La bonne nouvelle, c’est que le merle noir se porte bien. On n'entend que lui dans nos jardins, campagnes et pas que – il paraît que ça signifie que l’hiver expire, ce qui ne veut toutefois pas dire que tous les hivers soient finis, que les glaces soient brisées. En tout cas, nombreuses sont les références littéraires et culturelles qui font grand cas de son chant très mélodieux, avec des notes flûtées, appelé le «chant d'amour» ou le ramage. En quelque sorte, il est mon fil conducteur, mon inspirateur.
Raconter des histoires, celles qui ont des allures de sornettes, prêchant le faux pour faire advenir le contraire, et celles qui disent le monde comme il va, ne va pas, se transforme, pour le réenchanter ou, déjà, l’éclairer, tel est le travail, en sons et en images, fixes ou en mouvement, entre fiction et réalité, imaginaire et documentaire, cueilli pour vous cette semaine.
Tout commence au Casino Luxembourg. Par la voix – je l’ai susurrée dans mon précédent post. La voix est l’outil «d’élévation» de l’artiste française Judith Deschamps, tombée amoureuse du célèbre castrat italien Farinelli au point de concevoir une installation à la fois sonore et vidéographique qui, brassant mythes et projections personnelles, «ouvre la voie à un enchevêtrement de nouveaux récits». J’y reviens comme promis. Immersion ci-dessous.
Tout continue au Centre des arts pluriels d’Ettelbruck. Avec le photographe luxembourgeois Luc Ewen, dont la matière à interpréter le présent, c’est le conte, en l’occurrence Blanche-Neige, revisité afin de dresser un parallèle entre le personnage des frères Grimm, sa fuite, sa persécution et «les réfugié‧e‧s de notre temps, forcé‧e‧s de quitter leur pays d’origine, franchir des montagnes ou des océans pour échapper à la mort». Au final, cette contraction spatio-temporelle prend forme dans une installation multimédia et immersive – j’y fais escale tout bientôt.
Tant qu’à parler de multimédia, et plus largement de création numérique, tout transite par Multiplica, un festival qui ne se veut pas à la pointe de la technologie, mais qui cherche plutôt «à explorer des alternatives à l’idéologie du progrès technologique à tout prix». ça se passe aux Rotondes (Luxembourg-Bonnevoie), vendredi 24/02, de 17.00 à 21.00h, samedi 25 de 17.00 à 22.30h et dimanche 26 de 11.00 à 20.30h. La programmation enchaîne donc des événements (de la scène luxembourgeoise et internationale) aux formats variés: performances audiovisuelles, concerts, DJ sets, rencontres avec des artistes, workshops pour enfants et pour adultes, plus une exposition interactive et participative. Infos: https://www.rotondes.lu/fr/agenda/multiplica – Programme: https://multiplica.lu
Etre reporter, c’est observer la vie des autres; être correspondant, c’est accepter d’être des leurs. Patrick, Nicolas et Aurélie incarnent les deux réalités. C’est l’histoire de leurs Traversées.
Dans mon dernier post, j’ai évoqué cette très belle expo documentaire réalisée par IKONO, association des photographes Patrick Galbats, Nicolas Leblanc et de l’autrice Aurélie Darbouret (collectrice de témoignages sonores), qui se tient actuellement à la galerie Schlassgoart (Pavillon du centenaire/ArcelorMittal), à Esch/Alzette. Et la bonne nouvelle, c’est que l’expo est prolongée jusqu’au 26 février, et ce n’est que justice, et c’est d’ailleurs encore bien trop court (c’est typique de l’impératif logistique de certains lieux).
En tout cas, pour rappel, «l’expo propose d’expérimenter une traversée sensible et poétique des territoires industriels, naturels et humains du pays Haut Val d’Alzette et de l’ancien bassin d’Esch-sur-Alzette». Ce qu’il s’agit aussi de savoir, c’est qu’en amont, dans plusieurs établissements scolaires du territoire, les photographes ont initié une série d’ateliers photographiques à destination des jeunes de 12 à 17 ans, les invitant «à s’interroger sur leur environnement proche, et à porter un regard singulier sur des thématiques aussi diverses que la culture, l’habitat, l’architecture, la mémoire». Et dans la galerie, c’est à la présentation du travail de ces jeunes que Traversées porte une attention particulière.
En fait, Traversées, qui est à la fois une expo et une résidence artistique, est une étape d’un projet plus large intitulé On pourrait faire le tour du Monde, dont le but est de porter un regard sur la mémoire d’anciens territoires industriels, miniers et sidérurgiques (photo ci-dessus © Patrick Galbats).
