A tous ceux qui adorent flâner dans les expositions (pas que muséales), à ceux qui, visitant une ville, ne ratent pas l’occasion de pousser la porte d’une galerie (avec ou sans collectionnite), à ceux que ça tenterait bien mais qui n’osent pas ou n’en prennent pas le temps, à tous les autres qui se disent que l’on a tout à gagner à être curieux de ce que l’art nous dit, voici un rendez-vous particulièrement séduisant.
Où, par exemple, croiser les sous-bois d’Eric Poitevin, sa façon aussi de portraiturer un roseau, où toiser les figures anthropomorphes d’Alain Séchas, dont ses célèbres chats, où encore se perdre dans les rébus grands formats de Jan Voss.
Ça se passe à Luxembourg, dans un même périmètre, celui du Marché-aux-Poissons, autour des galeries d’Alex Reding, et ça s’appelle Un été français: c’est plus joli, ou moins frontal, que «Paris s’expose», mais c’est toutefois de cela dont il s’agit, d’une invitation faite à trois galeries parisiennes de présenter, pendant leur saison morte, un choix d’œuvres d’artistes (surtout peintres et photographes) issus de la scène française.
Artistes dont certains sont bien connus du public luxembourgeois, grâce au Mudam – Marc Couturier y a réalisé in situ un mural où les dessins d’entrelacs à perte de vue sont réalisés à la pointe d’argent – , grâce aussi à la BGL BNP Paribas au Kirchberg – accrochage, dans son accueil, de deux œuvres monumentales (reliefs) de Jan Voss (né à Hambourg mais installé à Paris) – et surtout, grâce à la Luxembourg Art Week, où le Lorrain Eric Poitevin, déjà remarqué en 2002 par l’Agence d’art Stéphane Ackermann ainsi qu’au Mudam, en 2010, dans l’expo collective Le meilleur des mondes, a pu (photographiquement) nous initier à l’essence sensible du végétal.
Et justement, c’est à la désormais incontournable Luxembourg Art Week, aux nombreux échanges que son concepteur Alex Reding a mis en place avec les galeries Lelong & Co, Bernard Jordan et Laurent Godin, toutes trois faisant «partie des enseignes les plus dynamiques de la scène parisienne», que l’on doit donc Un été français. Avec des œuvres réparties en trois lieux, tous alignés rue Wiltheim comme une seule façade, à savoir: la Nosbaum Reding gallery, l’espace Nosbaum Reding Projects et, enclavée entre les deux, la récente Fellner Contemporary.
La visite se fait donc d’une même foulée. Et franchement, c’est une belle surprise – je vais y venir.
Basé sur «un concept nouveau», celui de l’échange, cet Eté français est vu par l’Ambassade de France et l’Institut français (au Luxembourg) comme «un événement de construction» intervenant sur «un terreau de coopération déjà riche, à la fois pluriel et polymorphe, s’adressant à des publics aujourd’hui différents».
Le terreau qui prévaut est donc culturel. Du côté des galeristes, bien sûr ravis d’ainsi travailler (en août, dans un Paris désert, ils ferment), il est question «des liens forts tissés avec les collectionneurs qui habitent Luxembourg sans être forcément luxembourgeois». Et donc, belges?
En tout cas, dans la foulée de son 20e anniversaire, Nosbaum Reding gallery annonce précisément pour septembre l’ouverture à Bruxelles, rue de la Concorde, d’une nouvelle galerie, avec, en plat inaugural, une expo solo de Thomas Arnolds. On se plaît à imaginer que germe ainsi «Un automne belge» (ou un printemps)…
C’est parti pour la visite.
Qui commence en compagnie du très apprécié Jan Voss, dont c’est un peu le retour à Luxembourg puisqu’il a longtemps été représenté par la galerie Léa Gredt dans les années 1980-2000. Les oeuvres exposées, moyens et grands formats, toutes récentes, témoignent de l’étonnante vitalité de l’artiste né en 1936.
