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Marie-Anne Lorgé

Boussoles

Dernière mise à jour : 9 juin

Ce matin, comme tous les matins, avec ma tasse de café où tombent des mots venus de riens insoupçonnés et d’instants invisibles, j’ai longuement observé La lumière se poser/ Dans la main des feuilles.


Comme chaque jour, mais plus encore aujourd’hui, dans les pas de Jean-Pierre Siméon, qui a consigné 50 phrases-poèmes venues en marchant, j’ai donc… marché en espérant donner tort au poète: Le silence est malheureux, plus personne ne l'écoute.


Jean-Pierre Siméon, c’est la poésie incarnée, et la poésie n’est ni un agrément ni un ornement mais une nécessité vitale, une arme contre l’affadissement de la langue – on ne parle ainsi plus de gare, dit-il, lieu de quai, d’attente, de départ, de baisers, mais… de pôle multimodal –, contre les pensées étriquées, formatées, conformistes, contre la peur… qu’il suffirait d’appeler mésange ou libellule pour qu’elle soit plus légère. Du reste, il y a toujours devant nous au moins deux avenirs: le renoncement ou le courage de l’impossible. Cette sorte de courage dont la poésie est l’essai et l’éloge.   


Jean Pierre Siméon était à neimënster, à l’invitation du Printemps des poètes-Luxembourg, une rencontre aussi dense, intense… que le sauvetage du monde. Si rien ne le sauve, au reste, la poésie le sauve chaque jour de son indignité. En clair, la poésie, c’est pas pour faire joli, c’est un «état de conscience à vif» et Siméon en est la boussole.

 

Il me fallait vous le dire.  



Quelle autre bonne nouvelle vous apporter? Eh bien, tout un lot de 3.


D’abord, de l’inattendu, façon Jason Dodge  artiste américain né en 1969, vivant à Berlin qui fait circuler l’imaginaire… au Mudam Luxembourg. C’est comme si Jason vidait ses poches ou ses tiroirs, renversait au sol un fouillis indescriptible fait de petits riens, de micro objets trouvés (dont tickets de métro, dés, rebuts textiles, brindilles, bouts d’ouate, câbles), détournés, découpés, parfois fabriqués par lui-même. A travers le musée, Jason sème, poussières incluses, dans tous les recoins des endroits de passage du public (tout quidam peut du reste prélever ce qu’il veut mais rien y ajouter). C’est un semis méticuleux, un assemblage méthodique, selon une logique qui appartient au subterfuge, une fragmentation à l’exemple d’un peintre qui compose couche par couche, du coup, au final, ce que l’artiste donne à voir, à ras de pieds/de pas, c’est une sorte de paysage… singulier, inédit, prompt à déstabiliser le visiteur, l’art doctoral et l’ordonnancement muséal.


Pour sa dose d’incongru, de transgression, d’humour et de poésie (encore elle !), la démarche minimaliste de Jason Dodge – intitulée Tomorrow, I walked to a dark black star mérite le détour (jusqu’au 8 septembre). C’est un jeu sur la perception, avec ce que nous nous attendons à voir et ce que nous ne voyons pas, au musée comme dans le monde qui nous entoure  - en l’occurrence, le musée, c’est le Mudam (Musée d'art moderne Grand-Duc Jean, au Kirchberg).


En passant, notez que ces 8 et 9 juin, ledit Mudam organise un symposium, Reimagining Museums, ouvrant ses portes à des conférences, des ateliers et des temps de rencontre, invitant publics, artistes et commissaires à participer à un dialogue collectif sur l’idée même du musée et son rôle dans nos sociétés contemporaines. Deux jours d'échange et de convivialité en accès gratuit. Infos: mudam.com 


Sinon, c’est le très attendu retour de Water Walls, à Esch-sur-Sûre. 4 projets artistiques inédits semés en un magnifique parcours qui suit la rivière, ses rives et la forêt, sur 3 kms (c’est gratuit et accessible à tous). De quoi faire le plein des sens. Ouverture ces 8 et 9 juin. Je vous guide à pied un peu plus bas – avec, afin de vous mettre d’emblée dans le bain, en visuel ci-dessus (photo ©Mathilde Caylou), une constellation d’étoiles de verre flottant sur l’eau, une installation contemplative de Mathilde Caylou.


Et le retour aussi du Fundamental Monodrama Festival, ou festival des seul.e.s en scène – vitrine de works in progress, d’idées à développer, de fragments, de débuts de création, de projets en devenir de comédiens/diennes et de danseurs/seuses d’ici et de Grande-Bretagne, du Niger, de Grèce, de France, du Maroc et j’en passe, ce, jusqu’au 16 juin. Tout se passe à la Banannefabrik, 12 rue du Puits à Bonnevoie (réserv. par tél.: 621.237.859 ou reservation@fundamental.lu)



Du «Monodrama», je vous confie mes quatre coups de cœur (en français): ce 8 juin, à 20.00h, Ce que j’appelle oublide Laurent Mauvignier, avec Luc Schiltz, dans une mise en scène de Sophie Langevin: «Un homme entre dans un supermarché. Dans le rayon des boissons, il ouvre une canette de bière et la boit. Quatre vigiles surgissent, l’encerclent et l’emmènent dans la réserve. Là, ils vont lui tomber dessus et au milieu des conserves, ils vont le battre à mort. Pour une canette, pour rien. Un narrateur s’empare de cette histoire. Et il s’adresse à nous. Il met des mots sur cet impensable. Il nous invite à ne pas oublier. Dans un geste brulant d’humanité». Spectacle incandescent aussi programmé au Kinneksbond de Mamer les 23 et 24 octobre.


