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Curiosités

  • Marie-Anne Lorgé
  • 23 août
  • 5 min de lecture

Cette semaine a mis sur ma route deux collectionneurs étonnants, diablement atypiques. L’un kidnappe les madones de tout acabit dans les brocantes et autres Puces depuis 1992 – et je vous cause de cette rencontre baroque ci-dessous. L’autre accumule les fruits de 60 ans de passion pour l’art et les antiquités en son château d’Assenois, et pas que, la preuve au Musée de la Grande Ardenne, à Bastogne – une visite très particulière à suivre dans mon prochain post.


Mais, déjà, en quelques mots, sachez que ledit Musée de la Grande Ardenne accueille une collection stupéfiante, un cabinet XXL de curiosités tout aussi XXL, pertinemment intitulé Curiosa Deliciosa. Le tout, soigneusement scénographié, témoigne d’un éclectisme raffiné, aussi passionné que passionnant, qui compose avec l’exotique et le familier, avec des animaux naturalisés, des trésors miniatures, des pièces monumentales, des matières naturelles, des matériaux de luxe, dont l’argent ou le quartz fumé, des préciosités inattendues et autres assemblages inédits, sinon étranges. Un fil tendu par l’élégance et la poésie. A vous donner le vertige.


A l’origine de cette incroyable et absolument captivante accumulation de merveilles, François d’Ansembourg, un personnage et un collectionneur hors du commun, qui fonctionne au coup de cœur. Voilà qui mérite le détour. Sans modération. Rendez-vous donc dans mon prochain post – et pour donner le ton, un visuel (ci-dessous), celui d’un buste de Neptune recouvert de cristaux de roche et d'ormeaux du Pacifique (vers 1970) d’Anthony Redmile. 


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Sinon…


Elle frémit déjà, la rentrée littéraire. Avec ses 484 romans, ces instruments qui peuvent enseigner des choses de la vie, sans didactisme, via le ressenti. Celui-là qui nous donne de l’humanité, cet antidote à l’habitude – au préjugé aussi, et tout autre discours – qui endort nos sens.


Tout à trac, je surfe sur un commentaire de Joachim Trier, le réalisateur de Valeur sentimentale, qui dit que nous essayons de tout résoudre par le langage social – et politique – mais que (fort heureusement) certains d’entre nous continuer à développer à travers l’art, le désir actif: les émotions sont des outils et si nous nous en déconnectons, nous devenons automatisés…


L’écrivain italo-suisse Joseph Incardona dit sensiblement la même chose dans Le monde est fatigué (épinglé en cette rentrée littéraire): Il y a tellement de bruit alors qu’il faudrait du silence (…), poser une compresse fraîche sur la folie du monde. Surtout, faire émerger des restes de beauté au milieu de l’effondrement.


En attendant, les mûres se bousculent dans ma campagne constellée de glands, de ceux qui, hier, nous servaient de billes dans la cour de récré…


Au rayon buissonnier, l’histoire du jour est donc celle de deux collectionneurs singuliers, chacun lié à une exposition tout aussi singulière. L’une, déjà mentionnée, Curiosa Deliciosa, est un voyage en terre inédite dans l’univers rare et fascinant de François d’Ansembourg et c’est peu de le dire !  et ça se passe (je le rappelle) à Bastogne, au Musée de la Grande Ardenne – belle idée d’escapade - jusqu’au 31 août. La seconde détrousse joyeusement le culte marial par customisation de Madones, ce, à Saint-Mard (Virton), dans une petite galerie baptisée ARTémis: pour son espièglerie, son impertinence, voire son irrévérence assumée, je m’y attarde d’autant que cette petite expo décalée expire déjà ce 24 août.


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Une expo qui s’inaugure un 15 août pour se dédier aux représentations de la Vierge Marie relèverait d’une lapalissade? Sauf que pour Karen Locke, la galeriste d’ARTémis, aussi artiste peintre, c’est l’occasion, par l’art, de défriser le regard quant au dogme et d’abord, quant à l’image de la femme… qu’elle piste principalement dans le répertoire des primitifs flamands – dont Jan van Eyck – , fondus de scènes religieuses.


La peinture à l’huile, c’est le territoire de Karen, conjuguée au collage, ce qui ne l’empêche pas de réaliser des expérimentations/variations digitales à partir de la Vierge allaitante censée représenter Agnès Sorel, la favorite de Charles VII, dans la sensuelle version, entre image de dévotion et vision érotique, de Jean Fouquet (né à Tours vers 1420, mort  entre 1478 et 1481) autour des circonstances de la mort Agnès Sorel, rompue aux bains de lait d’ânesse, jeune beauté vulnérable qui se relevait de couches, subsiste l’hypothèse d’un empoissonnement au mercure. Par ailleurs, on doit à Karen un grand format, cyniquement intitulé Mère de la miséricorde, qui, prenant appui sur la figure de Magda Goebbels empoisonnant ses 6 enfants le 1er mai 1945,  renvoie à l’innommable: l’infanticide.


Des oeuvres précisément visibles dans Madones… dont la particularité tient en fait dans une affolante accumulation de Vierges de toutes les matières et tailles, dont certaines soumises à la douce folie transformiste de 5 artistes, une proposition improbable née d’une rencontre tout aussi improbable… mais très belle. Eh quoi?


Il se fait qu’à Virton, Jean-Pol Mostade, bouquiniste sa bouquinerie solidaire, rue de la Momette, a l’allure d’un incroyable labyrinthe d’étagères , est aussi un auteur, racontant notamment comment les bains d’orties l’ont aidé à surmonter de graves brûlures. Episode traumatique, précisément à l’origine de sa collection de madones: c’est qu’au plus fort de ses douleurs, Mostade, sujet à des hallucinations, dit avoir vu la Vierge Marie, paumes tendues, répétant «Je n’ai que mes deux mains pour t’aider».


Au final, plus de 200 statuettes ou figurines accumulées depuis 1992, dont 140 confiées à l’association «Le souffle gaumais» asbl visant à apporter un appui aux proches et personnes atteintes de la mucoviscidose , parmi lesquelles Karen Locke a donc opéré un casting. L’enjeu? Customiser les madones finalistes. Cinq artistes s’y sont prêtés, qui plus est, dans un total anonymat.


Résultat? Un défilé facétieux, railleur, caustique, en tout cas irrésistible. Forcément muet mais, paradoxalement, terriblement loquace. On croise ainsi un modèle hippie, une allégorie de l’opulence du Vatican, une parabole du poids du pouvoir – cfr visuel ci-dessus: madone coiffée d’un trop lourde et trop ample couronne qui lui mange la tête, d’où pend un Christ, désarticulé comme une marionnette. Plus loin, une Vierge enceinte, le ventre rond devenu globe (Miss Terre) et la nuque grillagée comme une burqa (Miss Ogyne).


Sans oublier celle qui s’habille en style pop médiéval, une giclée d’éclats de couleurs primaires inspirée de Jean-Charles Castelbajac, le styliste qui a imaginé les vêtements liturgiques de Notre-Dame en 2024. Sans oublier non plus ce buste blanc, autour duquel gravitent de minuscules motifs en papier doré, un fin et poétique exercice d’origami baptisé… Passage de cigognes.


Madones à la galerie ARTémis, 27 rue F-J Piessevaux, à Saint-Mard, ça se termine ce 24 août (aujourd’hui et demain, de 15.00 à 18.00h), donc on se dépêche !

 
 
 

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