Héritier de la figuration narrative, Jan Voss parle de notre quotidienne réalité en racontant sa vie dans des compositions très graphiques à l’allure chaotique mais très structurée, et pour la cause intitulées Tumult. Tout un remue-ménage (de figures et signes) aussi grinçant que joyeux, en tout cas d’une étonnante fraîcheur: «ça ne se démode pas» (dixit galerie Lelong). Tumult comprend aussi des collages (papiers et tissus), dans le sillage de la série Origami initiée dans les années 80. Notez qu’une expo Jan Voss est prévue cet été dans l’Espace d’art contemporain André Malraux à Colmar.
Dans l’adjacente galerie Fellner, le photographe Eric Poitevin, né en 1961, s’inspire des paysages de sa région de Meuse pour concilier présence/absence, visible/invisible, au travers de ces lieux «porteurs de temps et d’expérience» que sont les sous-bois, tous arpentés «autour de chez lui, entre Verdun et Longuyon» (où il habite).
Dans sa récente série, l’artiste se détourne de la saturation (le plein) pour expérimenter l’épure (le vide) en tirant le portrait de fleurs, surtout des angéliques, et de graminées, surtout le roseau, sans protocole particulier: «ce n’est ni un herbier, ni une documentation, mais une relation tissée avec un être végétal que l’on croit connaître… et le temps s’étire». «On n’est pas du tout dans le spectaculaire» (dixit galerie Bernard Jordan), et le résultat est sublime: léger comme un soupir, vertigineux comme un abandon, méditatif comme un flottement, tellement fragile et pourtant immuable.
Enfin, dans l’espace Nosbaum Reding Projects, la galerie Laurent Godin propose une expo de groupe réunissant des talents plus ou moins jeunes: la céramiste Sylvie Auvray, la plasticienne Camila Oliveira Fairclough, «à la lisière du signe et du langage», Vincent Olinet qui «fabrique du merveilleux» en installant une nature morte dans une sorte d’aquarium, pastichant du même coup le sens de la lumière de la peinture hollandaise, et le photographe Philippe Durand, dont la pratique se fonde sur le mode de la déambulation, en l’occurrence de la grotte Chauvet, un univers clos, une somme de signes, une architecture naturelle exceptionnelle où le temps semble s’être arrêté.
A ce composite ensemble qualitatif se greffent deux renoms: Marc Coutier (né en 1946) – avec une feuille d’aucuba sublimée dans un caisson lumineux – et Alain Séchas (né en 195), avec ses «dessins augmentés par effet charnel et chromatique». Trois formats exposés, trois peintures qui font la fête, où chattes et chats – ces stéréotypes de personnages qui hantent les vernissages et autres cocktails – devisent en silence, dans des lieux réels, identifiables par des éléments d’architecture ou de décoration, des «espaces en tout cas artificiels où il y a le mot … «rat»» (anagramme de «art»).
On se salue, on cause, surtout, on s’épie. C’est à ce point triste que ça en devient joyeux, du moins selon la façon d’observer d’Alain Séchas, et selon sa façon parfaitement distanciée de capter/traduire toute la théâtralité du cocktail, avec son brouhaha.
Dans cette mise en scène l’art qui se regarde par son milieu, rien qui relève d’une critique ou de l’ironie: «ce n’est pas une peinture au second degré», dit l’artiste, «c’est immédiat». Ce qui n’empêche pas cette fresque mondaine de couver un ressort aussi comique que désabusé.
Photo: Alain Séchas, Cocktail, 2021, acrylique sur toile, 160 x 140 cm
Infos:
Un été français à Luxembourg, du 17 juin au 28 août, 2+4, rue Wiltheim à Luxembourg, tél.: 28.11.25-1, www.nosbaumreding.lu, du mercredi au samedi de 11.00 à 18.00h.
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