Chemin de soi
- Marie-Anne Lorgé
- 8 oct.
- 8 min de lecture
Octobre, semaine 1. Le potiron fait le conte. Eh oui, au risque de vous étonner, Cendrillon ne voyageait pas dans une citrouille, mais dans un potiron – et quoi qu’il en soit, ça finit en soupe…
Sinon, voilà, Guillaume et Stéphanie sont montés sur le trône… dans le vent, la pluie et la liesse populaire.
Hormis cet événement qualifié d’historique, accrochez-vous, j’en ai des belles choses à vous dire, musicale, théâtrale – avec Toi, moi, nous… et le reste on s’en fout aux Capucins – et pluriellement plastique, avec, dans le désordre, Les Lisières vivantes au LUCA, où l’on se préoccupe d’une juste et durable cohabitation entre les animaux et les humains (et c’est bigrement intéressant), puis mittwochmorgens à la galerie Simoncini – où, comme une bédé, se déploie l’univers aussi coloré que désenchanté, aussi stylisé que profondément humain de Luan Lamberty & Heike-Kati Barath – et Les formules heureuses de Dominique Dureau, avec son art opérateur biographique, à la galerie Nosbaum Reding. Et de tout ça, je vous en cause ci-dessous.
Alors, oui, je sais, de nombreux autres artistes en de nombreux autres lieux – Ugo Li à la Reuter Bausch Gallery, Arny Schmit & Valentin van der Meulen à la BIL, Samuel Olayombo chez Zidoun-Bossuyt, Patricia Lippert & Pascale Behrens à Schifflange (galerie Schëfflenger Konschthaus), Théo Kerg, période de l’Ecole de Paris 1948-1956 à la galerie 39 à Dudelange et Hubert Wurth à la Millegalerie à Beckerich – méritent le détour, et je ne désespère pas de les relayer prochainement…
Sachant aussi que ce 10/10, s’inaugure une triplette, La foret. Solitudes et solidarités au Cercle Cité, €at au Casino Luxembourg et Et leeft, une expo sur… les menstruations, au Lëtzebuerg City Museum. Le tout en ajoutant le Festival de la gravure qui se tiendra à Diekirch du 11 octobre au 2 novembre, et Storylines à Clervaux, parcours photographique plein air consacré au pouvoir des récits visuels ou comment les photographes parviennent-ils à raconter leur vie? (vernissage le 11/10, à 11.00h). Ouf !
Il ne manquerait plus que l’on se plaigne… !
Allez, je commence par le début.

Et mon début commence avec les guitaristes Ricardo Gama et João Correia, l’un à la guitare portugaise à cordes pincées, dite modèle de Coimbra, l’autre à la guitare classique, une basse à vous chavirer le coeur. Le premier est le prof du second et le duo s’accorde, avec autant de virtuosité que d’humour, le temps d’un hommage à Carlos Paredes (1925-2004), compositeur qui a contribué à faire connaître dans le monde entier le fado.
Un concert magique, un succès de foule, venue déjà conquise et tenue serrée dans le petit espace du Centre culturel portugais-Camões. En fait, ce concert qui a eu lieu le 2 octobre – je vous le dis pour vous suggérer de ne pas le rater là où sa tournée passe – était programmé en pré-ouverture du festival Atlântico, lequel festival met en lumière la diversité de la scène lusophone à la Philharmonie jusqu’au 11/10, cette ultime date offrant une soirée Cap-Vert, avec, notamment, Carmen Souza qui revisite les traditions créoles à travers une esthétique jazz. Infos: www.philharmonie.lu
En tout cas, actuellement, le Centre cultuel portugais- Camões – au 4 Place Joseph Thorn à Merl – accueille une petite expo qui a le charme du carnet de voyage, composé à 4 mains, Luís Ançã pour les dessins – en une aquarelle qui éclaire les lieux sans les décrire – et les textes de Luís Gaivão. Le duo est parti avec deux sacs à dos, pérégriner à travers certaines régions du Portugal, à Vagos (côté Atlantique), face à la mer bien bleue avec l’écume blanche des vagues, les dunes et le ciel parsemé de nuages blancs, à Lagoa (Algarve), une nouvelle histoire de mer (visuel ci-dessus), et à Lamego, au coeur de la vallée du Douro, qui regorge de tant de belles choses et de gens qui débordent de sympathie.
