«Messages aux mondes inconnus… la belle affaire quand on a déjà tant de problèmes à communiquer avec les mondes connus. Quel pourrait-être le contenu? (…) Que valent ces mots venus d’ici où l’on balbutie à peine et si mal? Au moins faut-il commencer par les lancer.»
Ça, c’est un extrait de texte signé Paul Mathieu, l’un des 3 auteurs invités au chevet du projet Esch-Mars. De terres rouges en terres rouges qui aborde le sujet assez particulier de la colonisation de Mars et celui, plus complexe et plus essentiel, des utopies sociétales.
Au terme du projet, expo il y aura, en octobre, au Konschthal Esch. Attendue au tournant, cette expo, au contraire d’un produit fini à consommer, a surtout pour vocation d’éclairer tout un processus mené un an durant, en trois phases. A savoir: celle des recherches scientifiques (je vous en ai déjà parlé, ça secoue notre bocal de conjectures), celle des rencontres avec des citoyens du territoire d’Esch2022 – la récolte de leur parole a donné lieu, «à l’image des grands récits de voyage», à une traduction littéraire dont l’extrait ci-dessus est un exemple – et celle, troisième phase, qui convoque 7 artistes visuels & sonores pour digérer toute la matière glanée jusque là, en vue d’en proposer donc une restitution singulière lors de la fameuse expo d’octobre.
Cette dernière phase est en cours, les artistes – Justine Blau, Ezio d’Agostino, Raphaël Patout, Julie Schroell, Marc Siffert, Bénédicte Vallet, Désirée Wickler – se toisent, échangent, «brainstorment» en totale immersion, soit, lors de 2 résidences, de chaque fois 1 semaine. L’une vient de se terminer à la Kulturfabrik d’Esch. Ce qui est en ressort, qui est d’abord de l’ordre de l’expérience humaine, est top secret (je suis allée fouiner, je peux en attester).
Il n’empêche, nous sommes à Esch, et j’y reste pour tenter de communiquer avec l’ici, notre monde qui balbutie si mal. Avec l’art comme logopède. Egalement consulté en 4 autres lieux de Luxembourg-Ville, où il est question, en peinture, en bois et en métal, de cow-boy, de chaise, de roue de l’existence et même de corail (en l’occurrence numérisé/re-matérialisé et ainsi proliféré par l’artiste luxembourgeois Serge Ecker dans l’aire de passage(s) et de flux qu’est le Pôle d’échange Luxexpo).
La promenade promet d’être belle, on se chausse.
Incontournable est la puissante et bouleversante expo Idée de paix, au Musée national de la résistance et des Droits humains (à Esch, donc), dédiée à l’œuvre de l’expressionniste belge Frans Masereel (1889-1972), peintre, illustrateur, considéré comme le père du roman graphique et surtout «génial graveur humaniste», dixit le dessinateur de presse André Faber, absolument adepte «de cet artiste, tellement radical, presque violent dans son trait, brut, primaire, décisif».
Et André, qui croque l’humain dans ses failles vénielles ou crasses – qui aussi, accessoirement, se déplace en scooter pour mieux prendre la pluie (sauf que parfois ça tourne à l’aventure extraordinaire, il pleut tant que ça fait fuir les escargots et les grenouilles) – , vous pouvez les yeux fermés suivre son regard, perfusé par le dégoût pour l'injustice sous toutes ses formes et par le vœu d'une société égalitaire. Dans le sillage inconditionnel de Masereel (photo ci-dessus: ©Frans Masereel Stiftung Saarbrücke).
Auteur d’une oeuvre profuse, unanimement reconnu comme un maître et un rénovateur de la gravure sur bois – il raconte par la seule force narrative de l'image –, Frans Masereel «pacifiste convaincu et témoins des deux guerres mondiales, montre les conséquences de la guerre, la répression, la destruction et la mort». Et donc, «face au conflit en Ukraine – et bien d’autres – ses œuvres, qui sont un appel flamboyant pour la paix et pour le respect des droits humains, sont d’une actualité effrayante».
Jusqu’au 14 août 2022, l’expo Idée de paix, c’est une constellation de dessins, d’aquarelles, de publications, de films et d’animations graphiques. Le musée – Place de la Résistance, Esch-sur-Alzette – propose également une série de conférences, de manifestations et d’ateliers. On s’informe sur www.mnr.lu ou par tél.: 54.84.72. Surtout, on y va fissa.