Et puis, le 9 juin, à 20.00h, De ce côté, de /avec Dieudonné Niangouna, une parole d’acteur exilé: Dido est au fond de son bar, de son théâtre détruit. Il y débat sec, seul avec ses fantômes, de questions de légitimité, de place à laisser ou à prendre. Ou encore le 15 juin, à 19.00h,Tu connais Dior? de/avec Valérie Bodson: Une femme se retrouve à la rue après quelques déboires de la vie courante, deuil, licenciement…Que va-t-elle découvrir? Comment va-t-elle le vivre, qui va-t-elle rencontrer? Un voyage au plus profond de nos ressources humaines (visuel ci-dessus).


Terminus le 16 juin, à 20.00h, avec In Memoriam: Exploration de la Mort à travers la danse, une expérience immersive de Sylvia Camarda: ici, chaque mouvement raconte une histoire d’espoir, de résilience, de renouveau…


Voilà du reste qui fait écho à My Last Will, la nouvelle expo du Casino Luxembourg, avec sa réflexion sur l’essence de l’existence et de l’héritage. Que restera-il de soi, de nous, après disparition? Réponse dans un corpus d’œuvres où plane… l’abîme inconnu de demain. Selon 32 artistes – oui, je sais, j’ai promis de vous en parler, mais un brin de patience encore…



Sinon, en attendant la Fête de la musique  – eh oui, ça sent l’été du 14 au 21 juin –-, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce week-end des 8 et 9 juin donne le tournis – un tournis gai comme un pinson, le soleil aidant. Alors, je coche:


Bonnevoie quartier dont les origines remontent à l’abbaye cistercienne fondée vers 1200, où même un hippodrome a vu le jour à la fin du XIXe siècle et où quelques personnages devenus célèbres y sont nés, comme Hugo Gernsback (1884-1967), inventeur de la science-fiction , est le lieu du 3e «Urban History Festival», organisé par le Lëtzebuerg City Museum. Animations, concerts, ateliers, portes ouvertes et visites guidées au programme, à partir de la place du Parc, où le kiosque servira de scène pour l’une ou l’autre intervention musicale, en ajoutant les balades sonore et interactive proposées par les proches Rotondes. 


Au Nationalmusée um Fëschmaart (Marché-aux-Poissons, Luxembourg-ville), deux journées portes ouvertes dans le cadre de son expo La révolution de 1974. Des rues de Lisbonne au Luxembourg. Visites guidées (en trois langues) ce samedi, et dimanche festif incluant, en vrac, des concerts au répertoire révolutionnaire, de la danse traditionnelle, des déambulations instrumentales à la guitare portugaise, des ateliers de céramique et de collage pour tout âge offerts en continu, un spectacle de théâtre sur mesure interprété par Magaly Teixeira. Entrée et participation gratuites!


Tout ça, en vous rappelant chaleureusement, sous le soleil la découverte n’en sera que plus belle,  que les expositions du photographe luxembourgeois Michel Medinger – préfigurant la grande expo qui lui sera consacrée tout l’été aux Rencontres d’Arles –- sont désormais accessibles (jusqu’en octobre) au Parc de Merl – 16 photographies réparties en deux thèmes: le sport (visuel ci-dessus) et les pompes à essence – ainsi qu’à l’Hospice de Hamm – tirages grand-format de transferts polaroïd en couleur, où, avec un humour subtil, l’artiste aborde des thématiques tel que l’éphémère, la vanité, la fragilité humaine, s’inspirant de l’iconographie de la peinture de l’âge d’or néerlandais.


Ah, avant que j’oublie, à l’occasion de l’arrivée prochaine des Jeux olympiques 2024 à Paris, notez que l’Institut Pierre Werner – en coopération avec l’Ambassade de France au Luxembourg – invite le 11 juin, à 19.00h, à une table ronde à neimënster afin d’aborder les enjeux diplomatiques et géopolitiques du sport, du rôle des athlètes sur la scène politique internationale. En français. Entrée gratuite. Réserv. souhaitée: info@ipw.lu


Enfin, pour boucler la boucle poétiquement vôtre, sachez que le 13 juin, à 20.00h, la Kulturfabrik (Esch/Alzette) accueillera Guy Helminger, Jean Portante, Juliette Mézenc et Olivier Mellano, une rencontre littéraire qui tient lieu d’événement périphérique au Marché de la Poésie, 41e du nom ce rendez-vous incontournable et plus grand rassemblement de poésie en France se tenant Place Sulpice, à Paris, du 19 au 23 juin.


