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  • Marie-Anne Lorgé

Carte blanche

J’habite une carte postale.


Il y a tout ce blanc. Qui gomme, efface. Et sous lequel, la terre dort.

Et puis, il y a le silence. Sa qualité, sa densité, que parfois le vent traverse comme un soupir.


Le pas est lent, la pensée aussi. Où que ton regard te porte, il y a des sutures, ourlets, festons, rebords cousus de grains de lumière. C’est autre chose qu’un décor, c’est plus grand que ça: ça te dépasse, te submerge et tu fonds.



Il neige. Sur la ville, c’est le chambard. Le passant pressé (surtout au volant) râle sur le flocon à bout portant, sur les vitres à racler, les trottoirs à pelleter (et recommencer au gré des giboulées), les gants mouillés, les pieds glacés, les retards annoncés, les rendez-vous annulés.


Il a neigé. Sur la campagne, les toits fumants. C’est beau comme une vie en suspension. Dans les branches, bouffies de franges d’ouate ou de coton – c’est le soleil, dans un ciel tendu par le gel, qui gère l’illusion – , la corneille dépose sa silhouette de suie. Et il suffit qu’une mésange s’ébroue pour que la poudreuse tombe, s’effrite comme du sucre. La forêt a l’allure d’une cathédrale pétrifiée où seraient dressés/alignés de monumentaux claviers de piano.


Et puis, c’est dimanche. Dans la neige, le dimanche, c’est cour de récré. Même quand on a passé l’âge. On luge, dérape et assassine à coups de boules. Rien de belliqueux pour autant. Il n’y a que l’enfance pour croire qu’avec trois flocons, toute la terre a changé.


Les oies mangent de la neige – «c’est peut-être ce qui les rend si blanches», selon Tomi Ungerer –, mon chien aussi, qui perd ses repères. Parfois, l’étendue est parfaitement vierge, aucune empreinte, pas même celle d’un oiseau, et tu rêves d’y courir, juste parce qu’il paraît que celui qui le fait sans laisser la trace de ses pas, est amoureux.

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