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  • Marie-Anne Lorgé

Descendre… du train-train

Prendre le large n’est pas une affaire de navigation, ou pas que !, c’est aussi, et d’abord, un besoin de voir autrement. Et l’art – en espace public qui plus est, disciple de surcroît du recyclage (d’aucuns préfèrent la formule d’économie circulaire) –, il le traduit comment, ce besoin?


Eléments de réponse avec le Gare Art Festival (GAF), à Luxembourg.


Avec aussi cet autre festival qu’est «Water Walls», à Esch-sur-Sûre, où les projets (peu ou prou) nomades, innervés par la performance, prennent (une autre) vie dans le collectif. J’en ai déjà parlé, ce qui ne m’empêche pas d’ouvrir une parenthèse pour vous rencarder sur un temps fort, à savoir: les deux représentations de Rosenkranz und Güldenstern auf Greta (d’après Tom Stoppard, Shakespaere, Beckett), une performance théâtrale (de 60 min.) interprétée en allemand par Timo Wagner et Franz Liebig, ce, sur le radeau Floating Pixel de Serge Ecker et Giacomo Piovan, amarré au Camping «Im Aal». Belle occasion de découvrir autrement cette installation artistique. Quand? Ce samedi 7 août à 20.00h – afin de jouer avec le coucher du soleil et la brume – ainsi que le dimanche 8/08, à 15.00h. Gratuit sur réservation en ligne: https://www.waterwalls.seibuehn.lu/


Donc, l’art prend l’air, et le public en profite pleinement, librement. En pleine nature ou en ville: c’est le cas du GAF.


Pour le coup, cap sur Luxembourg-Ville, sur la création en direct et à ciel ouvert, un symposium dévolu depuis 20 ans à tous les états de la sculpture, avec des ateliers éphémères, installés juste 7 jours durant, en l’occurrence sur la Place de la Gare, où 5 artistes, luxembourgeois et belges, explorent chacun leur manière le matériau recyclé, une économie de moyens qui rime parfois avec une réalité humaine augmentée.



Cet été, Gare Art Festival est une édition singulière, qui, certes, célèbre son 20e anniversaire – la sculptrice Florence Hoffmann en est l’infatigable cheville ouvrière – mais qui, surtout, libère une inventivité inattendue, où percole une incroyable qualité d’échanges, avec des publics acteurs de l’art en train de se faire, ce qui donne une dimension supplémentaire aux atouts connus de l’art en espace public. Mini guide.


L’art social, c’est la tasse de thé de Patricia Lippert, qui travaille en tandem avec Pascale Behrens, deux artivistes investies dans cela qui fait sens: la rencontre. Avec les éclopés de la vie qui gravitent autour de la gare – dont toxicomanes, sans-abris/papiers, réfugiés –, ignominieusement qualifiés de «déchets» de la société. «Comme il n’est pas possible de recycler l’humain, alors on recycle leurs histoires», dit Patricia.


Avec son attirail de clown qui agit comme une médiation, Patricia au nez rouge établit la confiance, le récit se livre et une photo saisit le temps de la conversation. Alors, la photo s’agrafe dans le stand, au côté de dizaines d’autres, formant une fresque plus joyeuse que misérabiliste, en tout cas pétrie par ce qui manque autrement: la dignité. Quant aux histoires, elles seront consignées dans des grands cahiers… renfermant dessins, portraits et autres «anciens travaux recyclés».


Dans un autre espace de leur stand, Patricia et Pascale composent ce qu’elles appellent «la scène de crime»: à coups de cartons et de papiers, découpés/assemblés, elles donnent une forme sculpturale aux histoires entendues/collectées, elles sculptent la vie… des autres.


Autre Luxembourgeois, Jacques Schmitz – qui habite Bonnevoie, du coup, «le quartier de la gare, c’est presque ma maison» –, commet Perpetum Mobile, un bricolage humanoïde circulaire réalisé à partir de rebuts divers, treillis, papiers, tuyaux, entonnoirs, comme autant de références à la pollution et à la surconsommation. Des rebuts reliés en un circuit comparable à un transit (intestinal), où coule d’ailleurs un fluide coloré bizarre.


La créature finale, bisexuée – avec deux demi-bouteilles en plastique pour les seins et un robinet pour le pénis (en acier chromé doré, s’il vous plaît) –, incarne à la fois le problème (l’humain producteur en même temps que victime de ses déchets) et la solution, la circulation des matières ou leur recyclage. Le tout monté en sauce avec humour.


De son côté, le sculpteur belge Jorg Van Daele, présent l’an passé au GAF avec une installation de pierres, met ici en boîte – dans un long coffret en bois rectangulaire – un alignement de bouteilles en plastique blanc (des bouteilles de lait vides) dont les bouchons, rouges et bleus, forment le mot Peace. Avec une variante sous forme de petits coffrets remplis de capsules de café usagées, l’oeuvre d’accès immédiat, se passe de longs commentaires.


Enfin, il y a François Huon (photo ci-dessus), un artiste belge «qui aime les gares» et «montrer l’art dans une gare» parce que «c’est… sortir du train-train». Pour lui, «ce que nous avons de plus étrange, vient de notre intimité la plus familière». Et donc, son idée, venant au GAF, c’est de peindre sur des déchets inertes du BTP (bâtiment et travaux publics) – en l’occurrence, Florence Hoffmann a déniché une entreprise locale du genre, d’où ramener des gros blocs: une ruine d’escalier et d’autres concrétions aux allures de météorites, le béton dardant encore ses barres d’acier.


Et donc, sur ces vestiges, Huon peint un alphabet graphique, dont les motifs, répétés au cordeau, font allusion à l’antiquité romaine – possible aussi d’y lire la civilisation aztèque. Et c’est ainsi, avec son art rupestre, dessinant sur une matière brute, sur des formes côtoyées au quotidien, à tel point familières qu’elles passent inaperçues, que Huon, artiste de la mue, réalise une curieuse échelle de temps, alliant le présent antérieur et une archéologie du futur.


Pour apprécier/participer au travail des artistes en direct, sur la Place de la Gare, il faut se dépêcher. L’expérience – car c’en est une – se termine le vendredi 6 août, à midi. Ensuite les œuvres seront transférées sous la verrière de la gare (de Luxembourg), pour y rester accessibles (gratuitement) du 7 août jusqu’au jeudi 23 septembre inclus.


Pour rappel, le GAF célèbre ses 20 ans de création via deux autres événements, toujours visibles jusqu’au 10 septembre: «Le parcours de sculptures» – à travers toute la ville, avec QR codes sur les socles des œuvres pour obtenir les explications idoines, programme de visites guidées – et l’exposition 6x7x20(+1), installée dans la Chambre des Salariés de Luxembourg.


6x7x20(+1) est l’occasion de découvrir les œuvres actuelles d’une sélection d’artistes luxembourgeois ayant participé au Gare Art Festival depuis 2003: Jhemp Bastin, Gérard Claude, Yvette Gastauer, Heather Carroll, Florence Hoffmann, Assy Jans, Anne Lindner, Maryse Linster, Christiane Modert, Nadine Zangarini et Nathalie Zlatnik. Il s’agit également de montrer les coulisses de la création au travers de photos d’archives d’une part, et des maquettes des sculptures éphémères des premières éditions d’autre part.

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