Est-ce que ça mord?
- Marie-Anne Lorgé
- 12 juin
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 juin
Que c’est beau un matin !
D’ailleurs, Gilles Vigneault, chanteur québécois – fils d’un marin pêcheur et d’une institutrice de campagne, deux horizons qui sans doute invitent à ne pas perdre un regard poétique sur le monde – , pour Gilles Vigneault, donc, le matin, c'est la plus belle image du monde... On devrait l'encadrer.
Le merle est d’accord, celui qui observe à la fois mon p’tit café noir et les fruits encore blancs du cerisier, prêts à passer au rouge.
Remarquez, les cerisiers sont des muses chroniques. J’ai déjà évoqué ceux qui entouraient l’estaminet de Conchy-Saint-Nicaise (dans l’Oise), là où, un beau matin de 1866, Jean Baptiste Clément, chansonnier montmartrois et communard, avait fait halte lors d’un voyage vers la Belgique, composant alors Le temps des cerises, chanson antérieure mais associée à la Commune de Paris (1871), avec son épisode final, la Semaine sanglante.
Le temps est toujours aux cerises, ce qui n’empêche pas le merle moqueur de me siffler une phrase de Colette, le monde m’est nouveau à mon réveil, chaque matin.
Alors, sur le coup de 6h, le petit monde d’ici a quelle allure?
D’abord, il sent le jardin, considéré par Marianne Majerus comme une œuvre d’art. Et justement, Marianne, née en 1956 à Clervaux, réputée comme l'une des meilleures photographes de jardins au monde – et dont l’expo In the Garden. The Art of the Ephemeral reste accessible à neimënster jusqu’au 23 juin –, installe aujourd’hui ses Portraits of Plants dans le parc de Merl (entrée côté avenue du X Septembre, Luxembourg). Dans les bourgeons comme dans les fleurs éclatantes, elle projette d’humaines caractéristiques ou émotions, ces essences avec lesquelles nous partageons un commun destin d’être vivants éphémères. Ce qui est clair, c’est que ces végétaux portraiturés par la lumière nous font entrevoir le paradis.
A défaut de paradis, la poésie est une fabuleuse source de lumière plurielle. A tester sans modération du 18 au 21 juin, sur la place Saint-Sulpice (Paris 6e), théâtre de la 42e édition du Marché de la poésie … qui, parce que le poète est aussi citoyen de l’urgence, met à l’honneur la poésie palestinienne – du reste, pour rencontrer les poètes luxembourgeois, c’est au stand 515 que ça se passe. Au programme: tables rondes, débats, lectures, remises de prix, concerts, spectacles, signatures...

Du coup, je surfe sur le mot «théâtre», histoire de rappeler qu’il y a lieu de se hâter pour réserver sa place à l’un ou l’autre des spectacles (voire à tous !) du Fundamental Monodrama Festival qui se déploie à la Banannefabrik (12 rue du Puits à Bonnevoie) du 13 au 22 juin.
Pour cette 15e édition, 14 spectacles de 10 pays, dont 9 créations: ça commence avec Tu connais Dior (en français) de/avec Valérie Bodson le 13/06, 20.00h, et ça se termine avec Faust de Goethe (en allemand) avec Max Pfnür le 22/06, 12.00h, et ça passe par Noces (du Burkina Fasso) le 14/06, 20.00h, par Requiem for a Clown (en français) d’Antoine Colla avec Rhiannon Morgan le 15/06 (oups, c'est complet!), par All Before Death is Life, performance du Belge Benjamin Verdonck le 17/06, 20.00h, par The Whore of Canaan (en anglais et arabe), performance de/avec Lana Nasser le 18/06, 20.00h, par du fado contemporain le 16/06 et par Je suis à prendre ou à laisser (République du Congo) le 21/06, 20.00h, e.a.
Le mieux, c’est de consulter la brochure sur www.fundamental.lu – reservation@fundamental.lu ou tél.: 621.237.859.
En tout cas, cochez Does it Bite? (Est-ce que ça mord?, visuel ci-dessus), performance (en anglais) venue de Grèce, avec Olga Pozeli, le 19/06, 19.30h, qui explore les droits des animaux et leur représentation dans l'art socialement conscient.
Partant des animaux, voilà qui me permet de vous parler (ci-dessous) de Hybrid Futures: du vivant transformé en réalité augmentée (et c’est peu de le dire !) selon une proposition d’Elektron, plateforme pour l’art, les technologies digitales, les sciences et les questions de société – ça se passe à Esch-sur-Alzette.
Dans la même gamme, mais à Metz, j’en profite pour vous signaler Constellations, autre festival des arts numériques, dont la 9e édition se déroule de jour comme de nuit du 19 juin au 30 août, et où le collectif luxembourgeois Eddi van Tsui présente Island 2.0, une création qui explore la transformation numérique de l’archipel des Tuvalu menacé par les eaux, ce, le 19/06, de 09.30 à 17.00h.
En bout de post, retour au calme, à Luxembourg, plus exactement à Koerich, et plus précisément à Wandhaff, où dans la vaste galerie-hall de Ceysson & Bénétière se trame un Soft Chaos. Pictural et sculptural – à suivre aussi ci-dessous.

