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Marie-Anne Lorgé

Des songes et du papier

Les mésanges ont repris leur chemin, vers le muret du jardin, là autour d’un trou large comme un poing formé par le gel des hivers passés.


Les fumées cheminent sur les toits, le travail dans les bureaux et usines, les tables de multiplication dans les écoles, les jours vers… le congé de carnaval.


Quant au chemin de l’artiste Philipe Guichart, il est de papier – comme le dit le galeriste Pierre François, donnez-lui du papier kraft et il le transformera en un monde. C’est pourquoi je vous guide ci-dessous dans l’expo à point nommée Chemins de papier… celui-là qui, bien autre chose qu’un support, est une langue.


En attendant, les températures ont plongé. Les bûches crépitent, je regarde le feu, entre jour qui bâille et première gorgée de café. Songe.

Celui qui aussi songe actuellement, c’est le théâtre. Qui revisite une shakespearienne nuit d’été, «chef-d’œuvre inclassable, où le merveilleux le dispute au comique, opposant la nuit – espace des fantasmes, et des rêves – au monde réel, rigide et conservateur». Remarquez, c’est la deuxième fois en huit jours que je nous raccorde à l’été (après la Fondation Sommer) et pourtant, l’hiver a son charme, du moins quand il ne passe pas son temps à larmoyer, évidemment notre monde ne lui donne pas tort. Il n’empêche, la lumière qui, subtilement, chaque jour, fait reculer la nuit, ça me parle.



Alors, voilà, le songe théâtral en question est pluriel. C’est une version conçue/mise en scène par Myriam Muller qui caracole dans une féerie – une forme déjà magistralement privilégiée par Myriam dans Liliom –, dans le théâtre de l’illusion, dans une célébration des pouvoirs de l’imagination. Du théâtre dans le théâtre. Egalement «un magnifique prétexte à la fête, à la communion entre la scène et la salle». Le pitch? De l’amour contrarié. «Deux couples d’amoureux, des fées, des elfes (…) et d’autres hommes à tête d’âne s’entrecroisent dans cette forêt étrange et magique, lieu de tous les possibles. Cette nuit permettra aux jeunes gens d’échapper aux rigueurs du diktat familial et de donner libre cours à leurs passions les plus débridées» (photo ci-dessus © Bohumil Kostohryz).


Songes d’une Nuit…, d’après Le Songe d’une nuit d’été de W. Shakespaere, ça se passe à Luxembourg, dans le Studio du Grand Théâtre, la première a lieu ce soir – et puis les 20, 24, 25, 26, 28 janvier à 20.00h, ainsi que les 22 et 29 janvier à 17.00h.


Dans la foulée, j’en profite pour vous inviter à rencontrer Isabelle Bonillo, une incroyable Madame Loyal en tutu noir, coiffée d’un mini haut-de-forme aussi bleu que sa veste, et d’encore voir sa bluffante mise en œuvre de Les Misérables de Victor Hugo, dans le Foyer du Théâtre National du Luxembourg, les 26 et 27 janvier, 20.00h.


Je dis «voir», mais, en fait, c’est davantage une véritable expérience à vivre. C’est qu’Isabelle travaille au corps la dimension interactive du spectacle, chaque spectateur/trice – nous autour d’elle et elle, accordéon en bandoulière, au milieu de nous – étant appelé.e à se prêter au jeu, incarnant à tour de rôle Javert, Gavroche, Marius, son grand-père et bien sûr Jean Valjean (alias M. Madeleine), Fantine, Cosette, les Thénardier, ce, autour d’un élémentaire amas de chaises faisant office à la fois de barricades et d’accessoires que seul le théâtre peut projeter dans un imaginaire. Aucun autre dispositif. Sauf une particulière complicité.


C’est clair, cette revisitation du monument d’Hugo est un hallucinant tour de force. Au niveau de la dramaturgie – raconter en grosse modo 1 heure Les Misérables, c’est un marathon étourdissant, qui replace l’époque, les faits, les personnages et les lieux, rues et quartiers dans Paris, comme si on y était, en faisant certes l’économie de certains détails, pour le coup narrés en aparté (Isabelle rompt alors l’action, le temps d’un bref «je vous explique»). Et tour de force au niveau de la réactivité (notamment physique) de la comédienne, qui ne perd rien d’un regard ou d’un geste du spectateur ainsi promu héros historico-littéraire pour saisir l’occasion d’une projection dans le présent. Un talent d’improvisation qui secoue le public par l’humour – et ça fait du bien, dans la densité du propos.


