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  • Marie-Anne Lorgé

Ces fous magnifiques

Ces fous magnifiques sont ceux-là «prêts à tout pour faire honneur au rituel du rideau rouge qui s’ouvre (…), être au rendez-vous du public, avec de vraies gens, fussent-ils masqués. Avec leurs yeux ébahis, (…) leurs mains qui applaudissent».


Parler de ces fous magnifiques, c’est parler du spectacle vivant. Lié comme un boulet à une injonction: se réinventer. Ou «comment faire du théâtre quand il n’y a plus de théâtre», mesure sanitaire oblige? La réponse passe par la technologie, la captation ou l’objet cinéma, opéré caméra à l’épaule pendant la représentation. Sauf que ce recours à la caméra n’a pas attendu la pandémie pour coloniser les scènes. En tout cas, ça «interroge l’expérience théâtrale, la place du (de la) comédien(ne), entre l'image et le plateau».


Parlons-en grâce à Rabudôru, poupée d’amour, une fable contemporaine écrite et mise en scène par Olivier Lopez (directeur de La Cité Théâtre à Caen), effectivement créée en plein confinement, en novembre 2020, proposée en deux versions, directe (en salle) et filmique (ciné live stream), et qui (pour ce qui est du fond) questionne la dimension affective que l’on porte aux objets qui nous entourent, à la capacité qu’ont ces objets à tromper notre solitude, mais pas que. Spectacle accueilli au Kinneksbond, Centre culturel Mamer, les 17 et 18 mars, à 20.00h.


Un spectacle qui, soutenu par l’Institut français du Luxembourg, intègre le programme célébrant jusqu’au 31 mars le Mois de la francophonie 2021 (ses 50 bougies ont été soufflées en 2020), où, entre lectures, ateliers scolaires, concerts, cycle de films, masterclass et table ronde, il y a lieu d’épingler trois autres rendez-vous théâtraux: Frontalier de Jean Portante, avec Jacques Bonnaffé – en création mondiale au TNL (Théâtre National du Luxembourg), dans une mise en scène de Frank Hoffmann, les 13, 14, 22, 23 & 26/03 (voir ci-dessous) –, Charlotte, une libre adaptation de Vie ? Ou Théâtre? de Charlotte Salomon et Charlotte de David Foenkinos, dans une mise en scène de Muriel Coulin – au Théâtre des Capucins, 16 & 17/03 à 20.00h – et La disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint, avec Denis Podalydès – Aurélien Bory en signe la mise en scène au TNL, les 30 & 31/03 et le 01/04, à 20.00h.


Avant d’embrayer sur Rabudôru, poupée d’amour, j’ouvre une parenthèse pour signaler qu’ils ne manquent pas d’air les mots choisis par les ministères français de la Culture et de l’Education nationale pour leur annuelle opération «Dis-moi dix mots» à destination du concours (littéraire) des lycéens, jugez sur pièces: aile, allure, buller, chambre à air, décoller, éolien, foehn, fragrance, insuffler et vaporeux (remise des prix le 30 mars). De quoi faire décoller l’inspiration.


Programme du Mois de la francophonie sur: www.institut-francais-luxembourg.lu



Dans Rabudôru, tout bascule avec l’arrivée d’une poupée en silicone hyper féminine et grandeur nature, qui divise les employé.e.s d’une petite entreprise, une usine de jouets pour enfants frappée par la crise.


Tout commence donc par un objet, et toute «la question de la pièce est celle de l’objet fantasmé». En l’occurrence, la rabudôru – une «poupée de confort pour adulte» née il y a 5 ou 6 ans au Japon et dont l’essor est désormais mondial –, est fabriquée (à Lyon pour les besoins de la pièce) à «l’imitation humaine si fidèle qu’elle en devient troublante». C’est, dit Olivier Lopez, «un objet étrange, esthétiquement beau mais qui nous met en garde. Une mise en garde primitive. Quand la nature cherche à nous imiter d’un peu trop près, on a un réflexe humain de méfiance. Les gens s’inquiètent, y voient une mise en péril de notre civilisation, jusqu’à mettre en place des discours visant à l’interdire».


Et l’auteur Lopez de se saisir de notre rapport à l’objet – qui dit aussi le rapport à notre corps –, par le prisme fictionnel, partant toutefois d’un fait réel, celui d’une ouvrière de l’usine, Nora, qui refuse de fabriquer la love doll compte tenu de l’enfant qu’elle porte – elle organise même une lutte sous la forme d’un syndicat – , alors que son mari Thierry, lui, y voit un débouché industriel. Et même thérapeutique, puisqu’il n’hésite pas à en acquérir une «pour aider son père à combattre sa solitude et la maladie d’Alzheimer qui le guette». C’est tout «le duel entre l’éthique, l’amour, la famille et l’économique».


