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Aire de jeux

  • Marie-Anne Lorgé
  • 19 juin
  • 7 min de lecture

C’est l’été J-2. Déjà le temps de faire sa valise… de livres.


Bien sûr, il y a la poésie – avec le grand marché du nom, à Paris, qui remballe ses cartons dimanche (22/06). Autrement, du côté du roman, l’événement s’appelle Antoine Wauters, qui, de titre en titre, nous régale de chroniques qui font remonter l'enfance avec ses frayeurs, ses rêves et ses regrets. Son dernier opus – après notamment Le plus court chemin et Mahmoud ou la montée des eaux (Livre Prix inter) – s’intitule Haute-folie, des pages d'une infinie beauté sur les silences familiaux, la transmission, l'amour et la folie. A placer en haut de la pile des bouquins que vous emporterez sur la plage ou à l’ombre du tilleul d’un jardin public…


Sinon, pour patienter un peu avant que débarque le solstice – annoncé torride, comme la fête de la musique –,  juste deux haltes (à suivre ci-dessous): l’une sur la fabuleuse expo d’Aline Bouvy qui, dans Hot Flashes, au Casino Luxembourg, aborde les étapes de nos vies, à commencer par celle de l’enfance et sa liberté imaginaire bridée (vernissage ce soir, 20 juin!), l’autre halte arpentant les rues de Lorentzweiler à la rencontre de 5 artistes, Serge Ecker, Aurélie d’Incau, Fabienne Margue, Max Mertens et Sali Muller, réunis pour Störende Wahrheiten (Vérités dérangeantes), projet biennal initié en 2019 et dont cette 4e édition se penche sur le «désenchantement du monde».



Toutefois, au préalable, 3 parenthèses enchantées. Celle de Jean Bermes, alias Här Bë, un musicothérapeute excentrique qui possède un don unique: percevoir les murmures les plus infimes des fleurs et des herbes, et surtout, les apaiser et les guérir grâce au pouvoir de la musique. Cette symphonique botanique (de 50’) éminemment participative proposée par Kopla Bunz a.s.b.l. convie le public – les enfants (àpd 6 ans), certes, mais aussi tous les adultes encore capables d’émerveillement à célébrer ensemble la diversité de nos voix (visuel ci-dessus). ça se passe dans le jardin du cloître de neimënster, samedi 21 et dimanche 22/06, chaque fois à 09.30h & 11.00h.


Celle du Fundamental Monodrama Festival qui secoue nos certitudes jusqu’au 22 juin, à la Banannefabrik (12 rue Puits à Bonnevoie) – programme sur: www.fundamental.lu. J’ai découvert Noces, spectacle burkinabé de et avec Safourata Kabore, une comédienne puissante qui porte, entre cris et chuchotements, révolte et poésie, éclats de rire et silences nerveux, le trauma du viol et la nécessité impérieuse de réinventer l’amour et la liberté, surtout de célébrer la résilience des femmes. Et pourtant, ce jour-là devait être le plus beau de sa vie: son mariage. Dans l’intimité d’une chambre, devant un miroir, ajustant son maquillage, une tempête gronde, les ombres de la nuit ressurgissent. Là où il passe, ne ratez sous aucun prétexte ce bouleversant monologue mis en scène par l’immense Odile Sankara.


Quant à la troisième parenthèse, elle met le feu… à l’initiative de Ferroforum, asbl  installée au coeur de la Metzeschmelz, au sein de l’Atelier Central de l’ancienne usine d’Esch-Schifflange en réhabilitation. Qui propose une démonstration de bas-foyer et des animations de forge, assorties d’une exposition thématique et d'une conférence sur la métallurgie ancienne. Avis aux amateurs le 21 juin, de 10.00 à 18.00h. Accès en navette via le portail de Lallange; accès à pied via les portails de Schifflange et de Neudorf.



