l’artisanat d’art qui bat son plein jusqu’au 23 novembre, au 19 Liberté, de 10.00 à 18.30h, arrimée au thème Nature singulière), alors j’égrène, dis-je:
Andres Serrano (né à New York en 1950), photographe américain controversé – info ou intox? Actuellement accueilli chez Arendt & Medernach avec Power, Desire and the Sacred, une sélection de 16 grands formats couleurs puisée dans ses emblématiques séries traitant de la religion, du racisme et de la mort, dont Immersions, The Morgue, Objects of Desire, America et Holy Works, toutes précédées par leur réputation provocante, sinon sulfureuse.
Sauf que c’est un accrochage plutôt sage ou, disons, en rien scandaleux, déjà en ce qu’il célèbre l’intensité chromatique – inspirée du Caravage – et la méticulosité de la composition, sa beauté et sa spiritualité – à l’exemple de The Church, ce gros plan sur les mains d’une religieuse croisées sur le blanc virginal de sa chasuble d’où suinte une sensualité troublante, mais du charnel perfusée par le divin (visuel ci-dessus).
Du blanc également dans The Morgue, où du linceul émergent les yeux clos d’un enfant, une scène souvent entachée d’irrespect et pourtant sublime de dignité par la sérénité qu’elle exsude.
Serrano interroge la corporéité, entrelace profane et sacré. Un sacré redevable à Michel-Ange, fût-ce dans le traitement des mains, aussi dans les scènes de Pietà. En fait, le photographe cible le pouvoir du langage visuel et symbolique de la représentation religieuse, il questionne le fétichisme, réinterprète les icones utilisées à des fins mercenaires, ce qui vaut à Piss Christ, une crucifixion (plusieurs fois vandalisée) traversée de traînées de fluides, sang et urine – œuvre extraite de la série Immersions – d’être accusée de blasphème. Ce dont se défend l’artiste, profondément chrétien.
Sinon, dans l’expo, la série Objets of Désire décline l’obsession des Américains pour les armes, une violence raccord avec The Klan, esthétisée au travers d’une capuche pointue…
Expo uniquement accessible les samedis et dimanches, de 09.00 à 18.00h, jusqu’au 31 mars, à l’Arendt House, 41 a, Av. J.F. Kennedy, Kirchberg.

La 5e édition de YLA (Young Luxembourgish Artists), une expo collective qui, comme son nom l’indique, met en lumière des talents émergents: 9 au total, rejoint par un Focus sur Franky Hoscheid avec ses Fragments du quotidien, des instantanés captés à l’acrylique sur lin, et sur Xavier Berger qui, au milieu de vastes monochromes, plante les logos détournés d’emblématiques marques de montre, voiture, whisky…, histoire de faire un clin d’œil décalé au consumérisme et à la place du désir dans l’inconscient collectif.
Sinon, YLA vol.5 – accueilli dans le vaste espace d’expo de la BIL jusqu’au 23 janvier –, c’est 9 artistes émergents (sculptures, dessins, 3D) … au demeurant de qualité inégale; pour autant, mon coup de cour penche du côté de Liz Lambert, la lauréate de la bourse CNA X LUGA 2024, qui a troqué les sages moutons de sa Transhumanz (exposée au Pomhouse, Dudelange, de mai à septembre 2025) pour Cache-Cache, une polissonne série photographique. Coup de cœur aussi pour Lou Medeot et ses petits formats en noir et blanc épinglés comme des insectes, des impressions jet d’encre, de l’encre noire comme la nuit, avec, dans l’étrangeté du jour mourant, des lieux (maisons) troués par de faibles rais de lumière, ceux de l’attente, de la solitude.
Jhemp Bastin qui installe ses Histoires d’arbres, de philosophes noces du feu et du geste, à la galerie Simoncini – 6 rue Notre-Dame, Luxembourg – jusqu’au 21 décembre. En 37 sculptures récentes, Jhemp poursuit son exploration du chant intérieur du bois, ces hêtres et chênes dont une tronçonneuse orfèvre, sinon funambule, révèle les secrets, toujours selon un magique équilibre entre monumental et taille humaine, entre masse et lisière, entre curetage et éminçage, entre gravité et grillage, cette découpe en lamelles du coeur des grumes comme s’il s’agissait de favoriser un souffle, une confession, de tamiser une émotion.