Sinon, dans la forme, Olivier Lopez – à qui l’on doit Bienvenue en Corée du Nord – plonge sa fable écolo-sociétale sur fond de fermeture/reconversion d’usine, dans une formule hybride où «le plateau de théâtre devient également plateau de cinéma», et donc, avec, d’une part, la pièce en contact physique avec le public et d’autre part, «son pendant cinématographique, filmé en direct et retransmis en simultané sur internet».


A cette formule correspond «un travail sur la représentation et sur le fait d’être représenté par quelque chose».


Concrètement, sur la scène, un cameraman gravite en temps réel autour des acteurs, les filmant pendant tout le spectacle, et c’est ce film qui est envoyé en streaming aux spectateurs. Qui se trouvent à différents endroits de la planète, voire à d’autres horaires. Donc, partout et en tout temps – la dématérialisation serait ainsi une sorte d’accélérateur de particules – mais… plus ensemble dans un même espace commun qui est la salle.


Du coup, le bémol, il est là. Pour le public qui «ne participe plus à la constitution même de l’œuvre». Et pour les comédiens privés de l’interaction intime chaque soir renouvelée avec le public, cela qui singularise précisément le spectacle vivant.


En même temps (je compile une salve d’atouts glanés ci et là), le «filmage en direct» gommerait «le filtre de la déclamation théâtrale», les gros plans favoriseraient les expressions, tout en induisant un jeu autre de la part des interprètes, et soustrairaient notre attention du décor pour davantage nous immerger dans l’histoire.


Que du bonheur? En même temps, que faire «si nous n’inventons pas la suite»?


En attendant, avec Rabudôru, poupée d’amour (photo ci-dessus: Virginie Meigné), le plaisir est à l’affiche du Kinneskond Mamer les 17 et 18 mars, à 20.00h – avec introduction à la pièce par Karolina Markiewicz les deux soirs à 19.30h (en français).

Infos: www.kinneksbond.lu & réservation en ligne ou par tél.: 26.39 5.



Avec Frontalier de Jean Portante, programmé au TNL, la réalité est autre, c’est celle de la migration. Point de fiction, mais une introspection perfusée par la filiation, l’émotion et l’indignation d’un homme, un voyageur, «un citoyen de terre de personne»… pour devenir «un cri désespéré contre les murs qui partout se dressent».


Et donc, Frontalier est «un long monologue polyphonique» – écrit en grande partie lors d’une résidence d’écrivain à Scy-Chazelles en Lorraine – «qui se déroule dans la tête d’un frontalier imaginaire qui, chaque jour, fait la navette vers le Luxembourg».


«Mais, au-delà de ce va-et-vient quotidien, surgissent, dans la cabine de la voiture, souvenirs et pensées liés au père, à la migration, aux frontières en général. Se tisse ainsi, alors que la mythologie n’est jamais loin, une toile d’araignée dans laquelle chaque fil entremêle les couches du temps et de l’espace pour recréer un univers où l’autobiographie familiale de la traversée des Alpes rejoint la tragédie des longues caravanes de réfugiés».

Mis en scène par Frank Hoffmann, Frontalier est interprété par Jacques Bonnaffé, comédien renommé de cinéma et de théâtre.


Infos: Au TNL - Théâtre National du Luxembourg, 194 route de Longwy à Luxembourg, les 13, 22, 23 & 26/03, à 20.00h et le 14/03 à 17.00h – www.tnl.lu.


Notez que Jean Portante animera une masterclass – un atelier de théorie et pratique de l’écriture créative sur le double thème du voyage et de la frontière – du 15 au 19 mars, ce, en 5 sessions de 1h40 (de 18.30 à 20h10). Chaque participant (à partir de 17 ans) «sera ainsi conduit à écrire un certain nombre de poèmes qui pourront donner lieu à un spectacle-lecture, et être réunis en recueil, afin que ne se perde pas la trace de l'expérience». Infos: contact@ifluxembourg.lu


Dans la même galaxie, notez Pardon my French!, une table ronde qui, le 25 mars, aux Rotondes, abordera «dans une perspective sociétale et culturelle le sujet des frontalier/ières au Luxembourg – question particulièrement vive lors du premier confinement lié à la crise du Covid-19». La comédienne et metteure en scène Sophie Langevin et l’écrivain Jean Portante en profiteront pour discuter de leur approche du sujet dans leurs créations – Die Grenzgängerinnen pour Langevin et Frontalier pour Portante – dont ils proposeront une lecture croisée.


Infos:

Aux Rotondes (Luxembourg-Bonnevoie), Pardon my French!, table ronde, le 25 mars, à 19.00h. Entrée libre dans la limite des places disponibles. Réservation obligatoire: tonia.raus@ext.uni.lu

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