Des arts et des manières
- Marie-Anne Lorgé
- 19 sept.
- 7 min de lecture
L’été range ses crayons; dans 3 jours, c’est l’automne, avec son goût du silence, sa palette qui vire au marron, à l’orange, au bordeaux et ses mailles ou autres tricots pour tenir au chaud les cueilleurs d’odeurs sauvages et tous ceux qui vont s’aventurer en terres culturelles et artistiques, d’autant que les propositions sont pléthoriques, à vous donner le tournis.
Du coup, pourquoi ne pas s’offrir une parenthèse, filer jusqu’à Bouillon, joyau d’Ardenne devenu (depuis juin) le théâtre d’une expérience unique de déconnexion culturelle. Ça s’appelle «Art Public», ça se termine ce 21/09 (oui, on ne tergiverse pas!) et c’est un parcours (plein air) déployé au cœur du centre historique de la ville, ponctué d’une quinzaine d’œuvres d’art contemporain subtilement intégrées dans le décor médiéval du légendaire Godefroy. Donc, rencontre inattendue entre création et patrimoine (je rebondis plus bas sur ce phare de saison), voyage aussi esthétique qu’introspectif.
Parmi les neuf artistes conviés, Anne-Marie Klenes, l’artiste qui parle à l’oreille du schiste, dont l’installation (visuel ci-dessous) est constituée de disques concentriques formés par accumulation de milliers d’ardoises posées sur champ – en l’occurrence, dans le jardin du Musée ducal –, selon une orientation dictée par la course du soleil, et qui s’intitule Encyclie, terme scientifique désignant les cercles qui se dessinent lorsqu’on fait des ronds dans l’eau, faisant poétiquement/spirituellement écho à la Semois qui coule en contrebas. Infos: Maison du Tourisme de Bouillon, Quai des Saulx, info@paysdebouillon.be

Sinon?
«L’effet Lazare» – du nom du personnage ressuscité d’entre les morts – vous connaissez? Eh bien, cet «effet» désigne le retour soudain d’espèces animales ou végétales que l’on croyait disparues. Une goutte dans l’océan de l’extinction des espèces mais une lueur d’espoir quand même.
Dans la foulée, je m’empresse donc de cocher le symposium transdisciplinaire Art & Science qui se tient au LUGA Lab, dans le Pfaffenthal (Luxembourg), le 1er octobre de 09.00h à 18.00h, organisé par l’artiste Justine Blau à l’occasion de la sortie de son livre Veil of Nature (K. Verlag, Berlin, 2014). Partant de questions abordées dans le livre, en lien à la possible résurrection d’une plante disparue de l’herbier de Charles Darwin, cet événement d’une journée – en collaboration avec le Musée national d’histoire naturelle du Luxembourg – réunit des intervenants (ingénieur, agronome, botaniste, biologiste, écologue, philosophe) afin de réfléchir aux enjeux de la conservation en période de crise.
Biodiversité, évolution, disparition, méthodes de préservation et manières d’être en relation avec le vivant sont au programme. Réserv.: http://tickets.luxembourg-ticket.lu/39647, infos: communication@mnhn.lu, infos@blaujustine.com
Sinon, quoi?
Eh bien, des expos qui se ramassent à la pelle comme les feuilles mortes.
Mais préalablement, raccord avec ce voyage immobile qu’est la lecture, ou au livre, agent secret d’humanité, je vous signale la rencontre, ce 22 septembre, à 19.00h, à neimënster, avec Kamel Daoud, écrivain et journaliste franco-algérien, prix Goncourt 2024 pour Houris, roman qui met en lumière les atrocités de la guerre civile algérienne, période de la «décennie noire», en discussion (en français) avec Pauline Carayon réalisatrice de Son Livre, podcast du Centre National du Livre à Paris – org.: Institut Pierre Werner, infos & réserv.: www.ipw.lu
Au demeurant, le 22/09, c’est aussi une date anniversaire, celle du Centre national de littérature à Mersch (sis Maison Servais), qui fête ses 30 ans…

Alors, expos…
Je vous cause de Inséparable de Martine Feipel & Jean Bechameil, une sculpture figurant un pied, métaphore de la présence et de l’empreinte de l’humanité dans ce monde, pied entrelacé et entremêlé de végétaux et d’insectes, une œuvre lauréate du Prix de la sculpture Schlassgoart 2025 pour mettre en perspective la place de l'homme sur cette planète et la relation qu'il entretient avec la nature.