Entre le sculpteur et le tronc, un corps-à-corps ou d’abord, et surtout, une écoute, une complicité… quasi métaphysique. Ce qui n’empêche pas le jeu géométrique, certes esthétique, mais dans un au-delà de l’élémentaire séduction formelle, et qui se vérifie dans le travail des fragments ligneux, tantôt segments effilés et calcinés, tantôt formes carrées ajourées (cfr The Failure of Geometry) où le vide (lumineux) et le plein (noirci) accouchent d’un trompe-l’œil, une illusion de prisme graphique, né d’un chêne aussi mathématicien que poète – un rendez-vous toujours attendu, du mercredi au samedi de 11.00 à 18.00h, tél.: 47.55.15, www.galeriesimoncini.lu
Et Lara Weiler, lauréate du Prix Werner 2024, qui dans Zeugs und Dinge explore la vie cachée des «héros du quotidien», à la galerie GoArt (Pavillon du Centenaire), à Esch-Alzette, sauf que, là, je vous laisse en compagnie du seul visuel (ci-dessus), du moins, temporairement, car le jour de ma tentative de visite, le lieu était fermé pour cause de sécurité (travaux de ravalement en façade). Sachez toutefois que l’expo reste accessible jusqu’au 20 décembre, du mardi au samedi de 14.00 à 18.00h.
Enfin, histoire de passer la frontière, en l’occurrence à Saint-Mard (Virton), il y a Françoise Pierson et son chant du feu, son harmonie céramique, ses volutes en grès cérame, autant d’aériennes ou graphiques variations de rubans en torsions, ondulations, enroulements qui habitent l’espace. Autour, Sébastien Job avec sa peinture chaotique née de balades, son geste pictural foisonnant qui capte l’énergie du monde, en formats macro ou micro. Ca se passe dans la petite galerie ARTémis – je vous en avais parlé en été lors d’une improbable expo de madones – et il y a lieu de se dépêcher parce que l’expo qui expire déjà le 23/11 (rue F-J Piessevaux, tljrs de 15.00 à 18.00h) est la toute dernière de la galerie, qui ainsi ferme définitivement ses portes.

A ce stade, aspirée par le morbide, comme le vol absurde du papillon de nuit, et dans le sillage d’un Serrano ou surtout d’Antonin Artaud (oui oui, j’y viens, juste ci-dessous), m’importe de braquer un phare enthousiaste sur Toute dernière fois !, un cabaret, genre auquel le Théâtre Ouvert Luxembourg (TOL) redonne toute sa noblesse, en l’occurrence ancré dans un thème peu prisé, le trépas. Mais paré de plumes et de velours, servi par le frisson délicieux et surtout l’irrévérence de textes, chansons et poèmes empruntés à Desproges, Devos, Verlaine, Baudelaire, Anne Roumanoff, Florence Foresti, Françoise Hardy, et j’en passe, dont le montage débloque un tourbillon d’émotions. Qui émeut, mord et fait gondoler à force de rire. Car après tout, qu’est-ce que la mort, sinon un prétexte exquis pour mieux savourer la vie? Et à savourer, les 5 comédien.ne.s se régalent, à cœur joie et avec talent – ovation pour la magistrale interprétation de The Cold genius song de Purcell par Steeve Brudey Nelson.
Toute dernière fois !, au TOL (143 route de Thionville, Luxembourg), quasi deux heures d’un carnaval de l’inattendu incarné par Félix Adams et Steeve Brudey Nelson (duo inénarrable), Aude-Laurence Biver, Véronique Fauconnet et Colette Kieffer, des comédien.ne.s inspiré.e.s, complices du génial pianiste Jean Hilger. Encore les 20, 21, 22, 26, 27, 28 et 29 novembre à 20.00h, aussi le 23/11 à 17.00h. Réserv.: www.tol.lu
Et pour un autre moment de grâce – d’une grâce autre –-, cochez Markus et moi, une ode à la vie qui continue et à la mémoire qui se transforme, une création du Collectif des Pièces Détachées (Verdun), ce, aux Rotondes (Bonnevoie) les 20, 21 et 22/11 à 19.00h. Le pitch? Même si son cœur a arrêté de battre, Markus n’a pas complètement disparu. Il reste encore des morceaux de lui dans la mémoire de celles et ceux qui l’ont aimé. D’anecdotes en souvenirs, Nina, Fredrik et Ingrid racontent leur histoire partagée. Infos & réserv.: www.rotondes.lu
Et voilà, terminus, lever de rideau sur le Theatre of Cruelty… et ça secoue!

L’expo, qui se répand dans tout le premier étage du Casino Luxembourg, est une proposition de la curatrice et historienne de l’art Agnes Gryczkowska, qui aborde Antonin Artaud, personnage historique, comme ancêtre de l’art de la performance et surtout, prophète des crises de la modernité. Eh quoi?