Ce périple randonneur d’un tandem d’amitié a donné naissance à des livres, qualifiés de Livres de jazz parce que tous perfusés tant par l’émotion que par l’improvisation, dans un abandon surprenant et insoupçonné au lieu et à l’humain. En fait, six livres ont été commis à ce jour, et ce sont les dessins de ces opus, des guides d’un voyage dans le temps et le silence de l’espace, qui précisément composent l’expo… laquelle s’arpente au rythme des dessins qui s’offrent deux par deux, comme les pages d’un livre ouvert.
Une création à hauteur d’homme(s), et c’est irrésistible, à découvrir jusqu’au 15 octobre (du lundi au vendredi de 09.30 à 13.00h et de 14.00 à 17.30h).

Autre création à haut potentiel humain, à savoir: Toi, moi, nous… et le reste, on s’en fout. Et cette fois, c’est du théâtre. Ou, plutôt, c’est un spectacle aussi musical que théâtral. Encore à l’affiche des Capucins les 8, 9, 28, 29 et 30 octobre, à 19.30h. Et ça ne se rate pas…
En toile de fond, un message, capital en ces temps haineux, un «appel à résister par l’amour». Nourri en amont par la découverte, dans une boite à chaussures, des lettres échangées par Gisèle et Henri, entretenant leur flamme de 1938 à 1945. Un échange épistolaire, miroir d’une histoire intime, une matière sensible reconstituée, souvent fictionnalisée, par Laurent Delvert, petit-fils des incroyables amoureux, auteur de la pièce, au demeurant coécrite par Nathalie Ronvaux, et metteur en scène.
Et justement, pour explorer l’histoire d’amour, celle d‘hier – familiale, donc, nostalgique, mais pas mièvre – et la projeter dans l’aujourd’hui, Delvert propose un dispositif scénique remarquable (visuel ci-dessus), servi par des découpes circulaires dans le plateau, par des projections – images live réelles (visages, bougies, doigts fouillant la boîte de lettres) et archives (avec lâchage de bombes …) –, et surtout, par une bande-son géniale, qui fait mouche là où les mots sont impuissants – composée par Thomas Gendronneau – interprétée en direct, avec brio (guitare, clavier, violon, batterie), par une équipe de 5 comédien.ne.s très complices, tous/toutes musicien.ne.s accompli.e.s – Delvert a le souvenir du violon de sa grand-mère Gisèle et l’on découvre une Eugénie Anselin virtuose dans l’exercice.
Dans le va-et-vient des temps, parfois les prénoms se mélangent, parfois les rappels/raccords d’événements tirent sur la code, sans éviter les lieux communs, mais Toi, moi, nous… et le reste, on s’en fout est une partition à fleur de peau et de cœur qui touche à l’universel.
Avec Eugénie Anselin, Jeanne Berger, Stéphane Daublain, Ariane Dumont-Lewi, Nicolas Kowalczyk.

Autre partition qui fait chavirer. Et qui est aussi le fruit d’un dialogue artistique, en l’occurrence entre Luan Lamberty, artiste luxembourgeois, et sa professeure Heike-Kati Barath à l’Université des Arts de Brême. Le résultat de ce travail collaboratif s’intitule mittwochmorgens, c’est à voir à la galerie Simoncini – au 6 rue Notre-Dame, Luxembourg –, et c’est de la peinture. Avec des personnages sans trait, souvent affublés d’une tête aussi schématique qu’un gros ballon, tous plantés dans un décor familier tendu par une grande économie formelle et figé dans un climat chromatique pastel-bonbon.
Composition d’une incontestable efficacité visuelle, apparemment désincarnée, ou, plutôt, naïvement lisse et en tout cas faussement joyeuse, où percole un récit né de l’observation des gestes et des postures des individus, un langage corporel qui traduit une sorte d’errance, un quotidien affligé, infiltré par des perturbations, personnelles et relationnelles (visuel ci-dessus).
Subtilement, le dessin mêle intériorité et représentation spatiale, le lieu et la vie, leur interaction.
L’univers de l’image entretient une relation mélancolique avec le monde, dit Thomas Huber, peintre suisse biberonné à l’école de Beuys sans en appliquer les leçons, et c’est vrai qu’il y a de ça dans mittwochmorgens, une façon de raconter, de saisir l’insaisissable, entre instants en mouvement et états intermédiaires.