Cette œuvre – en fonte d’aluminium (visuel ci-dessus), mais qui existe aussi en version céramique, en haut-relief – trône dans l’espace central de la galerie Go Art (pavillon du centenaire ArcelorMittal, Esch/Alzette), assortie d’une sélection d’une vingtaine de créations du duo d’artistes, principalement des Shelters (Abris, 2024-25), ces nichoirs colorés en céramique émaillée conçus pour oiseaux menacés, une réflexion sur le comment la modernité a mis en danger notre environnement et les différentes formes de vie, des bannières en coton (2019) citant des slogans de mai 68 – Ni Robot Ni Esclave, Révolution je t’aime – et Mechanics of the absent revolution (2017), une statue sans tête à l’allure de commandeur (Lénine?), pièce robotique en résine acrylique – extraite du projet Theatre of Disorder –, qui (d)énonce un modèle d’engagement politique.
Et ce n’est qu’un échantillon des recherches socio-historiques, esthétiques et technologiques, qu’une part infime du répertoire de matériaux, de formes et de savoir-faire de Martine & Jean, traduisant/pourfendant l’illusion et le paradoxe, surtout témoignant d’un regard nostalgique, critique, pas désabusé, parfois affectueux, sur notre modernité, sur la société – sa théâtralité, ses beautés aussi – et sur ceux qui la façonnent. Toujours en posant les termes d’une certaine poétique… ludique.
Ça ne se boude pas jusqu’au 11 octobre, du mardi au samedi, de 14.00 à 18.00h, infos: www.galerie-goart.lu

Aussi, il me faut vous causer de Moustache Gracias (délicieux et ironique détournement de «muchas gracias»), aussi de mute, deux expos accessibles à Dudelange, aux Centres d’art Nei Liicht et Dominique Lang.
La première, avec la photographe Jeannine Unsen, célèbre la sororité au travers d’une problématique à la fois taboue et sociétale, la ménopause – l’expo rameute avec force l’IA, le rose bonbon, des volutes d’aurore boréale, les voiles, les franges, un imaginaire raccord tant aux Mille et une Nuits qu’au folklore scandinave, le tout mouliné par l’ésotérisme.
La seconde, avec Darja Linder, aussi photographe que peintre, traduit l’impasse de la transmission suite à l’exil et à la perte des racines – sous ses ressorts pop, l’expo (visuel ci-dessus) peine à masquer une souffrance, un refoulé palpable, bouleversant.
Sur ces deux expos, accessibles jusqu’au 9 novembre, je m’attarderai dans mon prochain post…

Dans l’immédiat, gros plan sur l’Espace Beau Site, à Arlon, où, autres artistes femmes, Sonia Marx et Janine Descamps partagent une certaine intériorité et, de cause à effet, nous convient à Habiter le silence: c’est le titre de l’expo, et c’est une proposition vibratoire.
En fait, ce qui est en partage, c’est une dilution, des matières en l’occurrence, qui induit un phénomène d’apparition-disparition. Guidance.
Sonia Marx est illustratrice et son territoire, ce sont les portraits d’enfants, sortis tout droit d’un album de Norman Rockwell, soit, toute une galerie de dessins de petites filles, noeuds dans les cheveux, portraiturées en pied ou en plan (visage) rapproché, en tout cas, au stylo bille… dissous dans l’alcool, mélangé à du méthanol, avec effets floutés en bout de course.
Pour autant, pas de naïveté, ni de mièvrerie, rien qui colle à la candeur de l’enfance, au contraire, ce qui suinte, c’est une étrangeté quasi angoissante, liée aux regards, des regards déterminés d’enfants résolus (visuel ci-dessus), prêts à en découdre avec la vie, face au champ des chemins possibles. Possibles mais perturbés par une… mouche, et même tout un essaim, têtu et entêtant, sorte de métaphore du désenchantement, sinon d’une mise en garde.
Et puis, soudain, la fillette s’évanouit, ne reste qu’une silhouette fantôme comme pour signifier qu’elle a résolu son problème … Un effacement qui peut aussi se lire comme une projection du désarroi de l’artiste, d’un mal-être.