Allez, il fait donc (enfin) beau, on chausse ses baskets, direction Esch-sur-Sûre. Pour la beauté d’un site naturel: l’idyllique vallée de la Sûre…



La naissance de Water Walls, parcours d’art contemporain en plein air, a eu lieu en 2021… et les terribles inondations d’alors ont bien failli tout faire capoter. Pour autant, ce fut une première édition couronnée d’un franc succès. Cette année, le projet (biennal devenu triennal) intensifie ses exigences pour intégrer en profondeur les principes d’économie circulaire.


Qu’est-ce à dire? Que chacune des installations artistiques autonomes sélectionnées doit répondre strictement à une charte de valeurs: utiliser des matériaux de l’endroit, qui plus est recyclés et recyclables (par d’autres, à d’autres fins) – en clair, chaque installation est éphémère (ce qui signifie qu’il s’agit d’en profiter pleinement jusqu’au 8 septembre) – , dynamiser le maillage local et favoriser la participation du public, le tout dans le plus grand respect de l’environnement.


En prime, cette année, c’est autour de l’eau (richesse menacée) et de l’idée du cours d’eau comme entité vivante que Water Walls entend créer un projet à la fois poétique et d’engagement. Dont acte pour les 4 installations retenues (plus internationales qu’en 2021) – sur 60 candidatures reçues. A chaque fois, il s’agit de construction, souvent ingénieuse et en intime correspondance avec un emplacement précis, là où l’installation devait naître, là et pas ailleurs. Avec une dimension plus sociale pour Utopian Laundromat, plutôt économique avec Amazon is a River, romanesque à souhait dans Aquacanta et carrément contemplative dans le cas des Constellations flottantes.


Lesdites constellations, installées sur le barrage de compensation 4, c’est une création en verre soufflé de la Française Mathilde Caylou, qui fait ainsi tomber les étoiles dans l’eau. Chaque étoile – sphère de 15 m de diamètre – a l’allure d’une bouée, lestée, et l’ensemble donne l’illusion d’une cartographie céleste devenue amphibie. Miroir inversé. Et magie décuplée à la tombée la nuit, en raison des pigments luminescents que recèle chaque étoile, interrogeant notre relation à l’infiniment grand.


En aval du pont de Kaundorf, arrimées à la rive, face à la canopée, 3 petites sculptures de tôle –conique, ronde et en tambour – s’offrent à l’oreille du passant. C’est le projet Aquacanta du collectif franco-italien d-o-t-s, une invitation à prendre le temps d’écouter les rumeurs de la rivière et du vivant qui l’habite, sous l’effet (ou non) du vent. Projet assorti d’une publication (en cours) fusionnant réalité (du biotope) et fiction – surgirait un poisson troubadour qu’on s’en étonnerait peu…


C’est sur le camping im Aal que le collectif (belge) La Bonneterie a porté son dévolu, construisant en bois (toutes planchettes récupérées), là sur une zone herbeuse de parking-caravaning, un très joli dispositif… pastichant un lavomatique, avec bacs disposés en escalier où l’eau circule, se souille puis s’épure grâce à des plantes filtrantes. Dans l’absolu, Utopian Laundromat serait ainsi une réinvention, en pleine nature, du collectif lavage du linge à la main censé réconcilier tâche domestique et espace de convivialité. Pour ce qui est de l’aspect social, c’est gagné, c’est même jouissif. Pour ce qui est d’une résistance aussi manuelle que verte et économe à l’addiction du confort de la machine moderne, c’est possible. Sinon, c’est un tantinet sexiste, sinon joyeusement régressif, en écho à cette servitude de jadis d’aller à la fontaine pour battre les draps, une corvée accouchant d’un métier, celui de lavandière, au demeurant aussi révolu que typiquement féminin.


Amazon is a River, visible sur le barrage de compensation2, c’est un échafaudage affolant, une sorte de reconstitution verticale de salle de bain, avec un savant (et séduisant) jeu de bascule d’eau d’un récipient à un autre, d’un niveau à l’autre, du verre au WC (visuel ci-dessus, photo ©Lucas Facer). Dans le concept, il s’agit d’une horloge hydraulique qui évalue la richesse au lieu du temps. Postulons ainsi que l’eau en circulation symbolise le salaire minimum, soit, un verre d’eau (rempli en 0,36 seconde) vaut un euro, tandis que celle boquée par le barrage évoque la fortune de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon (d’où le titre).

 

Ce 8 juin, WaterWalls 2024 c'est un programme de lancement créatif: déambulation parmi les projets mais aussi spectacle-concert Belgican Rhapsody par Max Vandervorst et spectacle du Professor Aqua-Wass par Lex Gillen. Parallèlement, des ateliers en famille sont proposés, tels que les «Phonoscopes» avec Hadrien Vénat et le «Coulage de sucre» avec Mathilde Caylou, offrant des opportunités uniques de création et de découverte artistique pour tous les âges.

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