Divers … d’hiver
- Marie-Anne Lorgé
- il y a 2 jours
- 7 min de lecture
J’ai laissé mon soulier au bord de la fenêtre. Et selon les matins, j’y dépose soit une guimauve soit une mandarine. J’ai décidé que ce serait un rituel à répéter jusqu’au 24 décembre. Comme pour me faire un petit refuge de douceur gourmande, une réserve d’images-souvenirs liées aux gestes de ma mère dans la cuisine, histoire de pouvoir passer le cap de la nuit de Noël, la première… sans elle.
Eh oui, quelque chose d’absent me tourmente… (cette phrase de Camille Claudel s’allume dans ma tête comme une bougie…).

C’est le bon moment de vous annoncer une traversée sensorielle… d’abord littéraire. A savoir: Récits d’outre-mer (visuel ci-dessus), une lecture spectacle de deux œuvres qui se répondent, Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et Amok ou le fou de Malaisie de Stefan Zweig, deux récits envoûtants à la première personne qui nous plongent dans les pulsions les plus enfouies de l’homme.
La mise en voix du texte de Conrad – interprété par Denis Jousselin – a été confiée à Fabio Godinho, et celle de Zweig incombe à Anne Brionne, avec Joël Delsaut et Pascale Noé Adam pour l’interprétation. Et ça se passe au Théâtre du Centaure («am Dierfgen», 4 Grand-Rue, Luxembourg), ces 12 et 13 décembre à 20.00h, ainsi que le 14/12 à 18.30h –www.theatrecentaure.luÂ
Et puisque j’en suis aux mises en voix, il existe un rendez-vous qui sanctifie l’exercice, c’est Textes Sans Frontières (TSF), festival dédié cette année aux écritures en exil. Les territoires concernés sont l’Ukraine, la Russie, l’Iran et la Syrie.
Plus que de simples lectures, les textes sont joués sous une forme scénique légère, ce, à travers divers lieux de spectacle de la Grande Région. L’enjeu est de faire vibrer ces fragments de vies, pour ensuite se retrouver ensemble, publics et artistes, autour d’un brunch, comme ce sera le cas le 21 décembre, à l’Ariston, Théâtre d’Esch-sur- Alzette. Concrètement, à 12.00h, lecture scénique de Le mur ou l'éternité d'un massacre de Hatem Hadawy (Syrie), brunch (en l’occurrence oriental, 10 euros) de 13.00 à 14.20h suivi d’un échange entre l’auteur et sa traductrice, puis à 14.30h, mise en espace de Vania est vivant de Natalia Lizorkina (Russie). Réserv.: collectifbombyx@yahoo.com
Sinon, une traversée intime, en mode sonnets. Avec la lecture de La panthère parfumée, le dernier opus de Jean Portante, inscrit dans la veine ouverte par Dante ayant parcouru l’Italie à la recherche de la langue illustre, donc de la poésie, dont la panthère est la métaphore, dont se répand l’odeur en tous lieux, mais qui nulle part ne se laisse voir. En fait, avec ce livre, Portante nous invite à une traversée intime de l’absence, du souvenir, de la fragilité du vivant. L’absence en question est celle de la mère, des traces invisibles qu’elle laisse et de la quête inlassable de mots capables de dire ce qui nous échappe.Â
La panthère parfumée en lecture, ça se passe au Cercle Cité/Citybiblio (2 rue Genistre, Luxembourg) le 16 décembre, à 18.30h – dans le cadre de la série des «Mardis littéraires» – , avec accompagnement par l’accordéoniste Maurizio Spiridigliozzi, cofondateur de l’ensemble La Boca. Réserv. obligatoire: bibliotheque-events@vdl.lu

Livre encore, mais un ouvrage d’art, celui consacré à Jhemp Bastin, à ses sculptures, à ses whispering trees – c’est le titre du recueil –, ces corps-à -corps complices lesquels, comme l’écrivait Paul Bertemes, sont des explorations presque philosophiques de la masse et de la gravité, situées à la lisière de l'équilibre. Elles se chargent d'une signification poétique, émotionnelle... Jhemp confesse l’intériorité de l’arbre, et c’est magique.
whispering trees, ouvrage monographique publié par les Editions Galerie Simoncini, retrace 15 ans des créations de Jhemp Bastin, au demeurant magnifiquement mises en valeur par le photographe Luc Ewen, et, bonheur double, fait écho à son actuelle expo à la galerie Simoncini (6, rue Notre-Dame, Luxembourg) où plusieurs des œuvres présentées dans l’opus sont visibles – jusqu’au 20 décembre –, dont la toute récente et sublime série des transparent blocks – des formes carrées ajourées où le vide (lumineux) et le plein (noirci) accouchent d’un trompe-l’œil, une illusion de prisme graphique, né d’un chêne aussi mathématicien que poète (visuel ci-dessus).
Et puisque je viens d’évoquer Paul Bertemes, créateur de mediArt, décédé en 2024, il me faut vous signaler – l’info tombe à l’instant – qu’un hommage en sa mémoire, à son engagement remarquable en faveur des artistes nationaux et régionaux, a lieu ce soir, 11 décembre, dès 19.00h, à la Reuter Bausch Art Gallery (14 rue Notre-Dame), sous la forme d’une expo de gravures et d’un échange autour d’un verre convivial.
Aussi, puisqu’ainsi je passe du livre à l’expo, je vous réserve ci-dessous une petite visite de la rétrospective dédiée à un peintre et dessinateur qui gagne à être redécouvert, Gérard Becker, qui nous a quittés il y a 20 ans.