Par contre, apaisement avec Janine Descamps et ce qu’elle appelle ses «jus», résultat d’une dilution d’acrylique et de pigments (souvent faits main), des jus colorés qu’alors elle superpose jusqu’à l’obtention d’une vibration, d’une image au bord… de l’effacement: c’est comme le flou d’un souvenir, son tremblement, fondu dans un vert confus, une idée de paysage…
On se laisse surprendre jusqu’au 5 octobre, à l’Espace Beau Site, 321 Avenue de Longwy, Arlon, du mardi au vendredi de 10.00 à 12.00h et de 14.00 à 18.00h, le samedi de 10.00 à 12.00 et de 14.00 à 17.00h, ainsi que les dimanches 21, 28/09 et 05/10, chaque fois de 15.00 à 18.00h. Infos: www.espacebeausite.be
Parallèlement, Pierre François, le pilote de l’Espace Beau Site, donne rendez-vous ce samedi 20 septembre aux Urban Sketchers, ces dessinateurs amateurs et professionnels qui pratiquent le croquis urbain, capturant in situ et sur le vif un monument, le détail d’une façade, un quartier particulier (d’Arlon en l’occurrence) avec son atmosphère. Bien sûr, tout quidam, public, pourra se pencher par-dessus l’épaule des «croqueurs» installés toute la journée. En fait, Arlon se dessine, c’est un projet qui prendra la forme d’une expo dès le 11 avril 2026, donnant alors à voir l’ensemble des dessins sélectionnés invitant à découvrir la ville d’un point de vue artistique inédit. Contact: espacebeausite321@gmail.com /tél.: (+32) 478.52.43.58.
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Sinon, quoi encore? Le marronnier de saison, appelé Patrimoine.
Zoom donc sur les Journées du patrimoine, sources de belles découvertes mais tributaires d’un calendrier à géométrie variable selon le pays ou la région où elles se trament – vive l’Europe !
Ainsi, en Belgique, lesdites Journées tombent les 20 et 21/09 à Bruxelles, mais ont eu lieu les 13 et 14/09… en Wallonie – et pour l’occasion, l’inouïe Monique Voz, aussi prolifique que généreuse, à la fois théologienne, mathématicienne, orfèvre, créatrice d’objets qui tournent et gravitent, toujours en phase avec les étoiles, Monique Voz, dis-je, a proposé dans la chapelle Notre-Dame de l’abbaye cistercienne de Clairefontaine (Arlon) – construite au XIIIe siècle à la demande de la comtesse Ermesinde de Luxembourg (1186-1247) –, une conférence éclairée sur la moniale bénédictine allemande Hildegarde von Bingen (1098-1179) et sa théorie des tempéraments, liés aux 4 éléments, terre, air, eau, feu, chacun correspondant à un organe de notre corps et à une couleur, ainsi qu’à un mal (se faire de la bile et voir jaune par exemple) auquel certaines plantes peuvent remédier.
Dans les ruines de l’abbaye, accordez-vous un temps de méditation le long du jardin des plantes sauvages et médicinales, au demeurant remis en état par… Monique Voz, que l’on retrouve au château du Pont d’Oye (Habay-la-Neuve) où elle endosse le rôle de commissaire d’une expo intitulée Sumposion réunissant 8 artistes femmes, dont Yolande Greisch-Benats, Elise Claudot, Nathalie Maufroy, Monique Wolter, ce, le 28/09, de 13.00 à 18.00h (dans le cadre de la 88e Bénédiction de la forêt, infos: www.habay-tourisme.be)
Mais, donc, à Bruxelles, les Journées du patrimoine tombent les 20 et 21/09, plus ou moins dans le même créneau qu’au Luxembourg (Grand-Duché) où dix jours durant, du 19 au 28 septembre, à travers tout le pays, 35 projets gratuits invitent le public à explorer le patrimoine architectural sous toutes ses formes – des châteaux médiévaux aux friches industrielles. Du reste, parallèlement, se tient la toute première édition des Journées de l’Architecture Luxembourgeoise (ou JAL), un événement incontournable initié pour la cause par le LUCA (Luxembourg Center for Architecture), forcément dédié à la découverte de l’architecture sous toutes ses formes, et dont la thématique «Travailler avec l’existant & construire durable» met en avant des projets qui repensent le patrimoine bâti et interrogent nos modes de construction. Infos: https://www.journeesdelarchitecture.lu/
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