top of page

Cabanons

  • Marie-Anne Lorgé
  • 17 avr.
  • 8 min de lecture

Le printemps respire par l’arbre, et l’arbre est intimement lié à l’imaginaire de la cabane, qui est un secret refuge pour abriter nos vies quand elles s’échappent de nos agendas, un bord du monde, un morceau d’enfance passée dans les bois ou le fond du jardin. Voilà qui vaut bien un spectacle, et c’est précisément le cas avec Cabane cabane, une pérégrination touchante à travers toutes nos cabanes, de la première, le ventre de nos mères, à la dernière, l’endroit qui accueillera nos cendres,  conçue et incarnée par Philippe Vauchel, comédien, auteur, metteur en scène et poète, en duo avec Mathilde Dedeurwaerdere (à l’accordéon diatonique). Ça ne se rate pas, au Centre culturel d’Athus le 19 avril, à 20.15h (réserv. tél.: +32 (0) 63.38.95.73).


Et j’en parle parce que ce spectacle, aussi joyeux que la déferlante des cloches de Pâques chargées œufs, surgit au milieu d’une expo qui fait sortir les arbres du bois… et que je me propose d’arpenter ci-dessous, une histoire simple d’avant et longtemps après les hommes.


J’en parle aussi parce que le printemps et le (la) poète sont de vieux amants.


Ce beau printemps qui vient de naître/ A peine goûté va finir… écrit Sully Prudhomme – poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901 – qui va toutefois trop vite en besogne, certes, la saison est éphémère mais son goût nous chavire durablement, comme la cerise pendue à l’oreille ou la framboise écrasée sur les lèvres.


Alors, Parole levée vent debout ou chant intérieur, la poésie invite à prendre le feu, c’est Jean-Pierre Siméon qui le dit, directeur artistique du Printemps des Poètes de 2001 à 2017, ce Printemps qui a essaimé à Luxembourg, ce festival polyphonique et multilingue qui aujourd’hui en est à sa 18e édition, et dont le thème volcanique résume à lui seul l’énergie créatrice (visuel ci-dessous: affiche du festival créé par Jean-Jacques Laigre).



Bloquez votre agenda. L’invitation à prendre le feu a lieu les 25, 26 et 27 avril.  Et les incendiaires, 11 au total,  viennent de toute l’Europe – Laura Accerboni (Italie), Esteve Bosch de Jaureguizar (Catalogne), Jane Clarke (Irlande), Isabella Feimer (Auriche), Michal Habaj (Slovaquie), Rodolfo Häsler (Espagne), Blandine Merle(France), Maria do Rosario Pedreira (Portugal), Tereza Riedlbauchova (République tchèque), Leo Tuor (Suisse), Luce  van Den Bossche (Luxembourg). Et cette année, c’est à neimënster (abbaye de Neumünster, Grund) que le feu d’artifice des voix commence, le 25/04, dès 19.00h, avec Pol Belardi à l’accompagnement musical.

Quant à la «Grande nuit de la poésie», le 26/04, c’est au Forum da Vinci (6 bd Grande-Duchesse Charlotte) qu’elle a lieu, à partir de 19.00h, escortée par Greg Lamy, talentueux artiste de la scène jazz – soirée scindée par une pause repas à 21.00h.

Le festival se termine, comme à chaque édition, à la galerie Simoncini (6 rue Notre-Dame), sous forme de «Matinée poétique» (dès 11.00h), temps magique, entre hommage rendu à Pierre Joris – poète né en 1946 au Luxembourg mais qui vivait à Brooklyn, décédé le 26 février 2025 –, lectures des auteurs invités et débats sur leur vision du thème volcanique.


La librairie Ernster est présente tout au long du festival, qui,  pour rappel, est entrée libre. Infos: www.printemps-poetes.lu

Avant de vivre heureux auprès de mon arbre (dixit Brassens), deux rendez-vous à ne pas snober.


Dans mon premier, il y a United Instruments of Lucilin – ensemble instrumental luxembourgeois voué à la diffusion d’oeuvres des XXe et XXIe siècles et leur collaboration avec Les Théâtres de la Ville de Luxembourg autour de la nouvelle création de François Sarhan, Les Murs meurent aussi, un spectacle qui explore les terrains de conflits contemporains technologies anti-missiles et persécutions politiques incluses à travers une enquête théâtrale, musicale et documentaire: c’est à voir le 26 avril, à 18.00h, au Grand Théâtre.