L’inventeur du concept de «théâtre de la cruauté» – une cruauté à entendre comme une «souffrance d’exister» –, c’est donc Antonin Artaud (1896-1948), un théoricien du théâtre, acteur, écrivain, essayiste, dessinateur et poète français, perclus de douleurs physiques et de déséquilibres mentaux, ce qui lui a valu des séjours en hôpitaux psychiatriques et qui a contribué à nourrir sa création.
Donc le théâtre, qui selon lui, doit retrouver sa dimension sacrée, métaphysique et porter l’acteur tout comme le spectateur jusqu'à la transe – à l’exemple d’Ed Atkins, artiste contemporain britannique depuis longtemps inspiré par Artaud, qui, dans Pianoworks 2 (vidéo, 2024), crée un avatar, double numérique, pour interpréter Klavierstück 2, la partition d’un temps décompressé fait de silences et de signes, due au compositeur suisse Jürg Frey, réputé pour ses paysages sonores épurés.
Tout au long de la vidéo, le spectateur est ainsi témoin de ce corps virtuel traversé par la douleur, une douleur abordée comme une condition existentielle et structurelle; on partage le rictus, l’oeil vitreux, l’imperceptible convulsion de l’artiste, chacun ressentant/éprouvant intensément que ce qui se trame n’est pas de l’ordre de la représentation mais de l’expérience.
Partant de là, on se dit que l’expo du Casino Luxembourg ne fait ni dans le joli ni dans l’anecdotique, et penche… du côté sombre. Et c’est le cas. Et c’est fort, d’une beauté terrible, ça touche aux nerfs, aux cris, à l’extase, aux sens et à la chair, toutes ces pulsations que la civilisation masque sous le voile du langage et de l’ordre (et qu’Artaud s’évertue à déchirer), le tout servi par une scénographie inédite – dont un spectaculaire labyrinthe habité par des belettes géantes qui s’amusent à torturer des humains en leur faisant miroiter un avenir meilleur l’installation, entre farce et tragédie, réalisée par Angélique Aubrit et Ludovic Beillard, commence par une distillerie de schnaps, un ersatz de juteuse production économique, une saillie capitaliste qui est en fait le miroir de l’absurdité des tentatives humaines de récréer du sens dans le vide, puis, de salle en salle, les marionnettes titubant, advient… le théâtre de l’effondrement.
Concrètement, au premier étage drapé de rideaux noirs, Agnes Gryczkowska convoque oeuvres et artistes qui font donc écho à la bataille métaphysique d’Antonin Artaud.
D’abord, deux grands formats en noir et blanc, maculés d’inscriptions réalisées à la craie, ce langage énigmatique de Pan Daijing encadrant des dessins historiques d’Artaud, rarement exposés – dont La Révolte des anges, L’Homme et sa douleur (visuel ci-dessus © Ville de Marseille, Dist. GrandPalaisRmn/ Claude Almodovar/ Michel Vialle) réalisés lors de son séjour à l’asile de Rodez (F) au milieu des années 40 – qui témoignent de son obsession pour le corps en tant que lieu mystique et… électrique, et des journaux intimes (en vitrine) oscillant entre écriture automatique et dissection viscérale.
Puis, dans le champ visuel, des bio-objets de Tadeuz Kantor font irruption, des dispositifs de quasi torture, absurdes, sinistres, cruels et grotesques, issus de deux pièces (Je ne reviendrai pas, 1988 et Classe morte, 1975) du peintre et metteur en scène polonais traumatisé par la guerre et l’exil.
Plus loin, encerclée par les peintures à l’huile tourmentées de Liza Lacroix (née en1988), voilà Restless de Tobias Bradfort (né en 993), une oeuvre qui tourne en rond, une sculpture cinétique composée d’une jambe de bois coupée et chaussée, fixée à une table, soit: un fragment de corps condamné à une répétition obsédante, donc, devenu absurde en ce qu’il perd sa fonction.
Se dressent ensuite les poupées de Michel Nedjar (né en1947) qui dégagent une singularité rituelle, effaçant la frontière entre l’art, la croyance et l’exorcisme. Et tout se termine avec une série de vidéos constituant précisément la documentation vidéographique de Tragedia Endogonidia (2002-2004), la pièce de théâtre emblématique de Romeo Castellucci pour qui la cruauté n’est pas un spectacle mais une confrontation avec la rigueur abyssale de la réalité, donc, vous voilà prévenus, avec, au programme – âmes sensibles s’abstenir – des images qui convulsent insupportables, des scènes où l’innocence se transforme en horreur fasciste, des machines, des animaux, des bruits, des fluides…
Du Theatre of Cruelty, on en ressort pas indemne, jusqu’au 8 février – au Casino Luxembourg, 41 rue Notre-Dame, www.casino-luxembourg.lu
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