Les grues cendrées calligraphient le ciel de mon village, la lumière frappe les feuilles comme des pièces d’or et déjà, dans le brouillard du matin, le givre fait de la dentelle. Je bois mon café. «Ne désespérerez jamais, faites infuser»: la citation trotte dans ma tête. Elle est signée Henri Michaux (1899-1984) – un médecin refoulé devenu matelot, un poète aussi dessinateur, explorateur de ses/nos «espaces du dedans». La journée promet d’être belle. En compagnie aussi de Michèle, de Claudine, de Nicoleta. Et de Serge (carte du tendre en bout de post).
Nicoleta Sandulescu – jeune artiste moldave basée au Portugal – dessine puis peint après s’être mise en scène dans sa maison, petite, vétuste, inconfortable, mais lieu surtout d’expérimentations intimes. Nicoleta pousse les murs, se recroqueville sous la table, prend appui sur la gazinière, le plafond, l’évier ou la chaise pour tester des postures improbables, autant de façons d'habiter la maison mais aussi d'habiter son corps. Postures alors photographiées pour être ensuite transposées à l’encre de Chine: les papiers (divers formats) composent une collection d’images décalées, où percole un solaire désir… de liberté.
Nicoleta Sandulescu expose Na casa do corpo (Dans la maison du corps) jusqu’au 14 janvier 2022 au Centre culturel portugais-Camões (Place Joseph Thorn) à Luxembourg. On ne traîne pas pour découvrir.
Liberté, c’est aussi le vent qui souffle du côté du TNL (Théâtre national du Luxembourg). Précisément charrié par Michaux et son texte Liberté d'action (1945), que met en scène Heiner Goebbels, créateur éminent, aussi compositeur de renommée mondiale, qui essaie de s’approcher du poète par un troisième moyen, en l’occurrence acoustique, collaborant ainsi, pour le spectacle, avec deux pianistes du prestigieux Ensemble Modern de Francfort.
Liberté d’action, création mondiale, ne se rate pas les 11, 12 et 13/11, à 20.00h, au TNL, d’autant que le spectacle est bilingue, mais conçu de façon à ce que les passages en français soient les mêmes qu’en allemand. Donc compréhensible pour tout le monde.
C’est l'acteur David Bennent, d’une présence exceptionnelle, qui «se faufile dans les univers de pensée déchaînés» du poète Michaux, pour qui «les mots sont au service de "l'incommunicable"» et dont les peintures «tentent d'exprimer l'indicible».
Jacques Bonnaffé, comédien tout aussi fabuleux, est également appelé au chevet des textes et poèmes de Michaux au TNL (194, route de Longwy, Luxembourg), lors de la soirée du 9 novembre, à 20.00h (oui, c’est demain !). Initiée par l’Institut français du Luxembourg – en préambule à la pièce d’Heiner Goebbels –, cette soirée intitulée L’Espace du dedans comprend la présentation de la biographie d’Henri Michaux par Jean Portante ainsi que l’inauguration d’une exposition, soutenue par la Banque Européenne d’Investissement.
Informations et réserv.: https://www.tnl.lu/l-espace-du-dedans
Et pour arpenter au mieux novembre, mois textuel, voici encore trois rendez-vous du genre.
Deux ont lieu le 9 novembre – eh oui, c’est donc déjà demain, et ça complique l’embarras de votre choix !
Alors, rendez-vous à 18.30h, au Cité Cité Auditorium (3, rue Genistre, Luxembourg). Lors de ce «Mardi littéraire», Michèle Frank, aussi peintre, lira des extraits de ses deux derniers opus, Blessures sans cicatrices (éd. Phi) et Couleurs de l‘intime (toujours chez Phi), «une œuvre autobiographique, certes, mais il ne s'agit pas pour l'auteure de raconter une enfance, douloureuse et déstabilisante comme beaucoup d'autres, mais de répondre à la question qui la taraude sans cesse, quand elle regarde ses peintures: Qu'est-ce qui peint en moi?».