United Instruments of Lucilin qui, parallèlement, débarquent à la Fondation Valentiny à Remerschen avec un nouveau projet, «Musique Plus», un programme d’expériences aussi inédites qu’immersives étalé sur 5 week-ends, sachant que lors du coup d’envoi, le dimanche 27 avril, c’est l’architecture qui fusionne avec la musique. Infos: lucilin.lu  


Mon second, c’est le rituel festival convivial/familial des Rotondes, PICelectroNIC, qui cette année se tient sur une seule journée, le 27 avril (à partir de 10.00h), qui plus est, hors les murs, donc,  sur la place du Parc,  en plein cœur de Bonnevoie, mais toujours avec un programme déjanté, ouvert et bon enfant. En vrac, concerts – ça va dépoter ! ateliers, installations et performances - on peut se faire tirer le portrait, fabriquer des instruments insolites, croiser des drôles de types avec une échelle, et même, les Rotondes ont fait appel aux résidents et commerçants du quartier: ainsi, l’atelier organisé par la radio 100,7 aura lieu chez des voisin·e·s, le DJ Ralitt fera son mix depuis un balcon, et le Café de la Place des éditions guy binsfeld ouvrira exceptionnellement ses portes pour un concert dessiné, avec Nicolas Moog au crayon et Guillaume Marietta à la guitare.

Entrée libre. Programme complet sur rotondes.lu.

 

Allez, c’est l’heure du vert, et plus exactement du Bouleau, Bambou, Baobab. Direction Aubange, Domaine de Clémarais, salle la Harpaille.


Là, 13 plasticiens (belges et français, d’hier et contemporains) se pressent au chevet des humeurs et des récits, parfois perfusés de mythes et de fantasy, de ces feuillus qualifiés de grands frères ou d’ancêtres, en tout cas, témoins à jamais survivants de nos vies minuscules.


D’abord, comme à chaque expo organisée par Martine Meunier et Emmanuel Grégoire, les cimaises sont le point d’ancrage de conférences illustrées – encore le 24/04, à 20.00h et de promenades – notez ainsi la nocturne du 25/04, visite guidée à la lampe de poche à 21.00h susceptibles d’élargir le propos au-delà du regard.


Et puis, par le détail, lâchez prise, entre les frondaisons de Mireille Gérard, toutes coiffées comme de moussues pivoines rosées/orangées, et celles, tantôt réalistes tantôt expressives, de Sandra Coulon, entre les émois graveurs, ceux de Joseph Bonvoisin (1896-1960) – recréant la solitude de l’arbre dans le gris et la lumière – et ceux de Manuella Piron – qui prend le temps d’arpenter sa campagne gaumaise et de s’inventer des conciliabules avec de ligneux amis de rencontre, tous stylisés et habillés d’une fine brume verte qui sent l’olive.


Entre les méandres de Jean-Jacques Thaon, une technicité virtuose hybridant l’époxy et les fractales, et les sublimes évanescences de Joëlle Vincent, peintre matiériste, qui, sur bois, dans un enduit mêlant colle, plâtre fin, poudre de marbre et chaux éteinte, fait naître au couteau de troublantes apparitions/disparitions.


Entre les surprenantes photographies de Charles Hieronimus, résultats surréels, et pourtant sans retouche ni manipulation, de mises en scène d’objets, matières ou matériaux ordinaires qui, décontextualisés, ouvrent des univers fabuleux, parfois dadaïstes, en tout cas activeurs de fictions solubles dans l’imagination, et les remarquables compositions sculpturales de Mathieu Adam, né à Bruxelles, vivant à Vincennes, un orfèvre du papier – papier Fabriano en l’occurrence –, scalpé pour devenir d’inouïes ramures, extrêmement délicates, noires comme de l’encre, pliées comme sous l’effet d’un vent et déposées dans le blanc d’un caisson de verre, comme s’il s’agissait d’un terrarium. Mathieu Adam tend à nous présenter la nature au plus près de ce qu'il est possible de ressentir à son contact. Un incommensurable, selon ses propres dires...


Tout n’est pas dit, ne peut se dire, alors promenez-vous dans les bois, le loup n’y est pas, jusqu’au 27 avril, c’est entrée libre les jeudi, samedi, dimanche de 14.00 à 18.00h, vendredi 25/04 de 18.00 à 21.00h.


Dévernissage en musique – avec un programme Rachmaninov par Aya Tanaka (chant) et Loukian Berezko (Piano) le 27 avril  à 19.00h, réserv. (tout comme pour les conférences/ visites guidées) au tél.: +32 (0) 63.38.95.73.


Fin de parcours au Mudam. Point d’arbre mais une mise en espace de la collection du musée axée sur le rôle des artistes femmes au sein de cette collection.



Mais pourquoi diable cette expo qui est un nouvel accrochage (plutôt fort réussi) de la collection mudamienne, mettant en lumière 19 artistes femmes, de plusieurs générations et nées en Europe et aux Etats-Unis entre 1930 et 1991, s’intitule-t-elle Radio Luxembourg


Parce que l’idée de faire dialoguer oeuvres existantes et nouvelles acquisitions, intègre des œuvres issues de la collection personnelle du couple collectionneur allemand Gaby et Wilhelm Schürmann. Or, il se fait que Radio Luxembourg, l’ancêtre de RTL qui émettait à partir de 1933, a marqué bon nombre d’auditeurs bien au-delà des frontières du pays, dont justement Wilhelm Schürmann… qui a donc choisi le Luxembourg pour accueillir ses œuvres… et qui vaut à l’accrochage d’emprunter son titre à ce souvenir auditif.