Pour ce qui est de l’art en espace public, le rendez-vous du jour, c’est Lorentzweiler – j’y viens – mais notez dare-dare Sur les épines, une oeuvre sculpturale du duo d’artistes Bruno Baltzer et Leonora Bisagno. Késako? Eh bien, voilà qu’une monumentale épine en bronze de 260 cm haut, 252 cm de profondeur et pesant environ 500 kg – émerge du mur du Lëtzebuerg City Museum (14 rue du St-Esprit), côté Corniche, interrogeant «la fabrique du monument». L’accès à l’endroit est libre et possible pendant les heures d’ouverture du musée.


Enfin, nous sommes donc à Lorentzweiler, où l’art est une vérité dérangeante, en tout cas, un antidote probable au désenchantement du monde… selon le regard tantôt critique, tantôt métaphorique, tantôt décalé tantôt poétique de 5 plasticiens qui ne pratiquent pas la langue de bois, en plein air.


Devant la mairie, Aurélie d’Incau imagine comment «faire communauté» avec son projet Doheem qui a l’allure d’une petite maison nomade, bricolée de bric et de broc collectivement, où se poser, rêver, (se) bercer. Au même endroit, une vidéo, médium privilégié par Fabienne Margue pour réhabiliter la figure de la sorcière, la restituer dans notre société contemporaine.


Au bout de la ville, sur le rond-point directionnel vers Mersch, Serge Ecker dresse en un kit de modélisme «AirFix», un chariot de supermarché grandeur nature, une structure graphique, une sculpture perméable au paysage intitulée En route vers la Belle Etoile, histoire de combiner une réflexion sur 2 illusions devenues d’irrépressibles rituels modernes, la consommation et la fétichisation du bricolage Do It Yourself (visuel ci-dessus).

A l’autre bout de la ville, dans son installation Broken Arm, une bascule de 6 m de long, avec d’un côté, une branche massive, et de l’autre, en équilibre instable, un groupe de pelles, Max Mertens questionne la frontière entre la nature et le construit, et déjà, notre représentation illusoire de la nature.


Entre les deux axes, Sali Muller installe La Villa Carbon Dioxide, une serre détournée, habitat siamois d’un abri clos en verre, une structure translucide mais comblée par une matière particulière, la cellophane, film transparent, vulnérable et perméable aux jeux du soleil. Habitée par la lumière, l’oeuvre a une allure de minimaliste vaisseau cosmique, un ailleurs conteur.


On circule – un de ces jours ou soirs d’été – et on se laisse surprendre, jusqu’au 28 septembre - infos: www.stoerende-wahrheiten.com 



Terminus au Casino Luxembourg, tout le monde descend et… à juste titre. Le premier étage du lieu est habité par des dessins, des figurines, des objets-sculptures balisant un monde parallèle à l’allure de grand parc d’attractions bricolé/orchestré par Aline Bouvy, qui met en scène son corps, pour qui, surtout, le corps devient médium, un paradigme qui remonte à son enfance.


Et justement, l’enfance, c’est le sujet de son actuelle expo au «Casino», un sujet qui s’est imposé eu égard au fait que c’est à Luxembourg qu’elle a grandi elle qui est née en 1974 à Watermael-Boitsfort (Bruxelles) où elle vit.


La pratique multidisciplinaire d’Aline est à son image, singulière, perfusée par un goût certain pour la dérision – d’emblée, sachez que c’est elle qui représentera le Pavillon du Luxembourg en 2026 à la 61e Biennale de Venise.


Pour l’heure, dans Hot Flashes – un titre choisi parce qu’il sonne et fait référence à des souvenirs urgents ou brûlants  , elle interroge l’expérience de l’enfance comme étape de construction sociale et politique, elle questionne l’instrumentalisation de l’image de l’enfance.


Et le dispositif qu’elle met en place, à la fois sensoriel, visuel et architectural, en tout cas aussi étrange que protéiforme, séduisant en même temps que repoussant, passe par des modules, ou boîtes de style kit, par un long et haut miroir sans tain – le comment voir/contrôler sans être vu, ou se voir au milieu/ ensemble avec tous les autres , par E.T. une histoire non d’extra-terrestre mais d’amitié, une métaphore aussi de l’altérité… ou du double et par de curieux objets en jesmonite, une résine écologique utilisée pour les décors, pastichant formellement un hamburger géant… meublé par du mobilier miniature.