Avec Elektron, le Centre Mercure d’Esch/Alzette devient un laboratoire de futurs possibles, où six artistes internationaux explorent la complexité des relations en constante évolution entre les organismes vivants et les machines, où, surtout, ils se risquent à imaginer… des avenirs. Des avenirs où humains, technologies et nature coexistent harmonieusement – à vrai dire, dans Hybrid Futures: Rhizomes, Meshworks and After-Ecologies, celui qui disparaît, c’est l’humain… Et l’harmonie imaginée transite par des scénarios qui défient la plus troublante, voire terrifiante, science-fiction. En même temps, se révèle ainsi sans appel l’intelligence des plantes et des mers, de quoi moucher notre arrogance, nos appétits destructeurs aussi...
Pour autant, c’est aussi une invitation à réfléchir sur la nature même de l’IA.
Et pour le dire vite, elles sont hypnotiques, et déroutantes, ces créations visionnaires d’artistes qui le sont tout autant, esquissant les contours d’écologies alternatives pour notre monde en transformation.
A l’attention des novices numériques (dont je fais partie), je coche Alluvials d’Alice Bucknell, un jeu vidéo expérimental qui réinvente les conventions du médium pour explorer le changement climatique à travers une perspective non-humaine. Le joueur est invité à incarner des entités rarement représentées dans les jeux traditionnels, soit: des éléments naturels comme des incendies de forêt, le fleuve de Los Angeles, un champ d’arbres de Josué, ou des créatures comme un papillon de nuit Yucca et une meute de loups errant dans une ville indéterminée totalement désertée (visuel ci-dessus).
Selon votre temps – et le prendre est un prérequis –, hasardez-vous dans Vaster than Empires du duo CROSSLUCID, une expérience immersive dans l’esprit-forêt. Les images générées évoluent, reflétant la communication, voire l’empathie, inter-espèces.
En version tactile, et en plein air, Waldwandel/ForestFlux est une installation de réalité augmentée de Tamiko Thiel, en collaboration avec l’artiste /p, une création innovante démontrant que l’art peut combler le fossé entre les connaissances scientifiques et la compréhension publique quant aux effets invisibles (à l’oeil humain) du réchauffement climatique, tout quidam étant ainsi amené (via son Smartphone) à observer le dépérissement progressif des arbres ou leur résilience par l’émergence de nouvelles communautés forestières. C’est tout à la fois édifiant, ludique et… très beau.
Jusqu’au 26 juillet – accessible jeudi, vendredi, samedi de 12.00 à 18.00h (ou sur rendez-vous: info@elektron.lu), et visite guidée gratuite chaque samedi à 15.00h.

A Wandhaff, dans le temple blanc de Ceysson & Bénétière, Soft Chaos – un titre qui pose d’emblée une tension féconde entre souplesse et fracas, intuition et désordre, douceur et force –, Soft Chaos, donc, réunit cinq artistes femmes aux langages variés mais qui ont en commun une approche physique du geste et une volonté de brouiller les genres et les matériaux, ce qui, dans un monde saturé d’images closes, ouvre une brèche plutôt salutaire au trouble, à l’indécis, à l’expansion des possibles.
En même temps, ce que révèle l’accrochage, c’est un goût pour l’abstraction et pour les démarches de Supports/surfaces, lequel goût fait raccord avec les préférences plastiques du galeriste.
Qui invite en l’occurrence Trudy Benson (née en 1985), Sadie Laska (née en 1974) et Lauren Luloff (née en 1980), trois Américaines, toutes peintres et déjà habituées aux cimaises de Wandhaff, issues de la mouvance made in USA des années 2010-2020 – la jeune génération revenant alors (justement) à l’abstraction et à la figuration brute. Trois artistes qui ont changé la réalité de l’art américain, qui sont non pas des wokistes mais des femmes déterminées et qui se recommandent du féminisme et de l’expressionnisme abstrait de Joan Mitchell (Chicago 1925 - Paris 1992), aussi de Shirley Jaffe (1923 – 2016), trois Américaines aujourd’hui à nouveau exposées à Wandhaff histoire de voir leur évolution.
Sadie Laska, c’est le geste puisé dans la culture punk ou l’imagerie populaire, c’est une projection dudit geste dans l’espace… qui revient dans le plan; Trudy Benson, c’est l’organisation d’un espace hybride, à la fois géométrique et rétro-techno, c’est une surface très affirmée mais instable. Quant à Lauren Luloff, elle peint sur différents types de soie, matière tendue sur le châssis inversé, qu’elle découpe et coud; en résulte des compositions diaphanes, sensorielles, inscrites dans une tradition qui lie le féminin au tissu, la peinture au vêtement – c’est tout bonnement sublime.
Trois Américaines, donc, rejointes par Vera Kox, plasticienne germano-luxembourgeoise (née en 1984) et Clédia Fourniau, peintre française (née en 1992).
Juste sortie des Beaux-Arts il y a 4 ans, encore dans l’expérimentation, Clédia Fourniau présente 12 tableaux (petits formats) réalisés expressément pour l’expo, où elle questionne le processus, où bouillonne quelque chose de l’ordre de la fébrilité, voire de chaotique, où elle confesse une boulimie des matériaux et de l’histoire de l'art, où, surtout, elle affirme ne pas vouloir être déjà enfermée, coincée dans un style – une artiste atypique, à suivre.
Enfin, Vera kox et son travail sculptural – notamment remarqué à la Konschthal Esch fin 2024, dans Sentient Soil – qui associe des éléments de céramique fabriqués à la main à des semi-produits industriels, lesquels se fondent dans des installations apparemment inertes mais incroyablement habitées, évoquant tantôt des hybrides fossilisés (visuel ci-dessus: Resting assured (shedding), 2020), tantôt des paysages fragilisés, en passe de disparaître, toujours inspirés de ses voyages – notamment au Spitzberg. Du rigide, Vera fait naître le souple (son illusion caoutchouteuse), le transitoire, l’étrange, le silence, comme si la matière conservait la mémoire d’une autre vie ou de temps autres.
A découvrir quelle que soit la météo, jusqu’au19 juillet, infos: www.ceyssonbenetiere.com, et contact (rdv): clemence@ceysson.com
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