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  • Marie-Anne Lorgé

Contes des origines

Voici un rendez-vous d’été à ne pas rater. Arc-bouté sur l’intime communion née du visuel et de l’oralité, les yeux et la parole étant solubles dans une même urgence, celle de nous parler de notre lien à la terre et au vivant. C’est le fruit d’une rencontre. Entre une plasticienne, Justine Blau – qui propose une expo sous la forme d'une exploration-enquête menée aux Galápagos, sur les pas de Charles Darwin, où les indices semés sont sublimés par la photo, la vidéo, par l’illusion aussi – et une conteuse, Luisa Bevilacqua, sensible au pouvoir des histoires à faire défiler des images dans la tête de chacun. La magie opère à Dudelange, au Centre d’art Nei Liicht, juste trois soirs durant, les 28, 29 et 30 août. On se dépêche de réserver.



L’exposition en question, tendue comme un yo-yo entre la nature et ce qui l’imite, c’est VIDA INERTE (phusis kruptesthai philei), ouverte au printemps mais sacrifiée pour cause de Covid19. Je vous en avais parlé dans un article publié en mars dans le Tageblatt, article que je reproduis donc ci-dessous en raison de sa brûlante actualité: celle du vivant, de son extinction et de toutes les manipulations qui, paradoxalement, amplifient le problème.


Et si je remets le couvert, c’est parce qu’il vous est loisible de (re)découvrir cet étonnant parcours (de Justine Blau) les 28, 29 et 30 août, précisément à la faveur de trois nocturnes contées initiées par Luisa Bevilacqua, qui a puisé dans le vivier des contes ancestraux pour nous faire partager des histoires qui font écho aux thèmes abordés dans l’exposition.


En fait, c’est un article qui a initialement titillé la curiosité de la conteuse, un article que la plasticienne Justine Blau avait préalablement lu concernant certains scientifiques tentés de ramener à la vie le Sicyos villosa, une plante originaire des îles Galápagos, collectée par Charles Darwin lors de son voyage sur le Beagle (1831-1836) mais qui a depuis disparu. Et c’est partant de cette tentative de dé-extinction, sorte de mythologie moderne, que Luisa a compilé des histoires traitant «du lien que l’homme entretient avec le monde vivant, avec la mort, le progrès, ainsi que sur sa nature démiurge». Mirage au programme, l’oralité, par l’écoute suspendue, étant cela qui garantit… une suspension du temps.


Désormais, plongée en apnée dans l’exposition.

Laquelle, comme déjà dit, est bien tout autre chose qu’une exposition. Je l’avais donc écrit et je le répète, c’est un étonnant parcours nourri par une observation de terrain, en l’occurrence menée aux îles Galápagos, dont le propos télescope frontalement l’inanité et la vanité de notre société face au vivant. Pour fondamentale que soit la question, la proposition que déploie ainsi la plasticienne Justine Blau reste forcément/éminemment artistique, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle prouve que la poésie peut sauver le monde ou, à défaut, l’éclairer.


Pour sûr, il ne s’agit pas d’une exposition touristique. Les dix-neuf îles des Galápagos telles qu’arpentées par Justine Blau n’ont rien d’exotique, du moins si l’on en croit ses formats en noir et blanc alignés comme un road-movie nocturne où prévaut une vision de fin du monde.

Et il ne s’agit pas non plus d’une expo scientifique. Du moins, pas dans sa forme. Sauf à savoir que l’archipel volcanique de l‘océan Pacifique réputé pour ses écosystèmes – avec des centaines d’espèces de plantes recensées, aussi endémiques qu’uniques – est devenu un parc national aspirant les scientifiques du monde entier. Et pour cause, c’est là, en 1835, que Charles Darwin développa sa théorie sur l’évolution et la sélection naturelle.


En fait, si l’artiste a décidé de marcher sur les pas de Charles Darwin, son voyage a commencé à Cambridge, là où l’herbier du naturaliste anglais est conservé – Justine a photographié les étagères de stockage, toutes flanquées de la mention «Priority»: image paisible mais parfaitement saisissante, ces huit lettres notifiant que l’herbier est la première chose à sauver en cas de catastrophe.


De cet herbier, de cette collection de végétaux «en dormition» depuis des siècles – et qui est aussi un historique outil de transmission –, l’artiste a retenu une plante, le Sicyos villosa, une cucurbitacée jadis foisonnante aux Galápagos mais dont il ne reste plus aucune trace et dont les scientifiques s’évertuent à redonner vie en faisant jouer la génétique, une manipulation qui est clairement une tentative de dé-extinction. Sauf que dans le cas du Sicyos villosa, ça n’a pas marché. La plante reste morte.