Plus sérieusement, ce nouvel accrochage s’inscrit dans la volonté du Mudam de mettre en évidence la dynamique de  sa collection, élément vivant évoluant en résonance avec les grands enjeux de notre époque. Il y est ainsi question de langage, d’architecture, de processus de fabrication artisanaux et industrialisés, de critique du consumérisme, de l’apport des technologiques numériques, de la pratique de l’art urbain e.a.


Avant de vous guider à travers Radio Luxembourg: Echoes across borders, accrochage qui se déploie dans toutes les salles du premier étage, impossible de faire l’impasse sur … l’aile d’avion qui se dresse dans le grand hall. Il s’agit d’une vraie aile d’avion de combat, le Tornado, mais élégante, rutilante, et c’est l’œuvre sculpturale monumentale haute de près de six mètres de Fiona Banner, aka The Vanity Press, artiste pluridisciplinaire britannique (1966), œuvre intitulée Nude Wing (2011) par analogie à un corps dénudé.

Sa surface polie à l’extrême qui réfléchit son environnement, autant que les visiteurs, lui confère une présence totémique. Avec l’idée d’une légèreté incarnée dans une massivité, en interaction avec l’espace qui devient aérien. 

En tout cas, à travers cette installation, Banner suscite une réflexion sur l'esthétisation de l'armement, la mémoire collective et les récits qui façonnent notre perception de l'histoire  (visuel ci-dessus à gauche de l’image Nude Wing, photo: Mareike Tocha © Mudam Luxembourg| Collection Mudam Luxembourg| Donation 2023, Gaby et Wilhelm Schürmann, avec le soutien des membres du Cercle des collectionneurs du Mudam Luxembourg).


Hop, premier étage, espaces ouverts et fluides où jouent différents niveaux d’échelle, de micro et macro.


Et justement, s’élève Stairway (2010), une structure géante de l’artiste polonaise Monika Sosnowska, oeuvre inspirée d’un escalier de secours d’un bâtiment de Tel Aviv, escalier typique du style moderniste, découvert par l’artiste avant qu’il ne soit détruit, et qu’ainsi elle reproduit en acier grandeur nature, installé coincé entre le sol et le plafond, du coup, purgé de toute fonction, sorte de monument de la ruine, au bord de son point de rupture, en écho à l’effondrement politique et idéologique de notre société (même visuel ci-dessus, à droite de l’image Stairway, photo: Mareike Tocha © Mudam Luxembourg| Collection Mudam Luxembourg| Donation 2023, Gaby et Wilhelm Schürmann, avec le soutien des membres du Cercle des collectionneurs du Mudam Luxembourg).


Sinon, au rang de mes coups de cœur, des objets existants transformés par le regard, soit: cinq valises ordinaires posées les unes contre les autres, une installation/répétition de Zoe Leonard (1961, New York), pour qui ces bagages ont valeur de portraits, d’autant que chacune des valises est porteuse d’une mémoire, de souvenirs auxquels chacun peut s’associer.


Et puis, Carine Krecké – sélectionnée par Lët’z Arles pour exposer lors des Rencontres photographiques 2025 – avec Navigation Poems, des phrases écrites en anglais qui défilent sur un afficheur électroluminescent, omniprésent dans tout espace public, et qui transposent en mots les violences, les meurtres quotidiens jamais élucidés de femmes, perpétrés depuis le début des années 1990 à Ciudad Juarez, ville mexicaine située à la frontière des Etats-Unis.


Enfin, partant d’un mur, symbole de ségrégation, Dominique Ghesquière (1953, née en Floride, vivant en France, dans l’Oise) nourrit une illusion, celle d’un paysage troué par une spiritualité. En fait, l’oeuvre est un travail de maçonnerie ou, pour le moins, de construction, avec des briques qui se superposent et s’alignent, sauf que ce sont des briques de sable, mais du sable concassé, à propriété résistante et durable, donc, en contradiction avec la réputation fragile du limon blanc, ce qui n’empêche qu’au final, grâce aux interstices sciemment aménagés entre les blocs sableux, l’édifice ajouré à l’allure d’un moucharabieh, élément architectural vecteur d’intimité et de chuchotement.


Je m’en voudrais aussi de zapper les Volumes d’air de Joëlle Tuerlinckx (1958, Bruxelles), ces volumes qui dans l’espace se matérialisent uniquement par leurs arêtes en fil de fer. C’est délicat, poétiquement beau, brouilleur de perception et de temporalité, le passé et l’instant.


Au Mudam – Musée d’art moderne Grand-Duc Jean, Luxembourg-Kircherg: Fiona Bannes aka The Vanity Press, Nude Wing, jusqu’au 24 août 2025, et Radio Luxembourg: Echoes across Borders, jusqu’au 11 janvier 2026. Infos: mudam.com

 
 
 

Comments


bottom of page