Donc, Bonillo réactive le roman d’Hugo, elle le donne à entendre comme jamais, le sort de l’oubliette où dorment les classiques, en fait une matière vivante – du coup, le théâtre aussi –-, et, ci et là, tente une caisse de résonance avec l’actualité («on nous demande d’être des misérables, alors voyons ce que ça donne…»), mais sans enfoncer le clou, sauf de ludique et participative façon (Isabelle le répète «c’est du théâtre!»… et on y croit!). Le jeune public en sort conquis, et pas que lui, c’est garanti.


Sinon, voici une autre création. Tout en papier. Et qui s’expose.


Et donc, que peut-on faire avec du papier? Mais de l’art! La preuve avec Philippe Guichart, un dentellier d’une patience infinie, un peintre aux ciseaux, tombé tôt dans le papier, matériau pauvre. Aussi fragile que l’artiste est discret. Un univers singulier et attachant, à l’image du lieu qui l’accueille, l’Espace Beau Site d’Arlon, toujours à l’affût de sentiers pas battus (et c’est pas faute de vous en parler régulièrement).



Pas d’origami, pas plus que de cerf-volant ou d’éventail avec l’artiste arlonais Philippe Guichart, mais une inédite et virtuose façon de découper le papier (imprimé ou d’emballage) en filaments longs aussi fins que des cheveux et surtout, de les tricoter/tresser en minuscules mailles et rouleaux (encollés), afin peut-être (à la manière d’un Kurt Schwitters) de faire entrer la réalité quotidienne, son rebut, dans l'art, afin, en tout cas, de créer des formes aériennes, géométriques ou organiques, murales ou sculpturales, autant de compositions aux ciseaux, souvent des superpositions, certaines peintes à la bombe, qui parfois revisitent l’abstraction (bonjour Mondrian), mais sans jactance, et qui, avant tout, décapsulent un imaginaire habitée par la poésie: le tressage capture la lumière en même temps qu’il la pulvérise, les ombres en profitent pour se déposer sur les murs, dessinant le double inversé du volume de papier. C’est magique.


Une épiphanie magnifiquement et sensiblement incarnée par Cubes, une suspension dans l’espace formée (comme son nom l’indique) par un cube vaporeux d’où font mine de s’échapper comme des papillons, des feuilles d’écriture invisible. Même ressort d’illusion dans Rubans (photo ci-dessus), un agencement mural de volumes souples, qu’un vent graphique démultiplierait.


Quant à Envol, c’est une installation à géométrie variable de volumes prompts à la métamorphose, agençables selon qu’ils évoquent des flotteurs de pêche ou des figures humaines. Du reste, le milieu marin est grosso modo convoqué, fût-ce par la technique proche du trémail.


Sinon, ce sont des masques et des totems, tous pointillés de microscopiques perles de verre coloré, qui balisent les Chemins de papier de Guichart.


En vrai, c’est bien de ça qu’il s’agit, de papier qui trace/construit tout le chemin créatif de Philippe Guichart … devenu l’étalagiste du Grand Bazar d’Arlon – c’est l’origine du stock papier qu’il a récupéré –, depuis sa formation en publicité à l’ESA Saint-Luc (Bruxelles) et tout au long de son imposant parcours à l’Académie des Beaux-Arts de la Ville d’Arlon, maîtrisant tour à tour le dessin, la gravure, le textile et la céramique: l’expo atteste de la contagion de ces vocabulaires et techniques, partant de premiers collages de papiers découpés («à la Matisse») jusqu’à l’intervention de porcelaine dans l’assemblage de certaines pièces, en passant bien sûr par un minutieux tricotage, aussi atypique que remarquable.


On découvre jusqu’au 5 février. A l’ Espace Beau Site – galerie mezzanine, dans le garage du même nom – , au 321 Avenue de Longwy, Arlon, du mardi au samedi de 10.00 à 18.00h, les dimanches 22, 29 janvier et 5 février de 15.00 à 18.00h – www.espacebeausite.be

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