C’est concret et, en même, temps ça flotte, en laissant une grande place à l’interprétation du spectateur. A l’exemple de 3 petites toiles – chaises, boîtes, cactus – disposées l’une au-dessus de l’autre, à la manière d’une charade ou d’un cadavre exquis, sans que Luan et Heike-Kati se soient concertés, une complicité qui dépasse… la représentation.
D’ailleurs, Luan et Heike-Kati ont enrichi leur processus créatif, passant du plan de la peinture à un monde en trois dimensions par une approche narrative cross-media, soit, par le film d’animation, où de nouvelles connexions se mettent en place et de nouveaux récits s’écrivent. Explication/démonstration le samedi 18 octobre, à 18.00h, avec projection. Discussion à possiblement prolonger le dimanche 19/10, à 11.00h, autour d’un café ou d’un thé.
Enfin, lors du finissage, le samedi 8 novembre, à 16.00h, présentation il y a du magazine mittwochmorgens créé spécialement pour cette expo, qui concilie belle rencontre et pratique artistique «en couches».
Infos tél.: 47.55.15 - www.galeriesimoncini.lu

Belle rencontre également rue Wiltheim, avec le plasticien Dominique Dureau – né à Marmande, sud-ouest de la France, vivant/travaillant à Luxembourg – qui propose Des formules heureuses à la galerie Nosbaum Reding, jusqu’au 15 novembre. Et ça donne quoi?
Un chapelet d’objets hybrides, avec, à chaque fois, un bloc en céramique, une analogie au carrelage, accolé à un morceau de bois, deux éléments d’architecture, deux références directes à la maison, thème cher à l’artiste, tout comme le paysage, peint d’après photo sur la céramique, en alternance avec des motifs empruntés au papier peint.
Selon Dureau, et c’est une vérité, nous sommes tous nés dans une maison, tous nés dans un paysage, et ça détermine notre regard. En clair, l’habitat est donc la matrice qui façonne le monde de Dureau.
Tout ce que l‘artiste nous donne ainsi à voir fait partie de son environnement, il ramène l’extérieur à lui, sachant que le vrai lieu n’est pas objectif, il est mémoire, traversé par des sensations. Et chaque œuvre d’aller et venir entre intérieur et extérieur, et vice versa. Un va-et-vient traversé par l’idée de promenade, laquelle ondule en autant de plis entre concret et ressenti, entre différentes temporalités aussi.
La céramique – habitée par un bleu usé à la fois par le passé et par les matières que peut charrier la mer (une allusion subtile au fait que Dureau a longtemps enseigné au Havre) –, la céramique vernissée s’offre en un bloc, parfois en plis, tout comme les morceaux de bois, en l’occurrence creux, suggérant au demeurant que l’on peut… y habiter.
Dans la salle aux allures de chapelle, Dureau expose une série d’œuvres de 2011, des huiles sur bois et pâte à papier, où des images de lieux – cabanes, immeubles, parkings, maisons, granges, pont et champ, arpentés dans le Sud-Ouest mais aussi à Luxembourg, grosso mode exemptés de personnage – sont associées à des textes, tous subjectifs. Une association parfaitement arbitraire, le seul lien entre les images et les textes, c’est lui, l’artiste, qui se raconte des histoires (visuel ci-dessus).
Dans les Formules heureuses de Dominique Dureau, une seule prévaut: Chacun porte une chambre en soi. La poésie fait le reste.
Infos: www.nosbaumreding.com
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Et que le LUCA me pardonne, ses Lisières vivantes doivent patienter jusqu’à demain, sous peine d’ingestion.
C’est du reste au Luca que Luxembourg Design Festival vient d’annoncer son programme international et pluridisciplinaire, fébrilement attendu du 12 au 16 novembre.
J’en profite pour sauter la frontière, histoire de vous signaler qu’à Montauban-Buzenol, sur le site du Centre d’art contemporain du Luxembourg belge (CACLB), dans le cadre de son expo Rêvière, une conférence annoncée joyeuse, assurée par Christophe Veys, directeur du Centre de la gravure et de l’image à La Louvière, s’attarde sur Les cabanes: de l’enfance à la protection, ce samedi 11/10, à 15.00h (réserv.: bureau@caclb.be ou tél.: +32.(0) 63.22.99.85).
En chemin, je me promets d’alors vous parler d’une nouvelle galerie, HA (HugAllan) à Virton, où Olivier Cazenove expose ses encres tourmentées et ses papiers abstraits.
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