Voilà comment, partant d’une semence, Justine Blau télescope des questionnements en cascade, liés à la fois à la fragilité du vivant et à la fuite en avant de notre société qui, ne supportant pas la finitude ou la disparition, s’abîme dans de fausses solutions économico-éthiques, tant il est vrai que tous nos légumes et fleurs sont aujourd’hui génétiquement modifiés – ce qui n’empêche pas une actuelle prise de conscience en faveur d’une nature qui n’est pas que matière.


Justine Blau appuie le propos grâce à trois visionneurs de diapositives permettant de découvrir la «Millenium Seedbank», cette banque de semences située dans les jardins botaniques de Kew, à l’ouest de Londres, constituant la ressource génétique d’espèces de plantes sauvages la plus grande et la plus diversifiée au monde – inscrite d’ailleurs sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Retour à Darwin. A son cher «mystère du mystère», comparable, par analogie, à l’histoire de l’œuf, «cet élément fragile à la forme parfaite dont on ne sait s’il précède ou non la poule»: en fait, cet œuf fait partie des digressions ou associations et autres modes opératoires dont Justine est friande, elle, dont «le va-et-vient permanent entre réalité et imagination reste fécond». C’est pourquoi ce qui accueille d’emblée le visiteur de l’expo, c’est une photographie grand format noir et blanc du Le prophète du jardin des plantes, ledit prophète – une statue sise à proximité du musée national d’Histoire naturelle à Paris – tenant précisément un œuf dans une main.


Ce qui accueille ensuite le visiteur, c’est un montage photographique tendu comme un poster géant, lequel officie tel un rideau de théâtre. L’image est celle d’une végétation luxuriante et colorée d’où émergent des mains et des fioles ou burettes d’expérimentations. Au visiteur de traverser alors l’image, de pénétrer dans le pseudo décor de restitution que Justine tire de son voyage sur les pas de Darwin. Nous sommes enfin aux Galápagos.


«L’enquête s’avère semée d’embûches». Saupoudrée parfois de surréalisme. Tout au long du parcours, la plasticienne Justine Blau transpose dans la photographie ce qui l’obsède, à savoir: les liens entre le réel et le factice. Toutes les polysémies y passent – nature, nature morte et indices de diverses natures –, les assemblages aussi, de fond et de forme. Puisque la manipulation prévaut, la photographie – on en soulignera la qualité picturale, avec noir profond et valeur mystique de la lumière – ne boude aucune illusion. Aucune échelle non plus. L’accent est mis sur les mains, humaines ou divines (dixit Michel-Ange), capables de faire naître le surnaturel, de l’anéantir aussi.

Du coup, de la main à la magie, le pas est franchi en une sublime vidéo où une fragile sphère translucide (une sorte de graine mutante, devenue boule de voyance) surgit comme par enchantement entre deux paumes pour finalement éclater comme une bulle de savon – pour ce dispositif, Justine a fait appel à de vrais gestes prestidigitateurs, ceux du magicien Philippe Beau. Dans la manipulation de nos sens, tout se confond et se répond, mystère et terre, corps et esprit, fugacité et immortalité, espace et temps.


Le spectacle est omniprésent, qui active d’autres dimensions. Où le drame de «l’extinction/ dé-extinction» se perpètre. On retrouve ainsi le Sicyos villosa dans une version automate, un mécanisme faisant osciller la feuille, du moins son artifice, sa découpe papier, comme une marionnette soumise à un vent imaginaire… susceptible de lui redonner vie.


Au milieu des faux-semblants, Justine Blau dépose aussi des objets naturalistes à haut potentiel narratif, dont des flacons de laboratoire en verre et des végétaux (protégés!) fanés. Il y a aussi des oiseaux, ceux que l’on appelle "les pinsons de Darwin", que l’artiste a filmés alors qu’ils picoraient son petit-déjeuner: un moment d’insolence soluble dans l’ironie de la vie, comme un contre-pied à vida inerte, nature morte en espagnol, le titre de l’expo, comme aussi à phusis kruptesthai philei, cet aphorisme du philosophe grec Héraclite qui signifie «la nature aime à se cacher» et que Justine Blau a mis en scène dans son fabuleux théâtre composite. A ne rater sous aucun prétexte.


Infos:

«Nocturnes: contes des origines» avec Luisa Bevilacqua, les 28, 29 et 30 août, chaque fois à 20.00h, au Centre d’art Nei Liicht, à Dudelange. En français, tout public. Entrée: 5 euros. Places limitées. Réservation: marlene.kreins@dudelange.lu

Et visite de l’exposition du 28 au 30/08, sur rendez-vous (marlene.kreins@dudelange.lu).

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