Réservation obligatoire: tél.: 4796.2732 ou e-mail: bibliotheque@vdl.lu
Et rendez-vous dans la foulée (voire au pas de course), à 20.00h, à Esch/ Alzette, pour un «Word in Progress» (luxembourgeois-allemand) qui réunit Fabienne Elaine Hollwege, actrice & compositrice, Claudine Muno, musicienne- chanteuse-auteure, et Joël Seiller, maquilleur et chroniqueur: chacun «se produira» 10 minutes pour être ensuite soumis au feu (critique) des questions du public. Entrée libre. Mais réservation préalable: inscriptions@kulturfabrik.lu
Quant au troisième rendez-vous, il est fixé au 12 novembre. Le temps de respirer un peu… enfin, pas vraiment, pas pour les fondus d’arts visuels & plastiques, qui devront slalomer entre l’exposition Freigeister. Fragments d’une scène artistique au Luxembourg et au-delà au Mudam (dès le 11/11), Sticky Flames au Casino Display (1 rue de la Loge, Luxembourg), une exposition collective présentant les œuvres de cinq jeunes diplômé(e)s de trois écoles d’art de la Grande Région et de Bruxelles, abordant «des questions en relation avec le corps et l’affect en tant que concept philosophique, épistémologique, sociothéorique et esthétique, entre autres» (du 12 novembre au 5 décembre) et le coup d’envoi de la Luxembourg Art Week, foire d’art contemporain dont la 7e édition se tient du 12 au 14 novembre dans un nouveau lieu, un chapiteau installé Place du Glacis.
Je m’en voudrais par ailleurs de ne pas vous encourager à pousser votre curiosité du côté de Sixthfloor, qui désigne à la fois un collectif d’artistes et un lieu, à Koerich, où, pour l’heure, et jusqu’au 14 novembre, exposent Danielle Grosbusch (gravure), Luc Ewen (photographie), Johny Hettinger (sculpture verre) et Doru Nuta (sculpteur). Infos: www.sixthfloor.lu
Mais donc, concernant le troisième rendez-vous, c’est d’une rencontre dont il s’agit, avec l’attachant impertinent Serge Basso de March (photo ci-dessus). Auréolé du Prix du Mérite culturel de la Ville d’Esch-sur-Alzette, dont la remise officielle a lieu le 12 novembre, à 19.00h, à la Kulturfabrik, navire qu’il a dirigé/transformé/engagé depuis 2002 et qui, surtout, écrit depuis son premier stylo.
De nombreux recueils le rangent dans le tiroir poète, mais un poète qui s’habille en clown (il a été clown à 22 ans, «à l’arrache», donc, sans formation) pour mieux dire la fêlure, ce qui ne l’empêche pas de cosigner avec Enrico Lunghi des polars brouilleurs de piste et jongleurs de jeux de mots.
Allant et venant du sensible à l’absurde, et vice versa, on doit également à Serge des textes destinés au théâtre ainsi que de jubilatoires chroniques sur le temps qu’il fait et autres aphorismes; du reste, sa phrase culte, c’est: «Ni dieu ni maître, et quand est-ce qu’on mange?»
En bref, disons que le parcours de Serge, né à Verdun en 1960, fils d’immigrés italiens, élevé dans une fratrie de sept enfants, a l’allure d’un long fleuve intranquille, et que sa barque est celle d’un parfait autodidacte, qui a d’abord appris à traire les vaches.
Un horizon de campagne – qu’il ne peut désormais plus voir en peinture –, mais de livres aussi. «Je m’évadais comme ça, assis sur un banc de bois près du poêle à bois, autour, ça piaillait». «Imaginez une maison où il n’y avait pas l’eau chaude, où les chiottes étaient dehors – nous avons été pauvres mais pas misérables car on avait l’amour – et une mère qui lisait beaucoup. On écoutait la radio et l’électrophone de ma sœur, Adamo, Dalida, et on chantait. J’ai toujours aimé la chanson, et en 1976, avec "L’orage" de Brassens, ce fut le choc. Ça m’a donné envie d’écrire. C’est ça l’éduction populaire, le pont du rien au tout, qui te fait connaître Rimbaud et Aragon…»
Une enfance qui est une carte du tendre, sur laquelle Serge, devenu auteur, a mis des mots (dixit Les dimanches de farine, un bijou mis en scène au Théâtre du Centaure en 2009).
Mais il y a aussi du grave, une urgence à parler de l’âge et de la mort, surtout après avoir gagné sur le Covid, après avoir «regardé la camarde dans les yeux», comme il dit. La preuve avec Petite cosmogonie des poèmes avec jardin, recueil pour lequel il a décroché le 2e prix du Concours national en 2020, et avec aussi Triptyque d’un horizon aperçu (chez LansKine).
Sinon, en cas de catastrophe, ce que Serge emporterait nécessairement, c’est son stylo, son couteau Laguiole – un cadeau de son frère décédé –, quelques photos «pour ne pas oublier» et des livres.
Ce qui le met en colère? Un gros mot. L’injustice.
Réservation obligatoire: culture@villeesch.lu
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