Sinon, au rayon des arts vivants, et parce que la dernière création-performance d’Isabelle Bonillo nous rappelle que le théâtre est éminemment politique – ce qui n’empêche pas l’humour – , je rebondis (juste ci-après) sur Cyrano, Phèdre et les autres encore à l’affiche du TNL (Théâtre National du Luxembourg) ces 12 et 16 décembre à 19.30h, aussi en janvier (les 6 et 10/01 à 19.30h, le 7/01 à 10.00h).
Non sans parallèlement vous rancarder sur un événement danse, celui du TROIS C-L (au 12 rue du Puits à Bonnevoie) qui, pour clôturer les célébrations de son 30e anniversaire, organise ce samedi 13 décembre (à partir de 19.00h) une soirée permettant de découvrir de nouveaux visages, soit, la relève chorégraphique du Luxembourg. En clair, de jeunes artistes vont dévoiler des capsules de cinq minutes, témoignant d’une scène en pleine effervescence. Ce format bref encourage l’expérimentation, les regards singuliers et les formes hybrides, tout en offrant un cadre bienveillant. Un événement voulu comme un lieu de rencontre entre artistes, professionnel·les et public.
Avec des projets de Lev Babych, Carine Baccega, Melina Bountzika, Aifric Nì Chaoimh, Hélène Dorland, Royce Kakaou, Elisa Mergen, Ilenia Pietrantuono, Tyana Schartz, Gabriela Spasiano, Vita Stasolla. Infos & réserv.: tél. 40.45.69, www.danse.lu
Autre rancard, celui qui se trame au Croque Bedaine (139, avenue du bois, Limpertsberg), là où à  coups de chansons célèbres ou moins connues, Enrico Lunghi & Nikolay Terziev nous replongent dans l’univers puissant des textes et des mélodies hérités du Grand Jacques (Brel), ce, le 19 décembre, à 20.00h – entrée: 10 euros, réserv. tél.: + 352. 20.28.71.07ou info@lecroquebedaine.lu (possibilité de dîner sur place à partir de 19.00h).
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Et donc, voilà «la» Bonillo de retour au TNL avec une salve de monologues célèbres… que le public peine à resituer;  Isabelle s’en amuse, elle, qui a rêvé (en vain) de les incarner un jour sur scène et qui, dans ce spectacle, mis en scène par elle même, gestion de l’éclairage incluse, passe son temps – à coups de perruque, de cape rouge (drapée dans tous les sens) et de seau (devenu chapeau de fou), visuel ci-dessus © Philippe Pache –- à tenter de nous convaincre que débiter du monologue pendant 70 minutes est une mauvaise idée.
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Sauf, bien sûr, que l’idée est excellente, les monologues choisis donnant tous l’estocade au… pouvoir (des riches, des puissants, des hommes), tous entremêlés à des textes perso où Isabelle parle de sa vie de comédienne et de la majuscule du théâtre… qui devrait être obligatoire, au même titre que l’école, ce, en droite ligne d’un texte aussi satirique qu’incontournable de Karl Valentin qui, fort de statistiques absurdes, critique les conventions théâtrales, les obligations et la bureaucratie.
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C’est du reste avec ce texte que «la» Bonillo débarque sur le plateau, encombrée d’une valise-miroir sur roulettes, et que, partant de là , elle alterne jeux de mots, logique tordue et situations cocasses, tout en se battant avec les mots, ces célèbres monologues puisés à Racine, Molière, Corneille, Edmond Rostand, Shakespeare… que l’on se régale de réentendre.
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Cyrano, Phèdre et les autres, c’est 1 heure de création pure, d’une inventivité inouïe où le répertoire classique s’invite au quotidien, servi par une performance  aussi déjantée que tonique dont seule la comédienne Bonillo a la recette.
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Au final, moyennant un saut à Aubange, dans la salle La Harpaille (Domaine de Clémarais), on arrive à Gérard Becker, artiste luxembourgeois né en 1945, décédé en 2005, un créateur singulier, habité par une quête permanente du beau et du sublime, résolument figuratif, qualifiant lui-même sa peinture (au demeurant de facture classique) de «réalisme onirique» – pour cause notamment d’intrusion du fantastique, de farfadets dans les paysages (visuel ci-dessus) –, en tout cas, d’une technicité virtuose.
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En tout, une quarantaine d’oeuvres – des prêts privés et publics –, des tableaux et des dessins.
Parmi les tableaux, des paysages, capturés à Vianden ou dans le Grund par exemple, en même temps que ramenés de voyages au long cours, du Japon ou de Porto Rico, et puis des intérieurs, magnifiés par une lumière mystérieuse, quasi spirituelle, redevable de Vermeer, et par un sens particulier de la perspective, et aussi des portraits, dont ceux du couple Mayrisch, originellement portraituré par Théo Van Rysselberghe mais «copié», à la demande de Colpach, par Gérard Becker.
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Enfin, des dessins. Des esquisses et surtout des nus, remarquables dans le traitement (entre autres) de la peau, son velouté.
L’expo vaut le détour – accessible les jeudis, samedis et dimanches de 14.00 à 18.00h –, assortie d’un programme «à entendre, voir et écouter». Tablez ainsi sur le concert des The Straps, pionniers du bluegrass en Gaume, ce samedi 13/12, à 20.00h (12 euros).  Notez une nocturne ce vendredi 12/12 de 18.00 à 21.00h. Nocturne aussi le vendredi 19/12, suivie, à 21.00h, d’une visite guidée à la lampe de poche. Dévernissage en musique le dimanche 21/12, à 19.00h, avec récital de piano, œuvres de Chopin, par Nicolas Aubert (8 euros).
Infos: www.ccathus.be. Réserv. des activités (concerts et visites guidées), tél.: + 32 (0)63.38.95.73.