Et on saisit l’occasion de faire un crochet par le Pavillon du centenaire ArcelorMittal – ou galerie Schlassgoart – où le Cercle artistique du Luxembourg défend un nouveau projet (inscrit dans le cadre d'Esch2022) intitulé Open Circle, créant des dialogues «entre jeune génération d'artistes et celle d’artistes renommés, de différents âges et de différentes origines». Ainsi trois jeunes artistes ont été invités à choisir un artiste membre du CAL, à savoir: Martine Pinnel en duo avec Sandra Lieners, Floriane Soltysiak avec Tom Flick et Alain Welter en collaboration avec Jean-Marie Biwer.
A la clé, des rencontres d'artistes (le 21/05, le 11/06 et le 18/06, chaque fois à 15.30h), une visite guidée (le 02/06, 18.30h, par Nathalie Becker) et un concert (de Baguette Crew) lors du finissage le 25 juin (dès 14.00h). Sur inscription par courrier à Nathalie Becker: cal.opencircle@vo.lu
Et pour arroser tout ça, une Red Ale, alias la «Kufa Béier» servie fraîche dans la cour-terrasse à la déco décalée, et 100% recyclée, de la Kulturfabrik qui fête la réouverture de son «Kufa Summer Bar» (photo ci-dessus): ce 21 mai, jetez un oeil sur l’expo du jeune artiste luxembourgeois Pasko au Ratelach avant de profiter de l’afterparty avec DJ Set by Bartlebeegees (après le concert de KLEIN dans la Grande Salle de la Kufa). La bonne nouvelle, c’est que c’est parti pour tout l’été.
La Kufa repend également sa formule de «Squatfabrik», ou programme de résidences artistiques de courte durée. La nouveauté, c’est que l'Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte soutient le projet et que les artistes logent au Bridderhaus (dont l'inauguration est prévue le 16 juin), à quelques pas de la Kufa. A partir du 6 juin, le premier duo d’artistes de la Squatfabrik 2022 est Marco Godinho (LU) et le collectif Dynamorphe (FR).
On arrive en ville (Luxembourg-Ville). Par le Kirchberg. Et un espace public, le parking.
Chape grise pour atmosphère glauque, voilà le climat informe de tout espace dévolu au stationnement automobile. Souterrain ou pas. En fait, le parking qui nous occupe, celui Pôle d’échange Luxexpo (quartier Kirchberg - Luxembourg), terminé en mai 2021, s’élève sur 5 étages, mais pour aérien qu’il soit ne l’empêche pas d’avoir l’allure d’une fosse sous-marine où la lumière pénètre peu. De quoi inspirer à Serge Ecker une conjuration, par l’incursion d’une couleur jaune doré, une variante du vermeil attribué au corail, organisme vivant, polype colonisateur de mer.
Alors, le corail de Serge, c’est une figure polygone numérique convertie en image 3D, puis traduite/transposée en une réelle forme sculpturale, en métal et de format géant, destinée, par décuplement, à coloniser l’illusoire lagune. Cette poésie artificielle, du coup faussement abstraite, s’accroche aux piliers comme une moule, ou squatte le lit de béton comme une méduse. Au final, Corals, c’est une intrusion d’étrangeté dans un espace qui, du coup, devient un lieu, sinon un habitat (photo ci-dessus). Et Corals n’est pas une expo, c’est une installation permanente, à demeure – et pour cause, elle est réalisée dans le cadre du «1 % artistique» des bâtiments publics.
On flâne jusqu’au centre.
Avec son fantastique emploi de couleurs rares d’où irradie une lumière inattendue, avec ses compositions tout aussi inattendues brossées en touches spontanées, l’artiste belge Simon Demeuter (né en 1991) donne vie à un monde d’une économie et d’une poétique inimitables. On n’est pas loin du coup de foudre.
A la galerie Reuter-Bausch, dans l’expo Love is Burning Thing – qui fait référence à une chanson de John Lee Hooker –, oui, ça brûle. Du moins, ce serait un incendie observé par une fenêtre qui aurait inspiré à Demeuter sa toile Window on fire, déclinée de 3 façons, selon des variations aussi chromatiques que gestuelles – un geste vif, qui fait gicler les flammes colorées comme une herse. A défaut du titre, peu probable d’identifier l’événement, et peu importe, l’enjeu est d’une autre dimension, de l’ordre de l’émotion dont l’artiste «tente de déterrer la trace de la manière la plus simple et la plus dépouillée qui soit».