Dans une trajectoire voisine, je tiens à signaler la publication Waïss Kaul, qui éclaire le projet éponyme de Franck Miltgen, en collaboration avec le musée national d’Histoire naturelle. Graphisme épuré, superbes photos et illustrations, bref, un bel objet (anglais/français) de 152 pages.
Waïss Kaul est un projet inédit, porté donc tout au long de 2022 par l’artiste Miltgen sur un vécu, un territoire qu’il a toujours connu (Rumelange), dont il observe l’impact de l’activité humaine, industrielle, sur la géologie et l’écosystème. Et comment lire, rendre sensible cet écosystème, fait de coquillages, témoins pétrifiés de mondes à la fois évanouis et mouvants. Et comment rendre perceptible l’écoulement du temps? Comment raconter ce qui est en même temps que ce qui n’est plus, si ce n’est par le prisme de l’art, celui-là qui ouvre à l’imaginaire, à la fiction, qui fabrique des images et leur donne corps ou matière, celui-là qui, en même temps, ou en retour, peut dématérialiser par la lumière, la projection ou autre technologie. Waïss Kaul, c’est tout ça, c’est le résultat d’un long processus, c’est la conviction du pouvoir sublime et terrible d’un art tout à la fois esthétique, architecte et générateur de formes de vie, représentant un réel ou un monde qui n’est plus humanocentrique.
Sinon, pour une autre traversée, encore photographique, mais en rien documentaire, rendez-vous dès ce samedi (25 février) au Centre d’art Dominique Lang, à Dudelange, Neckel Scholtus y raconte son périple en famille en bord de mer Noire, à bord d’une camionnette aménagée – je vous convie au voyage dans les prochains jours.
Premier étage du Casino Luxembourg-Forum d’art contemporain. Sur la pointe des pieds, on entre dans une salle noyée dans le gris perle. Au centre, un sculptural prisme rectangulaire, à arpenter. Une fois au bout, au sommet, des capteurs réagissant au mouvement, une voix s’élève. Cristalline. Sublime. A ce stade, on se trouve face à une petite niche, toute de lumière; en son centre, un sorte de relique, en tout cas, un objet énigmatique, blanc: la transposition en 3D d’un larynx, associé à un pavillon d’oreille.
Ainsi creusée en hauteur, dans le mur, la niche fait manifestement raccord (physique et métaphorique) avec la notion d’élévation. Avec son incarnation parfaite dans la figure du castrat, de Farinelli par excellence, dit «voix de l'ange».
Nous y voilà. Au point de départ des multiples et complexes recherches de Judith Deschamps, menées à l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) sur la vie, la douleur, la tessiture, le mystère façonnant la légende Farinelli (1702-1782), qui chanta pour le roi d’Espagne reclus, afin d‘apaiser sa mélancolie, ce, toutes les nuits, pendant plus de 20 ans, les quatre mêmes airs tous les soirs, deux extraits de l'Artaserse de Hasse, un minuetto que Farinelli variait toujours et un air peut-être de sa composition en imitation du chant du rossignol. De quoi inspirer l’artiste, concevant alors un film, une vidéo, un récit fictif mettant en scène non un roi, mais une reine, en l’occurrence sa grand-mère, désormais quasi grabataire, et 3 jeunes chanteurs, habillés en pages du XVIIIe siècle, missionnés pour adoucir, voire déjouer la finitude humaine par le chant.
Dans ce lent et émouvant film de 30 minutes – encore en évolution –, silences et doutes se croisent, liés à l’enfance, à la castration (Farinelli l'a subie à l'âge de 10 ans), à la voix. D’autant que l’enjeu ultime de l’installation n’est pas la reconstitution du chant de Farinelli mais une re-création au moyen de réseaux neuronaux profonds, donc, en recourant à l’intelligence artificielle, avec tout l’imaginaire ou le fantasme qu’elle soulève quant à son pouvoir face… à la finitude.
an.other voice, 2022 (photo ci-dessus © Courtesy de l’artiste), un objet plastique inclassable, d’une sensibilité rare. Lâchez prise jusqu’au 16 avril.
Infos: www.casino-luxembourg.lu
Le lieu me permet par ailleurs de rebondir sur la sortie de la publication Jours de lenteur, une autre manière, notamment textuelle, d’apprivoiser la cathédrale textile d’Adrien Vescovi.
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