La miniature intègre donc l’univers d’Aline, qui, cette fois, recourt aussi à la peinture – cfr la grande fresque murale qui ouvre l’expo , ce qui est neuf pour elle; sinon, dans le parcours, elle réactive des propositions formelles antérieures tout en étant en dialogue avec les pratiques d’autres artistes.


Et précisément, plane une figure  tutélaire, celle de Julie Becker, artiste américaine née en 1976, décédée (suicidée) en 2016, influente sur la scène de Los Angeles dans les années 80 mais  injustement oubliée, qui avait développé un monde parallèle, jouant sur la maquette et le modèle réduit pour aborder les espaces domestiques, lieux où les rapports sont inégaux et lieux (féminins) de compromis acceptables quant à la propreté, à l’intime, à l’hygiène – cfr l’enfant qui expérimente le fonctionnement de son corps en jouant avec ses matières fécales, comportement taxé de sale, tabou social et culturel.


Julie Becker avait utilisé du papier cadeau, et Aline, dans sa grande fresque murale, imite le papier peint enfantin des années 70, sélectionnant des détails qu’alors elle agrandit, accentuant du coup la monstruosité, le macabre, le lugubre, la tristesse (visuel ci-dessus: The Same Room (after Julie Becker)). Et, puis, dans le mur, un tiroir, qui se referme dès lors que l’on s’en approche, et qui contient un secret, une carte postale… 


Le dessin, c’est aussi une référence aux hôpitaux pour enfants, qui renvoie Aline à la question de la fonction de ces dessins réalisés par des adultes, et plus largement à… la disneyisation. Une idée qu’elle a amorcée à Marseille l’an passé et qu’elle traduit au «Casino» dans ce parcours-aire de jeux, qui s’articule autour de modules de ceux qui permettent de construire en kit une cuisine… dont la fonctionnalité s’est perdue.


Pour chaque module (ou boîte), Aline joue avec l’opacité et la transparence, en l’occurrence grâce à du plexi tantôt translucide, tantôt… rouge sang. Et chaque boîte évoque un mini monde, pétri par des jeux d’échelles et qui éveille une narration autre que domestique. On y trouve notamment des petits canons en faïence blanche non émaillée, autant de tirelires détournées, un peu phalliques, et des mains qui font office de cendriers. Aussi il y a la reconstitution d’une minuscule pizzeria, avec son enseigne «Fame», signifiant «faim» en italien mais qu’un glissement sémantique projette dans un autre sens. Du reste, partant de la figure de E. T., Aline affiche le célèbre jeu de mots UR ANUS, à jamais ambigu.


Sinon, chaque dos/arrière de boîte importe aussi, c’est encore un autre monde, susceptible de fabulation.


Plus loin, mais en écho à la pizzeria, des bouchons et des cure-dents volumineux, survitaminés, métamorphosés les uns en chevaux d’arçons, les autres en piques de comptoir. Tout au long, celui qui perd le jeu, c’est l’adulte conditionné, et c’est celui-là même qui invente le jeu pour l’enfant.


Hot Flashes, c’est un univers baudelairien et freudien, fabriqué à coups d’associations d’idées, un parcours fantastique et fantaisiste, où fonction et fiction se conjuguent, pour nous proposer d’entrer dans un imaginaire faussement régressif et totalement subversif.


En un mot, moi je dis que c’est jouissif, à tester jusqu’au 12 octobre. Au Casino Luxembourg, 41 rue Notre-Dame, tljrs (sauf mardi) de 11.00 à 19.00h, nocturne le jeudi jusqu’à 21.00h. Visites guidées chaque jeudi à 19.00h et dimanche à 15.00h. Infos: www.casino-luxembourg.lu

 
 
 

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