En fait, la ligne reste précise, mais c’est la couleur qui simplifie la forme. Au point que l’œil se fourvoie. Il lui faut s’habituer aux vibrations avant de dissiper illusion, de faire un tri dans le présupposé abstrait et d’enfin découvrir… le héros de la série Cowboy. Un Stetson totalement rabattu sur le visage, au point de l’invisibiliser, un bandana flottant sur la masse colorée (jaune ou bleue) tenant lieu de torse ou dos, c’est selon, où les bras se confondent, où des palmiers/cactus schématiques évoquent le paysage des grands espaces du Far West américain ou de l'Outback australien, telle est l’imagerie que véhicule Simon, à la fois réelle et fantasmée, résultat conjugué d’une rencontre, d’un voyage, de souvenirs mâtinés de cinéma, de musique, voire d’art populaire.
Sauf qu’au final, l’artiste qui n’entend pas illustrer, livre, au-delà/ par-delà le motif, un état physique ou mental. Une sensation. Une humeur. Elle est de grande fraîcheur. Ce qui ne l’empêche pas de trahir le manque. Et la solitude.
Simon Demeuter partage les cimaises avec la Finlandaise Meri Toivanen, que passionne la transgression de la réalité et qui travaille les limites de la figuration à travers un processus de peinture «de décoloration et de diffusion». Son dada, l’univers clos des salles de jeux – une analogie au jeu de pouvoir –, avec, pour toile de fond, l’histoire du cinéma finlandais.
Donc, Love is Burning Thing, c’est une histoire de lumières et de zones d’ombre.
Infos: Reuter Bausch Art Gallery, 14 rue Notre-Dame, Luxembourg: Love is Burning Thing, Simon Demeuter & Meri Toivanen, peintures, jusqu’au 4 juin (du mardi au samedi de 11.00 à 18.00h) - www.reuterbausch.lu, tél.: 691.90.22.64.
Connaissez-vous le Domaine de Chaumont-sur-Loire? C’est un incontournable de la route des festivals qui, depuis 15 ans, accueille des créations en lien avec la nature. Katarzyna Kot-Bach, artiste luxembourgeoise d’origine polonaise, y présente ses Roues de l’existence (photo ci-dessus). Pour l’heure, et à défaut de pouvoir déambuler dans le jardin idéal de Chaumont ces jours-ci, vous pouvez croiser l’œuvre de Katarzyna chez Fellner contemporary, galerie de la rue Wiltheim insérée entre les deux espaces Nosbaum Reding – où, du reste, trois artistes allemands des années 90 s’exposent, qui «repoussent la peinture sur toile à sa limite», à l’exemple surtout du radical Thomas Arnolds, qui travaille la couleur pure comme un maçon et s’entiche de motifs architecturaux (chaise incluse, tout comme une jambe monumentale faisant (quasi) allusion à celle d’un antique colosse statuaire), ce, jusqu’au 25 juin.
Mais donc, c’est chez Fellner contemporary que Katarzyna Kot-Bach raconte son histoire d’amour pour le vivant, à travers ce magique réservoir d’énergie, de transformations et de migrations qu’est l’arbre. Forcément, le langage, c’est le bois.
Et c’est aussi la feuille, le végétal éphémère qui, tombant de l’arbre, retourne à la terre pour repousser en un cycle perpétuel. Et l’artiste d’agencer les feuilles par poignées, de façon à composer un éventail ou, plutôt, un disque, à l’allure aussi compacte qu’un polypore lignicole (champignon typique des troncs) ou aussi dense… qu’un rondin de bois.
Foncièrement circulaire, la pratique de Katarzyna retourne à l’arbre, tantôt debout, décharné, évidé, aux branches et rameaux entrelacés comme une dentelle – d’où la vie peut alors renaître sous forme de nid ou d’hôtel à insectes ou de refuge à rêver –-, tantôt découpé en rondes tranches que l’eau du temps aurait martelées.
Dans chaque geste, une émotion et chaque émotion comme une invitation à respirer la forêt autrement, celle des homme aussi.
Dans Circular cohabitent également les œuvres (acryliques) d’Irina Gabiani, artiste d’origine géorgienne, fascinée par la physique quantique ou, pour le moins, par l’interaction, dans la nuit sidérale, de corps célestes et autres boules de gaz (parfois aussi proches de l’amibe ou de l’éponge) gravitant autour d’une autre grosse masse ronde, plus lumineuse: l’œil de l’univers.
Au final, entre Katarzyna et Irina, Circular, c’est une histoire d’attraction et d’allers-retours entre les origines et un futur.
Ça vaut le détour jusqu’au 19 juin.
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